Archive for 20 septembre 2023
UKRAINE : DES « DÉRAPAGES » DE PLUS EN PLUS INQUIÉTANTS
Après 17 mois d’agressions russes et de ripostes ukrainiennes, toutes les limites imaginables de cette guerre sont régulièrement franchies, qu’il s’agisse du nombre ahurissant de victimes ou de la nature, de plus en plus barbare, des armements engagés, de part et d’autre. Or, loin d’avoir ouvert la voie à une issue du conflit, cette hécatombe humaine et cette escalade militaire mettent chaque jour un peu plus, le monde -et en premier lieu l’Europe- à la merci d’un dérapage. Plusieurs faits récents sont venus nous rappeler la réalité de cette menace.
On se souvient du cas de ce missile « de fabrication russe » qui avait frappé un village de l’est de la Pologne, près de la frontière ukrainienne, provoquant la mort de deux personnes, le 15 novembre dernier. S’il s’était agi d’une provocation russe, la Pologne étant membre de l’OTAN, les autres États membres auraient été tenus, en vertu du fameux article 5 du traité de l’Alliance atlantique, de lui porter secours : autrement dit, de s’engager dans une guerre contre l’une des deux principales puissances nucléaires du globe. C’est en pleine connaissance de cet enjeu stratégique capital que Volodymir Zelensky avait d’emblée accusé Moscou d’avoir délibérément commis ce forfait pour « adresser un message au sommet du G20 » (les 20 principales puissances du monde) , alors réuni à Bali. L’enquête avait finalement établi que l’explosion provenait des « systèmes de défense anti-aérien ukrainiens », ce que Kiev mit beaucoup de temps à admettre. Nous sommes passés tout près d’une situation critique.
Un incident semblable vient à nouveau de se produire, le 4 septembre en Roumanie, à quelques km de la frontière avec l’Ukraine. Cette fois, ce sont des débris d’un drone russe qui étaient retombés sur le sol d’ « un pays allié de l’OTAN, bénéficiant (à ce titre) de garanties de sécurité très importantes », comme le rappela le Président de ce pays, mais il n’y eut pas de victime et le caractère accidentel de l’incident fut reconnu. Seconde alerte.
Quant à la stupéfiante révélation du milliardaire américain, Elon Musk, elle fait franchement froid dans le dos ! En tant que propriétaire d’une constellation de satellites couvrant une cinquantaine de pays (!), il affirme avoir été, il y a un an, sollicité par le gouvernement ukrainien, pour qu’il permette le guidage de drones bourrés d’explosifs afin de « couler la majeure partie de la flotte russe », stationnée dans le port de Sébastopol, en Crimée ! Lui qui avait déployé la couverture internet de « sa » société SpaceX au profit de l’Ukraine auparavant, refusa cette fois-là . Un magnat à l’égo dangereusement surdimensionné peut donc seul, selon son humeur, décider de favoriser ou non des opérations militaires, le cas échéant aux conséquences incalculables !
Aucun doute : la responsabilité première de ces situations redoutables incombe au Kremlin. Sans son inexcusable guerre , point de risque de dérapage ! Leur rappel vise, non à relativiser l’ineffaçable faute de Vladimir Poutine, mais à souligner combien la poursuite d’un tel engrenage militaire conduit quasi-inévitablement à une perte de maîtrise des conséquences des actes de protagonistes manifestement désemparés. Ce conflit doit s’arrêter ! Non pour entériner les gains territoriaux russes, mais pour ouvrir la voie à un règlement politique global du conflit dans le cadre d’une reconstruction de l’architecture de sécurité du continent européen.
« CHILE CREA » : LA CULTURE CONTRE PINOCHET
En juillet 1988 à Santiago, alors encore sous la chape de plomb de Pinochet, j’ai eu le privilège d’assister, aux côtés de Jack Ralite, à une formidable démonstration de force du monde de la culture du Chili, entouré de nombre de ses frères latino-américains et d’amis progressistes européens. Quelques mois plus tôt, le 17 novembre 1987, à Paris, un inoubliable « Zénith » lança les « Etats généraux de la culture » et adopta la « Déclaration des droits de la culture ». Parmi les milliers de participants à cet événement, entre-temps devenu légendaire, figurait un grand plasticien chilien : José Balmès, réfugié en France depuis le sinistre coup d’Etat de Pinochet. Inspiré par la mobilisation à la fois culturelle et politique, au sens le plus noble du terme, à Paris, ce communiste décida ce soir-là de prendre l’initiative la plus merveilleuse mais aussi la plus audacieuse qu’on pût imaginer dans le Chili de cette période : retourner à Santiago pour mettre sur pied le plus spectaculaire acte de résistance, par la culture, appelé « Chile crea ». Au mépris du danger, il tint, avec une douzaine d’intellectuels chiliens, en plein Santiago, une Conférence de presse entrée dans l’histoire, pour annoncer cette improbable aventure : « la rencontre de l’art, de la science et de la culture pour la démocratie au Chili » !
Le succès fut au rendez-vous ! D’une initiative à l’autre, on pouvait rencontrer les personnages les plus emblématiques de la résistance culturelle chilienne et latino-américaine, de Sergio Ortega, à qui nous devons « El pueblo unido jamas sera vincido »à Eduardo Galeano, immense écrivain uruguayen, engagé aux côtés des plus humbles et référence de la gauche latino-américaine . Jack Ralite, accueilli avec la chaleur qu’on imagine, devait prendre la parole. Il dut, ce soir-là, trouver une parade instantanée au pire contretemps qu’on puisse imaginer en pareille circonstance : la défection de l’interprète ! Il racontera : « Comme c’était la veille du 14 juillet, j’ai parlé avec le vocabulaire de la Révolution française. Je disais : « Liberté, Égalité, Fraternité ! » Je disais : « Prise de la Bastille ! »; « Robespierre et Danton ! » Je disais : « abolition des privilèges ! »; « La Marseillaise ! »; « Les droits de l’homme ! »; « Valmy ! »… À chaque expression, la salle applaudissait et la reprenait en Français, bien qu’ignorant notre langue ». Admirable alchimie de la France rebelle et de la solidarité internationale !
La solidarité dépassa, du reste, largement les limites des salles prévues pour les rencontres, les dialogues et les expressions culturelles. Un matin, à l’heure où les ouvriers rejoignaient leur usine, tel groupe de visiteurs apporta son soutien aux courageux militants clandestins venus parler aux travailleurs. Tel autre groupe discuta avec les participants à une manifestation contre la faim. Un autre moment, un émouvant hommage fut rendu, devant sa maison, à Pablo Neruda, dont la pensée résume le mieux l’état d’esprit de ces journées mémorables d’il y a 35 ans, dans Santiago en passe de se libérer des années de plomb, lorsqu’il écrivit : « Je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains, sans autre titre que celui-ci, sans être obsédé par une règle, par un mot, par une étiquette. Je veux vivre dans un monde où il n’y aura pas d’excommuniés ».




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