Archive for décembre, 2018
CE QUE L’AFFAIRE DE MARRAKECH NOUS DIT DE L’EUROPE
Ce 10 décembre fut l’occasion d’une singulière commémoration de la journée internationale des droits humains ! D’un côté, Emmanuel Macron appela, ce jour-là, dans son allocution télévisée, à un débat sur « la question de l’immigration » en liaison avec « l’identité profonde » de la nation, ce qui rappelle de peu glorieux souvenirs. De l’autre, le sommet de l’ONU qui se tenait à Marrakech pour symboliser l’adoption par la communauté internationale du « Pacte mondial des Nations-Unies pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » a enregistré une série de défections : en l’occurrence près de la moitié des Etats de l’UE ont, l’un après l’autre, récusé ce texte, accusé d’instituer « un droit à l’immigration ». Il s’agissait pourtant d’un document explicitement non contraignant et soulignant en toutes lettres qu’il « respecte la souveraineté des Etats » , mais qui avait, aux yeux des nationalistes et des xénophobes désormais au pouvoir dans nombre de pays membres, l’outrecuidance d’énoncer 23 objectifs visant -oh, scandale !- à « améliorer la coopération en matière de migrations internationales ». Pourtant, lors des discussions préparatoires à ce « Pacte » au sein de l’ONU, une quasi-unanimité semblait se dégager en sa faveur, à la notable exception des Etats-Unis et d’Israël, aussitôt suivis, notamment, par…la Hongrie d’Orban. Aucun autre État membre de l’UE ne faisant alors défection, la responsable de la diplomatie européenne, Federico Mogherini, annonça d’ailleurs que le texte onusien avait « le plein soutien » de l’UE.
C’était sans compter avec le revirement, aussi spectaculaire qu’indigne, de l’Autriche -qui préside l’UE jusqu’à la fin de l’année !- manifestement soucieuse de ne pas être dépassée sur sa droite par son allié de Budapest qui claironnait haut et fort que l’ONU voulait pousser des « millions de personnes à se lancer sur les routes ». Cette surenchère minable entraîna dans la foulée la quasi-totalité des pays d’Europe centrale et orientale, ainsi que l’Italie de Salvini, dans le rejet de ce texte. Du jamais vu dans une « Union » qui aime tant afficher ses « valeurs » et s’ériger en modèle en matière de coopération avec les Nations-Unis. Devant cette ignominie, il m’est revenu en mémoire le magnifique discours de Kofi Annan sur le même sujet devant le Parlement européen (29/1/2004). Évoquant les souffrances endurées par tant de migrants poussés à s’exiler, le Secrétaire Général de l’ONU clama il y a près de 15 ans cette vérité plus actuelle que jamais : « Le silence qui entoure cette tragédie sur le front des droits de l’homme est une honte pour notre monde (…) Tous les Etats ont le droit souverain de décider quels migrants volontaires ils sont prêts à admettre, mais nous ne pouvons pas tout simplement fermer nos portes ou fermer les yeux sur cette tragédie (…) Seule la coopération permettra de mettre en place, entre les pays d’émigration et les pays d’accueil, les partenariats bénéfiques aux deux parties ». C’est cette évidence que tout un pan de pays membres prétend désormais nier. Cette forme de sécession à laquelle pousse, chaque jour davantage, sur des questions touchant à l’essentiel , un certain nombre de pays membres, représente pour l’avenir de l’UE un problème plus grave que le « Brexit ». Un sacré défi .
RUSSIE-UKRAINE : QUELLE ISSUE ?
Cela va faire cinq ans que dure et s’enkyste le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Après la crise de la place Maïdan, les affrontements meurtriers du Dombass, l’annexion de la Crimée, voici l’incident naval dit « de la mer d’Azov ». À chaque fois, Kiev et Moscou se rejettent mutuellement la responsabilité de la brusque dégradation de la situation. Et à chaque fois, les dirigeants de l’UE , parallèlement à leurs homologues des Etats-Unis et de l’OTAN, désignent les bons et les méchants, prodiguent des leçons de morale, voire infligent des sanctions. Mais, évidemment, cela n’a aucune incidence sur le conflit lui-même. Celui-ci poursuit son pourrissement , jusqu’au jour où le dérapage de trop fera basculer les tensions répétées dans un embrasement aux conséquences incalculables. Cette menace est si évidente qu’il est difficile de comprendre l’obstination des dirigeants européens, et occidentaux en général, à ne pas le reconnaître : le conflit entre la Russie et l’Ukraine n’a aucune chance d’être surmonté tant qu’on ne comptera, pour y parvenir, que sur ses deux protagonistes directs , voire qu’on soufflera sur les braises de l’extérieur.
Certes, il y a eu la bonne initiative diplomatique franco-allemande de 2015 qui avait conduit aux Accords de Minsk, censés aboutir -outre le cessez-le-feu immédiat- à un retrait des armes lourdes, à une amnistie totale, à la création d’un statut spécial pour les régions de l’Est de l’Ukraine et à la restauration du contrôle par l’Ukraine de ses frontières extérieures. Mais, quoiqu’on pense de la part de responsabilité des uns et des autres en la matière, force est de constater que ces engagements n’ont pas été tenus, tandis que les risques pour la sécurité internationale -très au-delà de la région concernée- ne cessent de croître. Aussi, au risque de nous répéter, soulignons l’urgence, désormais reconnue par de nombreux experts en relations internationales, de tenir une Conférence réunissant tous les Etats du continent et se fixant pour double objectif l’examen de l’ensemble des contentieux existant ou couvant entre nos pays et l’établissement -sous l’égide des Nations-Unies- de règles communes de sécurité et de coopération à l’échelle des 51 Etats européens, sans distinction de régime.
Une référence vient à l’esprit à cet égard. Elle a marqué tout un pan de notre histoire contemporaine : c’est la Conférence d’Helsinki, qui a réuni de 1973 à 1975, donc en pleine guerre froide, les Etats d’un continent pourtant coupé en deux camps antagoniques. Comment ce qui était possible dans ces conditions ne le serait-il pas aujourd’hui ! L’idée d’une « Conférence paneuropéenne de sécurité et de coopération » a d’ailleurs été émise , il y a dix ans, par le Président russe de l’époque, Dmitri Medvedev. Il mettait en particulier l’accent sur un principe qui mérite effectivement d’être discuté -ce que les dirigeants de l’UE ont refusé de faire pour ne pas gêner l’élargissement de l’OTAN vers l’Est ou l’installation du « bouclier anti-missile » en Pologne et en République tchèque, cher à Washington. Ce principe est celui de « l’indivisibilité de la sécurité » : chaque État signataire d’un tel traité s’engage à ne prendre aucune mesure pour sa propre sécurité si elle contrevient à la sécurité d’un autre État signataire du traité. Voilà un débat qu’ il serait plus qu’urgent d’ouvrir ! Non seulement pour trouver une issue au conflit russo-ukrainien, mais parce qu’une paix durable sur notre continent est à ce prix.
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