Archive for janvier, 2016
CE QUE RÉVÈLE LA TENSION ENTRE ROME ET BRUXELLES
Est-ce l’amorce d’une nouvelle crise au sein de la « famille » européenne ? « Il est fini, le temps où quelqu’un pouvait imaginer télécommander l’Italie depuis Bruxelles. Nous ne pouvons plus continuer à vivre dans une position subalterne vis à vis de l’Europe et de l’Allemagne (…) L’Europe est en crise d’identité et plus rien ne lui réussit. Elle doit changer ». Ces récriminations ne sont pas , cette fois, le fait d’un représentant du pouvoir ultra-conservateur polonais, nouveau venu dans le « club » et congénitalement europhobe . Elles émanent de Mattéo Renzi, Premier Ministre d’Italie, autrement dit d’un centriste qui dirige l’un des six Etats fondateurs de la Communauté européenne. Qui plus est, ces propos valent à leur auteur le soutien des deux tiers de la population d’un pays connu depuis plus d’un demi-siècle pour son attachement profond à « l’Europe » !
Ce n’est pas banal qu’un dirigeant du « premier cercle » se permette d’exiger de ses interlocuteurs bruxellois qu’ils descendent de leur piédestal quand ils traitent avec un gouvernement issu du suffrage universel ! Ainsi, quand le vice-président de la Commission européenne , Jyrki Katainen, s’était adressé au ministre français des finances en ces termes -dignes d’ un maître d’école face à un mauvais élève-: « Tout porte à croire que l’ébauche de programme budgétaire pour 2015 prévoit de manquer aux obligations budgétaires qui découlent des recommandations du Conseil sous la procédure de déficit public excessif (…) J’attends donc de connaître votre position dès que vous le pourrez, et si possible d’ici le 24 octobre« , il n’avait reçu en retour nulle mise au point de fond sur la nature des relations de coopération qu’ un pays souverain peut accepter dans le cadre d’une « Union ». Michel Sapin s’était contenté de noter qu’ « il n’y a rien de neuf »… Aussi, en toute logique, aujourd’hui, son ex-collègue du gouvernement devenu Commissaire européen, Pierre Moscovici, a-t-il estimé « injustes » les remontrances de Renzi à la Commission.
LA GAUCHE EUROPÉENNE SOLIDAIRE DU PEUPLE KURDE
Le groupe de la « Gauche Unitaire Européenne » (GUE-NGL) du Parlement européen multiplie , ces jours-ci, les initiatives de solidarité avec le peuple kurde en général, et le grand parti progressiste de Turquie, le HDP, en particulier. D’abord, avec d’autres groupes, il avait demandé et obtenu la tenue d’un débat sur la situation alarmante dans ce pays , lors de la session du Parlement européen qui vient de s’achever. Ensuite, il a apporté son soutien aux intellectuels de Turquie interpellés pour avoir signé une pétition demandant « que l’Etat cesse son massacre délibéré » des Kurdes. Enfin, il s’apprête à accueillir -pour la 12ème année consécutive !- une Conférence internationale sur le thème : « L’Union européenne, la Turquie et les Kurdes », les 26 et 27 janvier prochains à Bruxelles.
Parrainée par plusieurs lauréats du Prix Nobel de la Paix, cette initiative sera notamment marquée par la présence et l’intervention de Selahattin Demirtas, co-Président du parti HDP de Turquie et de Salih Muslim, co-Président du PYD du Kurdistan syrien. Ces deux éminentes personnalités sont aujourd’hui les « bêtes noires » de l’autocrate nationaliste Erdogan. Au premier, le Chef de l’Etat turc ne pardonne pas l’autorité politique et morale acquise en 2015, qui l’ont empêché d’accomplir son rêve obsessionnel : obtenir la majorité nécessaire à l’établissement d’un régime ultra-présidentiel, sorte de néo-sultanat sans contre-pouvoir. Quant au second, il a, aux yeux du maître d’Ankara, commis le crime rédhibitoire de construire , dans la région kurde de Syrie ( Le Rojava , frontalier avec la région kurde de Turquie ), une entité autonome. Pour torpiller cette expérience démocratique -menée à bien au prix d’un combat héroïque de tous les jours contre les terroristes de « Daech »- Erdogan , paniqué à l’idée d’une contagion de l’exemple des Kurdes de Syrie parmi la minorité kurde de Turquie, a manifesté les complaisances ignobles que l’on sait à l’égard du groupe « Etat islamique ». C’est dire si nous suivrons avec un intérêt tout particulier les témoignages de ces deux invités de marque, et si notre soutien leur est acquis !
