Archive for février, 2020
BUDGET BLOQUÉ : OÙ VA « L’EUROPE » ?

Le week-end dernier, le « Sommet extraordinaire » des Chefs d’Etat et de gouvernement destiné à sortir du blocage budgétaire de l’UE s’est achevé sans aucun accord. Or, il ne s’agissait pas de n’importe quel budget, mais bien du cadre financier couvrant toutes les dépenses de l’UE pour les sept prochaines années ! Cela représente plus de 1000 milliards d’euros répartis entre les aides aux agriculteurs, les subventions aux régions, le Fonds social européen, les bourses Erasmus pour les étudiants, la grande bataille pour le climat, les crédits de recherche, la politique spatiale, l’action extérieure et même, pour la première fois (hélas !), un « Fonds européen de défense »…Comme ce type de décisions est pris à l’unanimité des 27 Etats membres -avant ratification du Parlement européen-, il s’agit, tous les sept ans, d’un exercice complexe. Pour autant, l’ambiance qui règne en ce moment, à ce propos, au plus haut niveau de l’Union n’est pas banale : « C’est l’heure des règlements de compte » (Libération); « Ça barde entre les 27 » (La Tribune); « Guerre d’usure »(Le Figaro)…
En vérité, cela fait 19 mois que se déroule en coulisse cette méga-négociation pour préparer l’action de l’UE sur la période 2021-2027. Sans résultat, tant le « chacun pour soi » domine désormais la scène européenne. C’est vrai du côté des quatre ou cinq gouvernements qui ne veulent pas entendre parler d’augmentation des dépenses (Pays-Bas, Suède, Danemark, Autriche, Allemagne). Mais cela vaut également pour les autres (dont la France) qui se donnent un peu vite le beau rôle. Certains observateurs ne vont-ils pas jusqu’à présenter ces derniers comme… »ceux qui veulent que l’UE ait les moyens de se développer pour peser sur le monde »: rien de moins ! (1) Rappelons que les premiers veulent limiter ce budget de long terme à 1% des richesses nationales des pays membres, quand les seconds poussent l’audace jusqu’à viser…1,07% (proposition du Président du Conseil européen) ! Et ce alors même que le départ de la Grande-Bretagne prive le budget européen d’un paquet de milliards et que les « nouvelles priorités » affichées (climat, numérique…), à plus forte raison quand elles sont hautement contestables (défense, « protection des frontières »contre les migrants…) ne peuvent en aucun cas être financées au détriment des aides aux agriculteurs ou aux régions défavorisées. Or, l’idée, un moment avancée, d’une taxe sur les transactions financières, s’est enlisée. Et, bien sûr, tous les Etats continuent d’exclure le recours à la création monétaire de la Banque centrale européenne pour financer des investissements d’avenir sans avoir à se soumettre aux exigences déstabilisatrices des « investisseurs » sur les marchés financiers.
Reste le budget. Il est plus que modeste. N’oublions pas que chaque pays riche reçoit sous forme d’aides et de crédits divers plus de 75% de sa contribution. Et cela ne tient pas compte des retours considérables en matière commerciale, culturelle, de rayonnement…Et encore moins des profits colossaux que retirent les grands groupes occidentaux installés dans les pays européens à bas salaires ! Ils en veulent toujours plus. Après quoi, certains s’étonnent de ce que les citoyens ne croient plus à « l’Europe »…
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(1) Jean Quatremer, « Libération » (20/2/2020)
IRLANDE: RETOUR SUR LA « TEMPÊTE MARY-LOU McDONALD »

