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Il fallait tout à la fois le talent légendaire d’un Costa-Gavras et les révélations époustouflantes des enregistrements clandestins de Varoufákis pour obtenir ce film-choc à voir absolument : « Adults in the room » ! On imagine aisément la consternation des 19 tristes sires de « l’euro-groupe » (les ministres des finances des pays de la zone euro , exceptionnellement rejoints par la directrice générale du Fonds monétaire international ) lorsqu’ils ont découvert le pôt-aux-roses : leur « collègue » et ennemi grec, Yànis Varoufákis, avait par devers lui la preuve sonore de leur hystérie anti-Syrisa, de l’effarante brutalité des uns comme de la pitoyable lâcheté des autres face au représentant légitime d’un pays membre de la zone l’euro , dont le seul crime était de vouloir « négocier un compromis » sur la gestion de la crise grecque ! En publiant, en 2017, son livre reproduisant textuellement les propos de ses homologues européens durant les six mois d’affrontements à Bruxelles , l’ex-ministre des finances d’Alexis Tsipras a livré au public un document explosif. Pour la première fois de l’histoire de la construction européenne, le roi est nu.
Encore fallait-il rendre vivants et compréhensibles ces sujets arides et technocratiques : tout en restant fidèle au livre en question, le réalisateur de « Z » et de « l’Aveu » y est pleinement parvenu, jusqu’à nous entraîner, nous spectateurs, dans cette cruelle arène et à faire mesurer et comprendre aux plus indulgents à l’égard de « Bruxelles » l’indignation et la colère du peuple grec. Costa-Gavras -et je le rejoins là dessus- a expliqué qu’il ne se sentait pas pour autant anti-européen, mais que cette cruelle expérience montrait l’urgence d’une démocratisation profonde de cette construction.
Quelles images les plus révélatrices peut-on retenir de ces deux (rapides) heures de projection ? Celle d’un ministre allemand -l’ineffable Wolfgang Schäuble- (et de sa cour) d’une arrogance insupportable, et qui n’a qu’une obsession : bouter la Grèce hors de la zone euro ! Celle d’un ministre néerlandais , personnage insignifiant bombardé Président de l’euro-groupe en raison de sa servilité garantie vis à vis du grand argentier de Berlin et de son absence totale de scrupule à l’égard des victimes désignées par son mentor. Celle d’un piteux ministre français qui se conduit en complice bienveillant de son « ami » grec en privé, avant de se faire donneur de leçon bien « dans la ligne » en public. Celle d’un autre Français, commissaire européen , soumettant au négociateur grec un texte de compromis apparemment accepté par plusieurs pays, avant de se rétracter prestement face au courroux du « Président » dûment briefé par Berlin. Celle enfin d’un cénacle -« l’euro-groupe »- sans existence légale, totalement opaque, et soumis aux volontés du représentant du pays le plus riche : l’illustration-type des carences démocratiques d’une « Europe » foncièrement financiarisée , hiérarchisée et à l’abri des citoyens.
Il paraît que ce film suscite en Grèce un accueil mitigé. Peut-être en est-il ainsi parce qu’il dresse (comme le fait le livre dont il s’inspire) du personnage central, Varoufákis, un portrait de héros exclusif et sans faille… Cela n’enlève cependant rien à la pertinence des découvertes que nous fait faire ce voyage glaçant à l’intérieur de l’un des principaux et des moins connus des lieux de pouvoir européens. Nous en sortons plus solidaires que jamais avec le peuple grec et nos amis de Syrisa.
14 novembre 2019 at 5:34
Nous sommes à sept mois des élections européennes . C’est un devoir démocratique de clarifier aux yeux des citoyens et des citoyennes la part de pouvoir sur les futures décisions de l’UE que leur confère le bulletin de vote lors de ce scrutin.
Rappelons une fois encore qu’aucune directive ni aucun règlement ayant trait au marché unique européen ne peut voir le jour sans qu’une majorité de parlementaires européens ne l’ait adopté.e ! Si la Commission est -scandaleusement- seule à avoir le droit de proposer une loi, elle n’a, en revanche, absolument pas le pouvoir de l’imposer ! C’est le Parlement européen, d’une part, et le Conseil (c’est-à-dire les représentants des gouvernements), d’autre part, qui décident (D’où l’expression : « co-décision ») et amendent comme ils l’entendent chaque proposition de « Bruxelles ». Sans leur accord, le projet de la Commission européenne est mort.