Il nous appartient aussi de nous tourner vers les dirigeants de la France , qui, dans le même mouvement que ceux de l’Union européenne , apportent au régime Erdogan une caution devenue insupportable dans le contexte actuel. C’est une véritable guerre que ce tyran a relancé contre les Kurdes : avec ses morts et ses blessés par milliers, ses innombrables destructions jusque dans les quartiers historiques des villes, son climat de terreur, ses interminables couvre-feu, ses arrestations de masse , en particulier d’élus du HDP, ses menaces directes contre le leader de ce parti, Demirtas -ce défenseur infatigable d’une solution politique et non militaire du conflit- , et, à présent, sa chasse aux sorcières contre tous ceux qui osent critiquer cette fuite en avant vers le chaos, aussitôt assimilés à des « complices des terroristes » ! Cet homme est irresponsable et dangereux. Il ne peut en aucun cas être notre « allié » !
IL FAUT SAUVER LES EFFORTS DIPLOMATIQUES SUR LA SYRIE !
Assiste-t-on au torpillage délibéré de la mince mais inespérée chance de construction d’une transition politique en Syrie , seule issue à cette guerre atroce dont se nourrit Daech ? En exécutant le dignitaire chiite Nimr Al-Nimr , opposant résolu mais pacifique au régime féodal d’Arabie saoudite, Ryad pouvait-il ignorer que sa provocation à l’encontre de la communauté chiite en général et de l’Iran en particulier allait jeter de l’huile sur le feu des lourds contentieux qui opposent les deux puissances rivales du Proche-Orient et , partant, les deux courants de l’Islam que celles-ci prétendent représenter ?
Tout se passe comme si le nouvel homme fort de la dynastie wahhabite , obsédé par le retour de l’Iran sur la scène internationale, redoutait qu’un règlement politique de la crise syrienne ne permette par trop à Téhéran de mettre le pied à l’étrier . Or, pour qui voulait enrayer la dynamique diplomatique en marche, le temps pressait : le 25 janvierprochain, le représentant spécial de l’ONU en Syrie, Staffan de Mitsura, devait réunir à Genève des émissaires du régime de Damas et de l’opposition pour explorer la possibilité d’aboutir à un gouvernement de transition ! La « communauté internationale » -en l’occurrence les États qui travaillent depuis des semaines à créer les conditions d’une négociation susceptible d’ouvrir la voie à une hypothétique solution politique au conflit syrien- ne peut laisser s’évanouir le timide espoir de paix qu’elle vient tout juste de faire naître !
Rappelons les progrès prometteurs enregistrés à cet égard au cours des dernières semaines . Le 30 octobre 2015, une première session de la Conférence de Vienne réunit , sous l’égide de l’ONU, 17 pays parmi lesquels les pays occidentaux, la Russie, l’Iran ( une « première » ! ), l’Arabie saoudite et la Turquie ! Tous appellent à un cessez-le-feu ( sauf concernant le groupe « Etat islamique » !) dans toute la Syrie, à l’ouverture de négociations entre le pouvoir de Damas et l’opposition, et à la tenue d’élections. Il demeure évidemment de profondes divergences entre les protagonistes de cet accord, notamment sur le sort de Bachar Al-Assad, mais un cap majeur est franchi. Le Secrétaire d’Etat américain, John Kerry , a même déclaré qu’il n’insistait pas sur le changement de régime. Quant à la France, elle a renoncé à faire du départ d’Al-Assad un préalable. Ce sera, le moment venu, aux Syriens d’en décider.
Le 14 novembre, les mêmes se retrouvent dans la capitale autrichienne. Cette fois, ils s’accordent sur une feuille de route pour une transition politique en Syrie : « cessez-le-feu » , » processus mené par les Syriens » qui établira « d’ici six mois » un calendrier pour rédiger une nouvelle Constitution », « élections libres » dans les 18 mois…On imagine l’empressement de l’Arabie saoudite, « parrain » officieux des djihadistes « modérés » du Front al-Nosra, branche d’Al-Qaeda en Syrie, à s’engager dans ce processus…Enfin, le 18 décembre dernier, le Conseil de sécurité des Nations-Unies adopte à l’unanimité la résolution sur une sortie de crise en Syrie . Après quatre ans et demi de guerre sans merci, ce fut une avancée historique ! La véritable bataille pour la paix pouvait enfin commencer. C’est tout ce fragile édifice que la provocation de Ryad menace aujourd’hui .
On attend de Paris, qui s’est, jusqu’ici, suffisamment compromis avec le régime saoudien, devenu, au prix d’une escadrille de « Rafales », son allié privilégié dans la région, qu’il pèse de tout son poids, et sans perdre de temps, pour obtenir de Ryad la fin d’une escalade irresponsable et le retour à la table des négociations.
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