Archive for mai, 2018

UE-TURQUIE : LE SILENCE, PRIX DU PACTE AVEC LE DIABLE

Le 24 juin prochain auront lieu des élections présidentielles ainsi que legislatives anticipées en Turquie, les troisièmes en trois ans ! Ainsi en a décidé le dictateur mégalomane Erdogan. Celles de juin 2015 avait provoqué un retentissant coup de tonnerre : le HDP, parti progressiste alors dirigé par Sélahattin Demirtas , qui avait mené une campagne très novatrice, fondée non seulement sur la défense des droits du peuple kurde, mais sur ceux de toutes les minorités, sur l’égalité des genres et sur les valeurs démocratiques en général, obtint 80 élus et empêcha le Chef de l’Etat d’accomplir son rêve de domination absolue en le privant -une première !- de la majorité absolue nécessaire pour changer la Constitution et octroyer les pleins pouvoirs au Président.

Fou-furieux de cet échec, Erdogan convoque alors de nouvelles élections pour le 1er novembre de la même année. La vague de répression contre les Kurdes et les forces de progrès commence aussitôt. Sous couvert de « lutte contre le terrorisme » (le PKK), il organise un déluge de feu sur les villes kurdes . Des arrestations de masse sont opérées. Après avoir, plusieurs mois durant, chauffé à blanc le nationalisme turc en sa faveur, le maître d’Ankara arrache cette fois la majorité absolue. Quelques mois plus tard, la tentative de coup d’Etat de juillet 2016 lui offrira le prétexte rêvé pour se lancer dans de gigantesques purges muselant toute forme d’expression hostile à ses pleins-pouvoirs. Demirtas -pourtant bête noire des généraux putschistes- est emprisonné en même temps que la co-présidente du HDP et de nombreux élus et militants de ce parti . L’état d’urgence est indéfiniment prolongé. En mars 2018, l’armée turque envahit le nord de la Syrie et livre la ville kurde d’Afrin aux djihadistes et aux pillards.

C’est dans ce contexte d’hystérie répressive  et de guerre anti-kurdes qu’est prévu un troisième scrutin ! Une nouvelle loi électorale, très controversée car elle facilitera d’éventuelles fraudes de la part des autorités, est promulguée un mois avant l’annonce des nouvelles élections. Erdogan sent qu’il a besoin d’asseoir sa dictature et veut faire une démonstration de force.

L’Union européenne, si prompte à sanctionner la Russie, assiste en spectatrice à l’écrasement des libertés en Turquie  comme à l’agression militaire contre les Kurdes de Syrie, hier salués pour leur engagement exemplaire de courage et d’efficacité contre Daech. Elle laisse même, sans réagir, Erdogan faire campagne sur le thème de « l’objectif stratégique » que représenterait à ses yeux l’adhésion à l’UE ! Certes, le rapport annuel sur la Turquie publié par la Commission européenne dans le cadre de ces négociations (évidemment au point mort) , rappelle la répression en cours, mais ses réactions restent fort mesurées et purement verbales. C’est que le marché honteux conclu entre l’UE et Erdogan début 2016 de rétention des réfugiés (contre six milliards d’euros) offre à Erdogan le statut confortable de maître-chanteur. Le silence de l’UE est le prix du pacte avec le diable.

31 mai 2018 at 2:33 Laisser un commentaire

DONNÉES PERSONNELLES : QUAND L’UE…JOUE SON RÔLE

Ce 25 mai , le « Règlement général de protection des données personnelles » (RGPD) entre en vigueur. Parmi les nouvelles dispositions, citons : le droit à l’oubli; le consentement explicite de la personne concernée quant à l’utilisation de ses données personnelles; le droit de transférer ses données vers un autre fournisseur de services; celui d’être informé en cas de piratage des données…Désormais, toute entreprise, qu’elle soit européenne ou d’un pays tiers, qui traite des données personnelles sur le territoire de l’UE doit respecter  les droits des personnes concernées par ces données et s’assurer que ses sous-traitants respectent leurs propres obligations. Et surtout : tout contrevenant à ce règlement est passible d’amendes pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4% de son chiffre d’affaire mondial, le montant le plus élevé étant retenu !

Voilà du bon et du solide ! Certains en resteront pantois : c’est le Parlement européen qui, en 2016, après quatre ans de travaux avec le Conseil (les 28 gouvernements de l’UE), a adopté ces nouvelles règles, parfaitement adaptées à l’ère numérique et en avance sur le monde entier ! (1) Objectif : rendre aux citoyens de l’Union européenne  le contrôle de leurs données personnelles et leur garantir un niveau élevé -et identique dans tous les pays membres- de protection de celles-ci. Même quand les données sont transférées hors de l’Union européenne, elles sont couvertes par le RGPD. Les entreprises avaient deux ans pour s’adapter à ce que l’on appelle dans les milieux d’affaires un « big bang européen », tant certaines d’entre elles doivent remettre en cause des pratiques solidement établies. On pense naturellement aux géants de la Silicon Valley. L’un d’entre eux, Facebook, est dans ses petits souliers depuis le scandale « Cambridge Analytica » qui a touché pas moins de 87 millions d’utilisateurs ! Son médiatique président, Mark Zuckerberg, se dit à présent  « déterminé à lutter contre les abus et à vous garantir le contrôle de votre vie privée ». Il se déclare même prêt à « récompenser les gens disposant d’une connaissance et d’une preuve directe de cas où une application présente sur la plateforme Facebook collecte et transfère les données personnelles vers une autre partie pour les vendre, les voler ou les utiliser dans un but d’escroquerie ou pour faire de l’influence politique ». Par message sur les réseaux sociaux et au prix de pleines pages de « Com. » dans les journaux, il cherche à se montrer le premier de la classe en matière de respect du nouveau règlement, jusqu’à se rendre au Parlement européen pour s’expliquer et répondre aux questions des députés!

