Posts filed under ‘Hongrie’
QUELLES PROPOSITIONS ALTERNATIVES DE GAUCHE POUR L’EUROPE ?
(Paru dans l’Humanité du 13/4/2019)
Faire « des propositions alternatives pour l’Europe » ne vaut que si l’on ne sépare pas le projet en question du chemin susceptible de permettre sa réalisation progressive. Et, à cet égard, les grandes ruptures de demain passent par les conquêtes partielles d’aujourd’hui.
Dans cet esprit, je commencerai par évoquer l’enjeu européen immédiat : la possibilité offerte à chacune et chacun d’entre nous de contribuer à changer la composition du Parlement européen d’ici un peu plus d’un mois. Et ce n’est pas un petit enjeu ! Il nous appartient notamment de faire connaître les véritables pouvoirs de cette Assemblée, qui, contrairement à une idée reçue, sont loin d’être négligeables. Combien de nos concitoyennes et concitoyens savent-ils, par exemple, que ce n’est pas la « Commission de Bruxelles » qui décide des « directives » ou des « règlements » européens, mais les parlementaires européens, conjointement aux représentants des 27-28 gouvernements , sur la base de projets de la Commission ? (Pour mémoire, la directive européenne sur laquelle s’est appuyé Emmanuel Macron pour justifier l’ouverture totale de la SNCF à la concurrence a failli être rejetée au Parlement européen à …24 voix près ! Si 13 députés (sur 704 votants) avaient voté pour le rejet au lieu de s’y opposer, la donne aurait changé !) Parler de « l’autre Europe » en négligeant ce premier terrain d’intervention politique ne serait donc pas pertinent, à mes yeux.
Naturellement, ce premier geste élémentaire doit s’inscrire dans une vision à plus long terme , porteuse d’une ambition politique qui soit en rupture avec la logique libérale et autoritaire des traités actuels. Quelques axes peuvent illustrer ce projet alternatif.
Le premier est sans doute l’exigence d’un renversement des priorités de la construction européenne. Aujourd’hui, c’est la satisfaction des « marchés », notamment financiers. Demain, ce doit être l’épanouissement des humains : « L’Europe des gens, pas de l’argent », comme dit Ian Brossat. C’est à dire que tous les moyens disponibles doivent être mis d’abord et avant tout au service de ces nouvelles priorités. Et notamment les moyens financiers colossaux que l’UE est capable de mobiliser : ceux de la Banque centrale européenne (BCE, qui a le pouvoir inouï de créer de l’argent à partir de rien dans des proportions considérables), tout comme ceux qui résulteraient d’une lutte conséquente contre l’évasion fiscale (que le Parlement européen a, lui-même, évalué à quelque 1000 milliards d’euros par an !). Les dépenses publiques, à l’opposé de leur rationnement actuel, doivent être massivement augmentées en faveur de la promotion des capacités humaines : éducation , formation, santé, recherche, culture…
Autre axe majeur de cette nouvelle Europe à construire : une nouvelle approche sociale de l’écologie. A l’opposé de mesures qui pénalisent les plus modestes -et mettent artificiellement en concurrence l’environnement et le social- , il faut des décisions structurantes qui réorientent les politiques menées pour les rendre « éco-compatibles » : développement du rail, ferroutage, taxation du kérosène utilisé par les compagnies aériennes ou du carburant des porte- containers, arrêt des traités de libre-échange, réforme de la PAC dans le sens d’une transition écologique effective…
Un autre axe incontournable d’une « Europe refondée » est la solidarité . Cela vaut pour le fonctionnement interne de l’UE , comme dans les relations extérieures de celle-ci. Ainsi, toute forme de « dumping » social et fiscal ou de mise en concurrence des travailleurs doit être proscrite. Les services publics sont au cœur de cette réorientation de l’économie. Dans le même esprit, les moyens de la BCE (prêts quasi-gratuits à long terme ) doivent permettre d’agir contre les inégalités de développement entre pays , à l’opposé de la « concurrence libre et non faussée » . Concernant les migrations, les conditions d’un accueil digne des personnes à la recherche d’un havre de paix doivent être créées pour mettre un terme définitif à l’hécatombe criminelle dans laquelle « l’Europe » actuelle perd son honneur. La politique économique avec les pays tiers doit, à l’opposé du libre-échangisme actuel, reposer sur des coopérations mutuellement bénéfiques, sans domination.
