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CES « SURPRISES » QUI RÉVEILLENT L’ESPOIR
Nous vivons des temps difficiles. Les images de guerre et les discours bellicistes envahissent notre quotidien. Les crises humanitaires -telles que les hécatombes en Méditerranée- se succèdent au point d’être banalisées. En Europe, la peste brune s’ étend de pays en pays…Pourtant, à y regarder de plus près, les exemples inverses -initiatives de paix, actions de solidarité, ripostes démocratiques…- sont plus nombreuses qu’il n’y paraît et mériteraient d’être mieux mises en valeur, tant ces « surprises » réveillent l’espoir, ce carburant indispensable à l’engagement. La période présente nous en offre de saisissantes illustrations.
Prenons le cas d’un pays européen proche, où prospère l’extrême-droite : l’Autriche. C’est pourtant là que le modeste Parti communiste (KPÖ) vient de créer localement la surprise, en réalisant un score de 11,7 % qui lui permet de revenir au Parlement de la région de Salzbourg pour la première fois depuis 1949 ! Et qui sait que ce même KPÖ dirige depuis novembre 2021 la deuxième ville du pays, Graz, après y avoir recueilli près de 30% des suffrages ! L’avenir est menaçant, mais des éléments d’une contre-offensive émergent. Il faut que cela se sache !
De la même façon, la tendance à l’accoutumance aux tragédies de la migration peut être combattue par une juste valorisation de la noblesse des volontaires du sauvetage en mer, comme viennent encore de l’illustrer les femmes et les hommes de l’ « Ocean Viking » en sauvant, la veille du 1er mai, 153 personnes migrantes, dont les embarcations dérivaient en Méditerranée centrale.
Plus loin de nous par la géographie, mais tout aussi proche par l’éthique, se situe, par exemple, l’action courageuse du premier Président de gauche de l’histoire de la Colombie, Gustavo Petro. Plutôt que de renoncer à ses promesses de réformes sociales, bloquées par les membres conservateurs de sa coalition, il vient de relever le défi du changement en se séparant de l’aile néolibérale de son gouvernement. Par ailleurs, il vient de réunir les représentants de 20 pays en vue d’obtenir la levée des sanctions contre le Venezuela et la tenue d’élections propres à faciliter la reprise du dialogue politique dans ce pays.
Enfin, comment ne pas se réjouir du début de dialogue entre le Président chinois avec son homologue ukrainien, qui a jugé l’entretien « significatif », Pékin annonçant, pour sa part, envoyer une délégation à Kiev et « mener des échanges en profondeur avec toutes les parties » pour chercher « un règlement politique ». Rappelons que Joe Biden, il y a peu, ne voulait voir dans le « plan de paix » chinois « rien qui puisse intéresser qui que ce soit d’autre que Moscou », tandis que le Secrétaire général de l’OTAN jugeait la Chine « peu fiable »…Certes, la guerre reste dramatiquement à l’ordre du jour, mais l’évocation, pour la première fois à ce niveau, d’un processus de négociation constitue un encouragement inédit à se mobiliser pour une paix juste et durable.
VERS UNE DÉFAITE D’ERDOGAN ? UN ESPOIR ET DES QUESTIONS
Après 21 ans de règne, Erdogan et son parti, l’AKP, risquent l’échec lors du double scrutin du 14 mai prochain : l’élection présidentielle (1er tour) et les élections législatives (à un seul tour). Pour analyser les enjeux de cet événement politique majeur, l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) vient d’organiser une passionnante table ronde (1) : l’essentiel de ce qui suit est inspiré de ces échanges.
Depuis dix ans, les signes d’une volonté de changement de la société turque se sont multipliées : depuis le spectaculaire mouvement de protestation de 2013 jusqu’à la victoire de l’opposition à Ankara, et surtout dans le fief d’Erdogan, Istanbul (16 millions d’habitants), en 2019, en passant par l’irruption du parti progressiste HDP du très respecté Selahattin Demirtas, qui priva pour la première fois Erdogan de la majorité absolue au Parlement en 2015 (et qui est en prison depuis 2016 !) L’hyper-centralisation autoritaire du régime qu’a permise la mise en place d’un régime présidentiel; l’instrumentalisation du coup d’Etat avorté de 2016 pour mener une répression de masse, féroce et arbitraire; l’insupportable ordre moral et conservateur institué par le pouvoir; la profonde crise économique et sociale en cours (une inflation proche de 100%); enfin les graves négligences de l’administration révélées par les récents séismes, ont sérieusement entamé la base sociale du régime.
Dans ce contexte, l’opposition a travaillé à constituer une coalition autour du grand parti de centre-gauche, membre du PSE, le CHP. C’est le Président de ce parti, Kemal Kiliçdaroglu, qui représentera les six partis coalisés à l’élection présidentielle. Le HDP (11 à 13 % des voix) ayant, au vu des circonstances, décidé de ne pas désigner de candidat et d’appeler à tout faire pour battre Erdogan, Kiliçdaroglu a de réelles chances de devenir le prochain président de la Turquie. Tout va dépendre de la dynamique politique à l’œuvre durant les trois semaines à venir.