Morale de l’histoire , un : les fameux « GAFAM » (2), réputés « plus puissants que les États eux-mêmes, peuvent parfaitement être tenus en respect quand , ensemble et déterminés, les pouvoirs publics prennent des mesures adéquates; deux : quand l’UE veut, elle peut; trois : pour qu’elle veuille, rien de tel qu’une implication forte et massive de citoyens, comme c’est le cas sur l’exigence de protection de notre intimité face au commerce, très lucratif, de nos données personnelles.

———
(1) Qui sait que le « net » fut lui-même une authentique invention « européenne » puisque c’est le Centre européen de recherches nucléaires (CERN) qui, après l’avoir créé pour son propre usage, décida d’en faire un commun ?

(2) Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

24 mai 2018 at 12:22 Laisser un commentaire

FACE À TRUMP, LES EUROPÉENS AU PIED DU MUR

Le 8 mai dernier, Donald Trump annonçait le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 sous l’égide de l’ONU et la relance des sanctions. Le même jour, les trois pays de l’Union européenne signataires de l’accord -la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne- ont pris, au plus haut niveau, l’engagement que leurs « gouvernements restent déterminés à assurer la mise en œuvre du JCPOA (l’accord en question), et travailleront à cet effet avec les autres parties qui resteront engagées dans ce cadre collectif (autrement dit la Chine et la Russie, et naturellement l’Iran) , y compris en assurant le maintien des bénéfices économiques liés à l’accord au profit de l’économie et de la population iraniennes ». On ne peut que se réjouir de cette prise de position, si on a à l’esprit la « relation spéciale » unissant notoirement Londres et Washington, ainsi que « l’étroite association » traditionnellement revendiquée par la famille politique d’Angela Merkel « entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique », sans oublier, côté français, les récentes embrassades d’Emmanuel Macron et de son « ami », le Président américain, et leur volonté commune alors exprimée…de « travailler sur un nouvel accord avec l’Iran » !

Les voici donc tous trois au pied du mur. Désormais, leur devoir n’est plus de tenter d’amadouer Trump -ce qui ne fait que souligner aux yeux du chantre de l’ « America first » la faiblesse de son interlocuteur- mais de prouver concrètement leur bonne foi aux dirigeants et au peuple iraniens. « Si l’Europe et l’Iran parviennent à travailler ensemble , (l’accord) peut encore être sauvegardé et le pire évité » souligne Robert Malley, ancien membre du Conseil national de sécurité sous Bill Clinton puis conseiller de Barack Obama, reconnu comme un expert de premier plan des enjeux du Moyen-Orient.

Pour tenir parole, il faudra que l’UE sache affronter la prétention inouïe de la Maison Blanche de sanctionner toute entreprise de quelque pays que ce soit qui -conformément à l’accord agréé par le Conseil de sécurité !- coopérera avec l’Iran. L’Union européenne aura-t-elle la volonté politique suffisante pour refuser de se soumettre à cette pratique hyper-dominatrice dite de « l’exterritorialité » (introduite en lien avec le blocus contre Cuba en 1996) , qui a déjà fait de nombreuses victimes dans le passé ? Elle s’est souvent insurgée verbalement contre ces mesures iniques. Le moment est venu de les contrer dans les faits : il existe du reste un règlement européen, adopté en 1996 et mis à jour en 2015, portant « protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant » (1). Mais le problème posé par l’unilatéralisme forcené de Trump va très au-delà des confrontations économiques : de sa décision de retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat à celle de détricoter les mesures de régulation financière mises en place après le cataclysme de 2007-2008 jusqu’à sa conception du « leadership américain » qui « met en péril la paix du monde comme jamais depuis la Seconde guerre mondiale » (Bertrand Badie), ce personnage est dangereux . Les dernières déclarations des « ténors » européens, telle Angela Merkel proclamant que « l’Europe doit prendre son destin en main » (2) indiquent-elles une amorce de révision déchirante de la relation transatlantique héritée de la guerre froide ? On voudrait le croire, mais il est malheureusement permis d’en douter. C’est en tout cas le moment d’ouvrir en grand le débat sur cet enjeu historique.

———
(1) Voir EUR-Lex. Document 52015PC0048 (COM/2015/048 final)
(2) Lors de la remise du « Prix Charlemagne » à Emmanuel Macron (10/5/2018)

17 mai 2018 at 4:39 Laisser un commentaire

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