Si nos concitoyennes et concitoyens étaient bien informés de cette seule réalité, nul doute qu’une majorité d’entre eux ne se réfugierait plus dans l’abstention (56% en 2014) ! Et surtout, nombre d’entre elles et eux demanderaient vraisemblablement aux listes en compétition des preuves tangibles de leur engagement de longue date -sur le terrain et dans les institutions européennes- en faveur des attentes de leurs électrices et électeurs. Et ce dans les 85 domaines où s’applique cette « co-décision » du Parlement de Strasbourg et des gouvernements de l’UE. Parmi ces domaines , citons la politique sociale; l’environnement et le climat; les transports; la recherche; la lutte contre les discriminations; l’aide au développement…
Mais les pouvoirs des parlementaires européens ne s’arrêtent pas là. Ils s’exercent également dans le vote du budget, dont les crédits à l’agriculture et les fonds d’aide aux collectivités. Sans oublier leurs prérogatives à l’égard de la Commission européenne : depuis son investiture , en passant par le contrôle de son activité, jusqu’au pouvoir de la renverser…Dans la période à venir, les parlementaires européens auront, en outre, à approuver -ou non- l’éventuel accord de retrait de la Grande-Bretagne de l’UE, ainsi que le cadre financier de l’Union européenne portant sur les années 2021 à 2027 ( représentant plus de 1000 milliards d’euros ! ). Savoir quel sera demain le rapport des forces dans cette Assemblée n’a donc rien de négligeable ! Qui incite, d’une manière ou d’une autre, les citoyens et les citoyennes à négliger ces terrains de lutte, sous prétexte qu’ils ne couvrent (évidemment) pas, et de loin, tous les enjeux de la transformation de l’ « Europe » , leur rend un bien mauvais service.
Tout aussi crucial est, par ailleurs, de faire la clarté sur le rôle -toujours plus déterminant- que jouent les Etats membres, et singulièrement les plus puissants d’entre eux, dans la conduite des affaires européennes. Nous y reviendrons. Mesurons néanmoins d’emblée combien sont trompeurs et dangereusement paralysants les slogans du type de « Bruxelles décide de tout » !
18 octobre 2018 at 6:09
« Nous avons eu un accord historique » a commenté le Premier Ministre grec, le 22 juin dernier, après avoir enfin arraché à ses créanciers un allègement (partiel) de la lourde dette de son Etat -une mesure promise de longue date mais , jusqu’alors, toujours repoussée et soumise à de nouvelles conditions. On peut donc aisément comprendre le soulagement d’Alexis Tsipras sur ce point, à l’issue de cette énième négociation-marathon avec les ministres des finances des 19 pays de la zone euro. Dans l’immédiat, le cauchemar de la dette s’éloigne.
Pour autant, « allègement » ne signifie pas « annulation » ! Les 273 milliards d’euros prêtés à la Grèce par les pays membres de la zone euro et par le Fonds monétaire international (FMI) depuis 2010 devront être intégralement remboursés. La concession finalement accordée concerne 40% de cette somme, soit 96 milliards d’euros provenant du Mécanisme européen de stabilité (MES) , un organisme non prévu par les traités européens et créé en catastrophe en 2012, en pleine crise de la zone euro , pour prévenir un risque de défaillance financière d’un Etat membre. Ces prêts ne devront finalement être remboursés qu’à partir de 2032 et ces remboursements pourront s’échelonner jusqu’à 2069. Le fardeau est donc étalé mais nullement supprimé ! Ce qui a fait dire à la Directrice générale du FMI, Christine Lagarde, elle-même, interrogée sur la « soutenabilité » de cette dette colossale : « Sur le long terme, nous avons des réserves »…
De même, les gains financiers (plusieurs milliards d’euros) réalisés par la Banque centrale européenne sur les titres de dette grecque qu’elle avait acquis durant la crise seront, certes, restitués à la Grèce, comme promis, mais seulement par tranche de 600 millions tous les six mois, à condition qu’Athènes poursuive bien les « réformes » exigées par ses créanciers. D’une façon générale, si la tutelle directe sur les autorités grecques est levée , celles-ci restent l’objet d’une surveillance étroite jusqu’en 2022 ! L’épée de Damoclès qui continuera de planer au-dessus de la tête du peuple grec est particulièrement lourde : le pays est sommé par ses créanciers de réaliser, quoiqu’il en coûte à la population et à l’économie , une performance budgétaire que beaucoup d’experts jugent irréalisable, à savoir un excédent de 3,5% des richesses nationales (hors charges de la dette) jusqu’en 2022 ! La France, par exemple, en est très loin ! C’est dire si le défi lancé par les ministres des finances des Etats de la zone euro à ce pays exsangue est inhumain !
L’affaire grecque ne peut s’arrêter là ! D’abord, elle symbolise jusqu’au paroxysme la contradiction centrale qui oppose une « Europe des marchés » et une « Europe des peuples ». Elle rappelle à qui en douterait encore combien est cruciale la question du « pouvoir sur l’argent » , et, par conséquent, notre capacité à faire de la BCE et de ses missions une question populaire.Ensuite, elle illustre la part de responsabilité écrasante qui incombe aux Etats, dont le nôtre, dans la marche de l’UE. La lutte pour « changer l’Europe » commence donc ici et maintenant
28 juin 2018 at 4:52
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