L’autre événement majeur de Katyn
22 avril 2010 at 2:31 1 commentaire
Ce n’est pas manquer de respect à la mémoire de l’ancien président polonais et des 95 autres victimes de la tragique catastrophe aérienne de Smolensk que de revenir aujourd’hui sur quelques vérités que la plus légitime des émotions ne doit pas faire oublier.
Et d’abord, pourquoi avoir organisé cette cérémonie à Katyn le 10 avril alors qu’un hommage extraordinaire venait d’être rendu dans ce même lieu, trois jours plus tôt, aux 22 000 officiers polonais massacrés par la police secrète de Staline en 1940 ? C’est que Lech Kaczynski avait en horreur non seulement les deux protagonistes de l’initiative historique du 7 avril – le premier ministre russe et son homologue polonais –, mais la conception même de leur acte hautement symbolique : « Régler les blessures du passé » et normaliser les relations entre les deux pays en tournant spectaculairement la page d’un énorme mensonge d’État – côté russe – et d’un profond traumatisme national – côté polonais. L’intégrisme réactionnaire de l’ancien président s’accommodait mieux du souvenir des douleurs passées que de l’espoir d’un avenir plus serein et trouvait plus d’attrait à un immuable « ennemi héréditaire » qu’à une réconciliation inattendue. Voilà pourquoi il projetait une contre-cérémonie, quitte à désavouer de fait le chef de son propre gouvernement.
J’ai eu l’occasion de rencontrer ce premier ministre polonais honni par son président : c’est un homme de droite, libéral en économie et atlantiste bon teint. C’est peu de dire qu’il n’est pas un de mes amis politiques ! Pas plus, d’ailleurs, que Vladimir Poutine ! Et pourtant, je n’hésite pas, en l’occurrence, à leur rendre hommage. En reconnaissant spectaculairement le « mensonge cynique » qui a « recouvert pendant des décennies la vérité sur les fusillés de Katyn », Poutine nous a très positivement surpris. Et en acceptant de répondre à son invitation, le Polonais Donald Tusk a donné à l’événement sa dimension historique. Les réactions très respectueuses des dirigeants russes au drame du 10 avril et l’accueil ému des Polonais aux initiatives de leur voisin sont venus confirmer le changement engagé. C’est tout cela que l’histoire mérite de retenir avant tout de ces journées d’avril à Katyn.
Dans une moindre mesure, on peut, dans le même esprit, se réjouir d’une autre initiative courageuse et nécessaire, car indispensable à la construction d’une paix durable et à une future réconciliation, cette fois dans les Balkans, 15 ans après l’un des pires crimes que l’Europe ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale – je veux naturellement parler de l’horreur de Srebrenica. Le Parlement de Serbie a adopté une résolution condamnant cette extermination de masse de 8 000 musulmans par des forces serbes de Bosnie et présentant ses excuses aux victimes. C’est peu, trop peu ? Sans doute. Mais un insupportable tabou est levé, au grand dam des nationalistes que cette guerre atroce a produits en grand nombre dans tous les pays de la région. Un exemple à suivre et à prolonger.
On a parlé à ce propos d’ « arrière-pensées » des initiateurs de ces gestes. Je souhaite que de telles arrière-pensées animent d’autres dirigeants politiques européens qui continuent d’avoir beaucoup de mal à reconnaître de lourdes vérités historiques, quitte à empoisonner les relations internationales. On pense notamment à la Turquie, dont le premier ministre est allé jusqu’à menacer d’expulser massivement des Arméniens vivant dans son pays si des parlements occidentaux avaient, à l’avenir, l’outrecuidance de reconnaître le génocide de 1915. On pense, plus près de nous, à la procédure ouverte à Madrid pour « prévarication » (manquement aux devoirs de sa charge) contre le juge Garzon, coupable d’avoir osé – 35 ans après le retour de la démocratie – ouvrir enfin le livre noir des crimes de l’époque franquiste ! Et que dire de l’impunité accordée par l’Union européenne aux dirigeants israéliens ? Ne revient-elle pas à jeter un voile pudique sur les innombrables forfaits qui marquent un demi-siècle d’occupation ? Quand le courage de la vérité aura-t-il raison de ces plaies ouvertes ?
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1.
Jonathan | 23 avril 2010 à 8:17
Une analyse lucide, qui sait donner sa portée à ces événements marquant dont je n’avais pas eu connaissance, le tout avec une dose d’optimisme qui fait du bien.
Merci Francis,
Jonathan