Un quatrième axe est l’engagement pour la paix , en tournant le dos à l’OTAN et en œuvrant pour un traité de sécurité collective pour tout le continent européen . Quant à la vente d’armes , particulièrement à des pays en conflit , elle doit être proscrite !
Enfin, un axe majeur traverse tous les autres : le respect de la souveraineté populaire. Il faut que les coopérations entre Européens soient fondées sur des choix démocratiques de chaque peuple. Tous les peuples de l’UE ne feront pas les mêmes choix. Dans certains domaines, les coopérations européennes se feront à 27 ou plus. Dans d’autres, à 3, à 10 ou à 15. Naturellement, les choix de chaque peuple doivent être cohérents : on ne peut, par exemple, attendre la solidarité des autres et la leur refuser en retour. Bref, en impliquant les citoyens de chaque pays dans la construction de leur Union et en leur garantissant qu’ils ne seront pas entraînés là où ils n’ont pas décidé d’aller, nous souhaitons lever les réticences de plus en plus fortes à coopérer avec les autres peuples. C’est ce que les communistes appellent une « Union de nations et de peuples souverains et associés » .
UNE EXPÉRIENCE EUROPÉENNE A MÉDITER
Pour illustrer concrètement la façon dont s’élaborent les législations européennes -non seulement dans les institutions mais sur le terrain- arrêtons-nous sur un « dossier » emblématique en cours de négociation : à savoir l’ensemble de textes appelés à réviser les règles du transport routier (de marchandises), ce qu’on appelle, dans le jargon de l’UE, le « paquet mobilité ».
Les parlementaires européens qui ont été -et restent- en pointe dans cette bataille acharnée en retiennent avant tout l’ampleur du mouvement social qu’elle a occasionné dans de nombreux pays de l’UE : rassemblements unitaires devant le Parlement européen ; actions de sensibilisation des populations ; blocages d’aéroports pour faire pression sur les gouvernements…C’est que l’ enjeu -on ne peut plus européen puisque les poids lourds circulent librement dans toute l’UE- est hautement sensible à plus d’un titre . Social : le secteur en question fait travailler 5 millions de personnes dont quelque deux millions de chauffeurs routiers, victimes de la concurrence sauvage imposée par le « libre marché ». Écologique : cette activité représente à elle seule 20% des émissions totales de l’Union européenne . Politique : des divergences opposent les pays d’Europe centrale et orientale aux États d’Europe occidentale sur le niveau d’exigence des règlementations à mettre en place. En matière de sécurité, enfin : plus il y a de camions mal équipés ou de conducteurs surexploités sur les routes, plus l’ensemble des usagers courent de risques.
S’il est aujourd’hui possible d’espérer pouvoir aboutir à quelques avancées dans les prochaines semaines, c’est précisément dû à l’interaction permanente -depuis plus d’un an- entre des travailleurs combatifs et rassemblés, s’appuyant sur des organisations syndicales coordonnées à l’échelle européenne comme la Fédération européenne des travailleurs des transports (ETF) et des parlementaires européens déterminés à jouer leur rôle au service d’ « une Europe des gens, pas de l’argent ».