Si l’éventualité d’une défaite d’Erdogan suscite des espoirs -notamment en matière de démocratie- à la hauteur du rejet d’un régime massivement honni, des questions demeurent sur les changements concrets à attendre, le cas échéant, de cette nouvelle coalition, très hétérogène (avec une dominante de centre-gauche, mais aussi une formation de droite nationaliste et plusieurs anciens Premiers ministres ou ex-ministres d’Erdogan) et divisée sur des sujets majeurs, comme la question kurde, qui doit faire l’objet, en cas de victoire, d’un grand débat au Parlement, le principal atout du HDP étant que la coalition a besoin de son soutien. Par ailleurs, si la volonté de revenir à un régime parlementaire et de pratiquer une gestion du pouvoir moins agressive semblent, le cas échéant, assurée, des incertitudes demeurent sur ce que serait la politique économique des nouvelles autorités. Quant à la politique extérieure (relations avec la Grèce, Chypre, l’Arménie vs l’Azerbaïdjan, l’OTAN, la Russie, la Syrie, l’Afrique…), elle ne devrait pas fondamentalement changer, si ce n’est par un renforcement de la « vocation européenne et occidentale » de la Turquie. A suivre…
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(1) Autour de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, lui-même expert de la Turquie, étaient réunis le 20 avril 2023 Ahmet Insel, économiste et politologue ; Bahadir Kaleagasi, président de l’Institut du Bosphore et Barçin Yinanç, journaliste.
CRISE DE TAÏWAN : SAVOIR RAISON GARDER
Par les temps qui courent, le monde n’a vraiment pas besoin d’une crise internationale de plus ! Les dirigeants européens feraient bien de rappeler cette évidence à leurs alliés américains qui s’évertuent à remuer le fer dans la plaie des relations tumultueuses entre Pékin et les autorités actuelles de Taïwan . Non content d’être le premier fournisseur d’armements de l’île -deux livraisons massives d’armes ont eu lieu depuis l’élection du Président Biden- , Washington cautionne incident sur incident propre à alimenter le climat de confrontation avec Pékin sur ce dossier potentiellement explosif. Après la visite délibérément provocatrice de l’ex-Présidente démocrate de la Chambre des représentants à Taipei en août dernier, l’administration Biden n’a pas trouvé initiative plus appropriée que d’autoriser la réception aux Etats-Unis, par le successeur républicain de Nancy Pelosi, de la première responsable actuelle de l’île chinoise, clairement indépendantiste . Ces bravades successives de Washington envers son grand rival asiatique seraient puériles si elles n’attisaient de très inopportunes tensions dans une région ultra-sensible.
Loin de servir à obtenir de Pékin les nécessaires garanties d’un règlement pacifique du statut de Taïwan, ce type de harcèlement ne fait qu’exacerber les dissensions sinon les risques d’une dérive fatale. Cette attitude vise, en effet, aux yeux de Pékin, à revenir progressivement, dans les faits, sur le principe d’ « une Chine unique » (reconnu par 181 États sur 193), qui fait de Pékin le seul représentant légal de l’île . De fait, Taïwan fait partie de la Chine depuis le 17ème siècle, hormis la période de domination japonaise qui débuta en 1895 et prit fin avec la capitulation de 1945. Taïwan est donc bien une province chinoise. Jusqu’à l’élection de l’actuelle dirigeante de l’île, en 2016, les relations avec Pékin s’étaient du reste, développées sur le plan économique et apaisées sur le plan politique . Le précédent dirigeant de Taipei -qui se rendit en Chine continentale l’été dernier- appela d’ailleurs à un dialogue constructif avec Pékin.
Au lieu d’encourager cette option, excluant toute tentative de « réunification de la Chine »par la force, mais ouverte à un processus de rapprochement négocié, les Etats-Unis prennent le risque d’instrumentaliser la question taïwanaise au service de leur stratégie « Indo-Pacifique », autrement dit de leur bataille de « leadership » avec la Chine. Quel intérêt auraient les Européens à se laisser entraîner dans cette dangereuse impasse ? Quelques inconditionnels de Washington, comme les dirigeants libéraux-conservateurs de la République tchèque ou les très zélés responsables lituaniens, ne se posent pas la question : ce qui est bon pour « l’Amérique » est bon pour eux. Plus symptomatique de la confrontation entre Occident et Chine : pour la première fois depuis 26 ans, une ministre allemande s’est récemment rendue à Taïwan . Sans parler du tollé médiatique suscité en Europe par une banale assertion d’Emmanuel Macron, selon laquelle : « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ». Attention : sur Taïwan, sachons raison garder.
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