Archive for septembre, 2015
LETTRE OUVERTE À NOTRE AMI JÉRÉMY CORBYN
Cher Jérémy,
Je ne sais si tu mesures la joie que suscite ton élection à la tête du Parti travailliste auprès de tes amis -tes « camarades » comme tu n’hésites pas à les appeler- en France comme, j’imagine, dans toute la gauche européenne ! En particulier, parmi celles et ceux d’entre eux qui te connaissent depuis vingt ans et plus et pour qui tu es depuis lors -avec le regretté Tony Benn- la référence par excellence dans la gauche britannique . La dernière fois que nous ayons fait « estrade commune » remonte au mois de mai 2011, à l’occasion d’un magnifique meeting , à Londres, au côté de nos amis de Sinn Fein, consacré au trentième anniversaire de la mort de Bobby Sands, héros et martyr de la cause républicaine irlandaise.
Des causes qui nous ont rapprochés, il y en déjà tant eues : de la libération de Nelson Mandela à la reconnaissance de l’Etat de Palestine ; du refus de la guerre en Irak à la solidarité avec l’Amérique latine ; du refus d’une Europe « blairisée » à l’action pour une « meilleure Europe, défendant la justice sociale et pas la finance » ! Aujourd’hui que tu as réussi l’impensable : engager le Parti travailliste sur la voie de la rupture avec l’héritage empoisonné de vingt années de « thatchérisme soft » insufflé par Tony Blair , de nouvelles perspectives de dialogues, de convergences et d’initiatives élargies se dessinent . Pour cet espoir inattendu et si réconfortant : merci !
L’expérience politique extraordinaire que tu viens de vivre et de faire vivre ces deux derniers mois est , pour toute la gauche européenne, particulièrement riche d’enseignements. Loin des artifices des « communicants » professionnels comme des figures imposées dans les grands médias ; étranger aux mœurs des politiciens à l’égo surdimensionné comme au discours « politiquement correct » de la « gauche moderne », tu es resté celui que nous avons toujours connu : sincère, authentique, modeste, respectueux . Et fidèle à tes convictions qui sont , aujourd’hui comme hier, aussi simples à comprendre qu’essentielles à réaliser : « recréer l’ambition d’une société plus juste »; en finir avec le « tout-austérité » -qui est « un choix politique » et non une fatalité- ; développer les services publics de transports, d’éducation et de santé ; « changer la mission de la Banque centrale » pour que l’argent qu’elle crée aille « aux gens » et serve à « l’emploi qualifié »; nationaliser les chemins de fer et les producteurs d’énergie; relever l’impôt sur les sociétés; maintenir dans le secteur public des banques sauvées de la faillite par l’Etat au moment de la crise de 2008… La même cohérence de gauche se retrouve dans tes propositions de politique internationale , qui se situent aux antipodes des obsessions du « caniche de Bush » : non à la guerre , à l’arme nucléaire et à l’OTAN -« qui aurait dû disparaître avec la guerre froide ». Voilà la politique et le comportement qu’ont plébiscités les centaines de milliers de jeunes qui t’ont permis de vaincre la résistance acharnée des caciques de l’ex-« New Labour » ! Nul doute que ces derniers ne désarmeront pas pour autant. Réhabiliter la gauche en Europe est un combat. Nous nous y retrouverons.
LA « FORTERESSE-EUROPE » SE LÉZARDE
« Le choix est désormais entre le sursaut et la barbarie » écrivions-nous cet été, en appelant de nos vœux la rupture de cette « mentalité de forteresse assiégée » vis-à-vis des réfugiés ( 1). C’est le moment où , aux yeux de François Hollande, il fallait « tout faire pour qu’ils évitent de venir jusqu’à nous » tandis que Manuel Valls repoussait bruyamment toute idée de partage obligatoire de 40 000 demandeurs d’asile entre tous les pays de l’Union européenne. L’Europe ne songeait qu’à se barricader : indigne et mortelle illusion ! Trois semaines plus tard, la crainte du glissement vers la barbarie a commencé à produire un début de sursaut.
Entre-temps , aux effroyables naufrages en mer s’était ajoutée une série de tragédies insoutenables sur le sol européen. Jusqu’à cette découverte du « camion de la honte » à Vienne , au moment même où se tenait dans la capitale autrichienne un sommet européen avec les pays des Balkans consacré, notamment, au problème des migrants . Une semaine plus tard, l’image du petit Aylan provoqua un choc sans pareil en cristallisant sur le visage d’un enfant -si semblable à ceux que nous connaissons toutes et tous- l’horreur que subissent en masse les réfugiés recherchant en Europe un havre de paix.
Ce fut la Chancelière allemande qui, la première, mesura combien cette escalade de drames insupportables réveillait les consciences dans son pays. Elle sut trouver les mots pour être au diapason de la majorité de son opinion publique . Elle surprit tout le monde en proposant d’accueillir 800 000 réfugiés cette année. Elle s’attribua une sorte d’ « hégémonie morale » en donnant l’exemple et en appelant les dirigeants européens à la dignité et à la raison . En passant, elle prit l’initiative ( heureuse ) de briser unilatéralement un tabou -critiqué de toutes parts mais jamais remis en cause- : le règlement dit « de Dublin » qui reporte la prise en charge des demandeurs d’asile sur les seuls pays par lesquels entrent les réfugiés : en particulier la Grèce, l’Italie, la Hongrie, l’Espagne…Enfin, elle transforma son idée propre de « mécanisme permanent obligatoire » d’accueil – portant sur 120 000 réfugiés déjà arrivés en Europe- en « initiative franco-allemande ». Paris s’ est ainsi trouvé co-signataire avec Berlin d’une lettre demandant au président de la Commission européenne d’agir en faveur d’une mesure que la France avait refusée au même Jean-Claude Juncker au début de l’été , qui plus est en triplant cette fois le nombre de personnes à accueillir…
Que retenir de cette lézarde dans l' »Europe-forteresse » ? D’abord, quelles que soient les arrières pensées de la Chancelière -qu’elles soient économiques ( l’Allemagne a un besoin crucial de main d’œuvre en raison du vieillissement de sa population ) ou politiques ( un « magistère moral » au service du rayonnement du pays ), on ne peut que se réjouir de cette première brèche ouverte . D’autres feraient bien d’en « prendre de la graine » : la France, jadis « terre d’asile », en premier lieu ! Ensuite, rien de tout cela ne se serait produit sans la mobilisation de larges secteurs de la société : particulièrement en Allemagne , et ce depuis plusieurs mois, face aux violences criminelles des néo-nazis, poussant même le puissant journal « Bild », habituellement scandaleusement populiste, à lancer une campagne pour rassembler des dons ! Enfin, cette nouvelle donne doit nourrir un élan durable, car nous sommes loin du compte. Nombre de responsables politiques -y compris en France- n’attendent que le reflux du mouvement de solidarité pour revenir à leurs « fondamentaux » égoïstes et sécuritaires. Un vrai défi de civilisation.
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(1) Voir HD du 20/8/2015
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