Les observateurs politiques -qu’ils soient irlandais, britanniques ou français- n’en reviennent toujours pas : le Sinn Fein, le parti républicain, franchement de gauche, qui milite pour la réunification de l’Irlande, a battu, le 8 février dernier, les deux partis de centre-droit qui se sont succédé au pouvoir en République d’Irlande depuis un siècle ! Il est en tête en voix (24,5%) et fait quasiment jeu égal en sièges (37 contre 38) avec l’ex-formation d’opposition, en reléguant à la troisième place le parti du Premier Ministre sortant…Une « Première historique », un « tremblement de terre »; une « tempête » surenchèrent les media depuis dix jours. Ils n’en reviennent pas pour plusieurs raisons. D’abord, que pouvait-on donc reprocher à l’ancien gouvernement du « Tigre celtique » ? Il arborait un déficit public proche de zéro ; sa dette était dans les clous de Bruxelles; son économie était florissante…Que demande le peuple ? Ensuite, comment est-ce possible que tant de gens aient voté pour le Sinn Fein alors même que les principales forces politiques de la République d’Irlande avaient pris soin d’entacher l’image de ce parti en continuant -22 ans après l’accord de paix en Irlande du Nord- de l’associer à la lutte armée de l’ex-IRA ?
Au cœur de cet événement de grande portée , il y a une femme, désormais incontournable: Mary-Lou McDonald, qui a succédé, il y a deux ans, à l’emblématique Gerry Adams à la présidence du Sinn Fein, le seul parti implanté dans les deux parties de l’île. Mary-Lou est loin d’être une inconnue pour nous ! Le groupe de la Gauche Unitaire Européenne (GUE) du Parlement européen avait eu le plaisir de l’accueillir en son sein en 2004, en tant que l’une des deux premières députées européennes du Sinn Fein. Quiconque l’a connue alors et depuis lors n’est guère surpris de sa spectaculaire émergence aujourd’hui. Sa personnalité, forte et élégante; sa sensibilité aux aspirations profondes de son peuple; sa capacité à allier la fidélité à ses convictions et la fraîcheur de son style lui promettaient un brillant avenir. C’est tout naturellement vers elle que se tourna Gerry Adams à l’heure de passer le flambeau, en 2018. Dans le contexte politique actuel de son pays, ses qualités ont magnifiquement porté les choix authentiquement progressistes de son parti. Que valent les « performances » d’une économie ultra-libérale quand les logements sont inabordables, que le système de santé est défaillant, que les personnes sans-abris sont de plus en plus nombreuses ! « Il faut le changement ! » plaida-t-elle. La seule performance qui vaille est celle des avancées pour toutes et pour tous : il faut augmenter les dépenses publiques en les finançant par une hausse des impôts sur le bénéfice des entreprises et sur les revenus des foyers les plus riches ! Il faut bloquer les loyers et faire de la construction de logements sociaux une priorité ! Voilà manifestement ce qu’attendait une partie non négligeable de la population irlandaise. Quant à l’autre grand choix stratégique du Sinn Fein, la réunification de l’île, il est, à l’heure du Brexit -et des menaces que celui-ci fait peser sur la continuité du territoire du Nord au Sud- approuvé par 4 Irlandais sur 5 selon un sondage de l’ « Irish Times » (3/2/2020) !
Il y a 15 ans, un grand quotidien français titrait sur le ton du reproche : « Les communistes prennent la défense du Sinn Fein au Parlement européen » (1). Nous sommes fiers de la pertinence de nos choix d’alors, amplement confirmés aujourd’hui.
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(1) Le Monde (7/5/2005)
QUAND LA COMMISSION « REEXAMINE » SA FAÇON DE GOUVERNER…

Qui l’eût cru : voila que l’institution européenne connue comme la plus rétive à l’autocritique se met à émettre des doutes sur « l’efficacité des règles actuelles » qui régissent depuis une décennie la surveillance bureaucratique et tatillonne des politiques budgétaire et économique des Etats de la zone euro par « Bruxelles » ! Dans une communication adoptée le 5 février dernier, l’exécutif européen reconnaît pour la première fois que les résultats escomptés de sa « gouvernance » ne sont pas au rendez-vous : « la croissance potentielle n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise »; « l’économie des Etats membres reste à la merci d’un ralentissement économique, avec le risque d’un phénomène de contagion qui menacerait le fonctionnement de l’ensemble de la zone euro »…Et, en prime, est-il précisé dans un doux euphémisme, « les règles (…) sont devenues (…) moins propres à emporter l’adhésion politique » (1).
Gageons que les luttes sociales et la désaffection croissante des citoyens et des citoyennes ne sont pas pour rien dans ce laborieux exercice de contrition. Cela fait d’ailleurs plusieurs mois qu’au sein même des institutions européennes, diverses voix se lèvent pour sonner l’alerte. C’est ainsi qu’en septembre dernier, un organe européen indépendant, certes purement consultatif, le Comité budgétaire européen, composé de trois économistes non connus pour leur esprit frondeur, avait publié un rapport qui mettait les pieds dans le plat . D’un côté, notait-il, « la focalisation sur les baisses des dépenses (publiques) a rendu difficile la stabilisation économique « , ce qui veut dire en bon français qu’elle a conduit à un risque prolongé de récession . De l’autre, ajoutait le rapport en question, ces règles ont conduit, de fait, les gouvernements à couper dans des dépenses d’investissements cruciaux pour l’avenir. Bref, soulignait crûment ce texte destiné à la Commission européenne : « continuer avec les règles actuelles finit par coûter cher » ! (2)
N’attendons pas pour autant de voir les indispensables ruptures avec la doxa néolibérale tomber du ciel bruxellois comme la manne du désert ! En revanche, jamais sans doute les conditions ne se sont autant prêtées à une remise en cause franche et massive du dogme des « 3% » du Pacte de stabilité, de la « règle d’or » du traité budgétaire et de toutes les calembredaines présentant l’austérité et la discipline budgétaires comme des règles vertueuses ! Le climat se prête à l’ouverture d’un débat citoyen sur les propositions alternatives aux « solutions » dictées par « les marchés » , aussi bien quant au financement de l’emploi, des services publics, de la transition écologique et de la recherche, qu’en ce qui concerne le type de coopération économique et de coordination budgétaire entre pays membres de l’Union européenne.
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(1) « Réexamen de la gouvernance économique » : communication de la Commission européenne, 5/2/2020.
(2) Rapport du Comité budgétaire européen à la Commission (11/9/2020)
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