Un simple coup d’œil sur la liste, non exhaustive, de mesures négociées dans ces conditions entre le Parlement européen et le Conseil (les représentants des gouvernements) nous donne une idée du bras de fer que cela représente : règlementer les conditions d’accès à la profession , s’agissant de véhicules utilitaires opérant à l’international; limiter strictement le rythme de travail et le repos en cabine des chauffeurs; encadrer la pratique du cabotage (chargement et livraison sur le territoire d’un autre État que celui de la société de transports); faire obligation à l’employeur d’accorder des jours de carence entre deux périodes de cabotage et de prévoir un retour au domicile du chauffeur toutes les trois ou quatre semaines; imposer la rémunération du conducteur aux conditions du pays qu’il traverse; équiper les véhicules de taquygraphes « intelligents » permettant de renforcer le contrôle du respect des règles; empêcher la prolifération de sociétés-« boîte-aux-lettres » ; faire obligation aux constructeurs d’introduire de nouveaux dispositifs de sécurité dans les véhicules , notamment pour le freinage d’urgence…Une expérience à méditer à l’heure des choix à venir.
1918-2018 : TIRONS LES BONNES LEÇONS DE L’HISTOIRE.
A la veille de la commémoration du centenaire de l’Armistice de 1918, il n’est pas vain de rappeler quelques vérités élémentaires qui ne semblent toujours pas évidentes pour tous.
Ainsi entend-on certains vouloir « célébrer », y compris par un défilé militaire, la « Victoire » de 1918. Peut-on encore s’en glorifier, un siècle après cette barbarie, qui a fait près de 10 millions de morts et 21 millions de blessés, et fut « essentiellement l’oeuvre des hauts industriels des différents Etats de l’Europe, qui la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent (et dans laquelle) on croit mourir pour la patrie; (mais) on meurt pour les industriels » (Anatole France dans « l’Humanité » du 18/7/1922) ?! A l’heure où s’émoussent nombre de repères et se rompent des digues vitales pour assurer une paix durable, il faut réagir contre ce type de re-formatage réactionnaire des esprits .
Cette nécessaire vigilance ne concerne pas seulement l’analyse du premier conflit mondial lui-même mais aussi la gestion irresponsable des suites de la « victoire » en question. Cela nous renvoie au traité de Versailles, dont le centenaire, en 1919, sera à surveiller de près. N’a-t-il pas servi de levier à Hitler pour créer les conditions de son accession au pouvoir en 1933 ? « La guerre 39-45 trouve son origine dans les dispositions du traité de Versailles » reconnait un ancien diplomate français , pourtant grand défenseur de Georges Clemenceau qui fut le négociateur le plus intransigeant de ce traité (1). Le thème de l’humiliation infligée à la nation allemande par le « Diktat » de Versailles a imprégné des générations d’Allemands.
En outre, avec les « traités annexes » (Saint-Germain-en-Laye, Trianon, Sèvres, Lausanne…) , Versailles et ses suites ont redessiné le continent européen dans un sens et dans des conditions qui se reflètent encore aujourd’hui -ou plutôt à nouveau- dans la montée des nationalismes , dans bien des pays européens . Dans la Hongrie d’Orban, par exemple, la référence au traité de Trianon , signé dans la foulée de celui de Versailles, est omniprésente pour entretenir la nostalgie revancharde des frontières de la Hongrie d’avant le « vol » , en particulier de la Transylvanie rattachée à la Roumanie en 2020 en guise de récompense pour son ralliement de dernière heure aux vainqueurs de la guerre de 14-18. D’ores et déjà, des manifestations commémoratives sont annoncées à Budapest pour le Centenaire de Trianon , qu’Orban souhaite « grandiose et tragique »…De l’autre côté de la frontière, les nationalistes s’apprêtent, au contraire, à célébrer le souvenir de la « Grande Roumanie » héritée de Trianon . C’est comme cela que se nourrissent mutuellement les nationalismes sans que l’on sache jusqu’où ils peuvent conduire des peuples désorientés.
Ces questions ont donc toute leur place dans le débat sur l’avenir de l’Europe, dans et au-delà de l’Union européenne. Répétons à ce propos , une fois encore, l’intérêt majeur que représenterait , dans ce contexte, le lancement d’un processus visant à réunir au plus vite une nouvelle « Conférence pan-européenne de sécurité et de coopération » associant tous les pays du continent et impliquant les sociétés civiles à sa préparation et à son déroulement.
————
(1) Jacques-Alain de Sédouy, dans un entretien accordé à la Mission du Centenaire .
Commentaires récents