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MACRON ET LA « SOUVERAINETÉ EUROPÉENNE
« Il y a des mots qui font vivre… » écrivit Paul Eluard. Bien compris, le mot « souveraineté » est de ceux-là. Le droit de chaque peuple de choisir son destin est imprescriptible. Naturellement, la liberté de choix ne peut faire abstraction du contexte historique dans lequel elle s’exerce. Dans le monde où nous vivons, la croissance des interdépendances appellent de plus en plus de co-responsabilité entre partenaires dans un cadre multilatéral. Tout le monde a à l’esprit les négociations et les compromis permanents qu’implique l’imbrication des économies. Ou les coopérations qu’appelle une maîtrise démocratique de la révolution numérique. D’une façon générale, il est indéniable que les enjeux communs à toute l’humanité sont, de nos jours, légion : de la coordination de la lutte contre le réchauffement climatique à la gestion humaine de la mobilité -choisie ou forcée- des personnes, en passant par la prévention des conflits et la coopération au développement. Souveraineté populaire et solidarité planétaire doivent, aujourd’hui, se conjuguer.
Comment articuler ces deux exigences potentiellement conflictuelles ? Il faut ouvrir un vrai débat citoyen à ce sujet, sans en éluder la complexité. Certains grands esprits préfèrent jouer sur les mots plutôt que d’affronter d’éventuelles contradictions. C’est le cas d’Emmanuel Macron. Il pense régler le problème en transposant l’idée de souveraineté au niveau européen. Problème : une « souveraineté européenne » est-elle vraiment possible ? Elle ne pourrait, en tout état de cause, remplacer la souveraineté de chaque peuple de l’UE : il n’existe pas, pour l’heure, UN « peuple européen », mais DES peuples européens, au demeurant d’une grande diversité. En outre, cette formulation présuppose que les pays membres et les peuples de l’UE sont unis par une profonde solidarité et une vision commune des enjeux mondiaux -ce qui est, par les temps qui courent, une hypothèse plutôt hasardeuse !
Mais surtout : qu’entend, au juste, le Président français par « souveraineté européenne » ? Le premier domaine concerné est, à ses yeux, la défense européenne, « très profondément complémentaire de l’OTAN »…et incluant la Grande-Bretagne. Deuxième dimension de cette souveraineté européenne : « être mieux capable de protéger nos frontières ». Contre quel ennemi ? Face à « la crise migratoire inédite (que) l’Europe vit depuis 2015″. Jusque là, c’est « du Macron pur jus ». Le troisième domaine cité mérite, en revanche, discussion. C’est « la souveraineté industrielle et climatique (ainsi que) technologique ». Que ce serait bien, en effet, si les grandes entreprises de nos pays coopéraient au lieu de se faire la guerre, si le crédit allait aux coproductions européennes et aux efforts communs pour la transition écologique et non aux opérations financières, si l’Europe se donnait les moyens de se passer des GAFAM, si la création d’emplois en Europe était privilégiée sur la course au profit sur les
grands marchés juteux du monde ! Avec des « si »…Le rêve de Macron est plus prosaïque : il veut une Europe qui favorise « les champions au niveau d’un marché mondial ». La souveraineté, c’est autre chose.
LE COÛT HUMAIN ET ÉCOLOGIQUE DE LA COURSE AU PROFIT
Il y a des coïncidences parlantes : le 6 mai dernier s’est ouvert le procès « France Télécom » qui doit juger une entreprise du CAC 40 et sept de ses anciens dirigeants pour « harcèlement moral » ayant poussé à bout nombre de salariés jusqu’à conduire à une consternante vague de suicides ; le même jour, le Sommet mondial de la biodiversité lançait, depuis Paris, son appel solennel à éviter la première extinction de masse des espèces causée par les humains ! Qu’est-ce qui rapproche ces deux événements ? La course au profit à n’importe quel prix ! Dans le premier cas, l’ancien patron, Didier Lombard, a notamment évoqué « l’agressivité de la concurrence » pour justifier les « transformations pas agréables imposées à l’entreprise », au prix d’une déstabilisation organisée des salariés destinée à pousser 22 000 personnes vers la sortie… »d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », selon l’élégante formule du PDG en 2007. « Management par la terreur » écrira un technicien avant de se donner la mort ! L’enjeu du « crash programme » de l’ex-direction ? Confirmer la pleine réussite de la privatisation de l’ex-service public en dégageant « sept milliards de cash flow », selon le directeur dit « des ressources humaines » ! Insoutenable.
La même logique prédatrice et irresponsable conduit à ce que « la santé des écosystèmes dont nous dépendons (…) se dégrade plus vite que jamais » car « nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier », selon l’avertissement du président du « GIEC de la biodiversité », Robert Watson. Agriculture intensive et agro-business ; sur-pêche; déforestation massive; marchandisation du vivant; croissance non soutenable; pollutions non contrôlées… sont autant de pratiques relevant de différentes formes de « néolibéralisation de la nature ».
Et l’Europe dans tout cela ? La tragédie de France Télécom a directement à voir avec le grand virage libéral de « l’économie de marché ouverte où la concurrence est libre » engagé dans les années 90. En matière de biodiversité, la réalité européenne est plus contradictoire : l’Union européenne dispose d’une politique en ce domaine depuis plusieurs décennies, le problème réside dans le manque de volonté des Etats membres d’aller au bout de l’ambition affichée, précisément parce que celle-ci se heurte à la logique néolibérale en vigueur. En 2011, elle a adopté une nouvelle stratégie sur 10 ans pour la préservation de la biodiversité, conformément aux engagements pris lors de la Convention internationale de Nagoya (Japon) (1). Problème -illustré spectaculairement par l’affaire du glyphosate où la Commission a épousé les thèses de Monsanto contre l’avis de l’Organisation mondiale de la santé !- : la politique européenne en matière de biodiversité « constitue un exemple classique de politique qui ne tient pas ses promesses (…) bien qu’elle ait parfaitement cerné les problèmes ». (2)Pour le social comme pour l’écologie, la rupture avec la logique libérale est la condition du changement.
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(1) Voir Chronique de F. WURTZ (Humanité-Dimanche du 4/11/2011)
(2) CESE (septembre 2016)
POUR « L’HUMANITÉ » , PARCE QU’ELLE EST UNIQUE
Jeune étudiant en philo, à la veille des « événements » de 1968, sympathisant communiste plein de bonne volonté mais davantage imprégné de l’air du temps que de culture politique, je me vois encore devisant avec mon voisin d’amphi sur un journal dont je ne connaissais, pour ainsi dire, que le nom : « l’Humanité ». Mon camarade ne semblait guère mieux informé que moi : « Il paraît qu’il est illisible » s’était-il tout juste hasardé. Il en avait dit trop ou pas assez. Nous voilà donc partis à la recherche d’un quotidien apparemment sans intérêt, pour en avoir le cœur net. Avec l’ardeur de néophytes , nous l’avons ausculté avec soin, page par page, pour conclure de concert que, ma foi, c’est pas si mal que ça, et même pas mal du tout. C’est ainsi que « l’Huma » fit son entrée dans mon petit monde. Qu’elle a durablement contribué à façonner.
Depuis bien longtemps, mes activités me conduisent à lire régulièrement de nombreux titres, qui m’apprennent souvent bien des choses, mais aucun d’entre eux, à mes yeux, ne peut remplacer l’ Huma. D’abord parce que « le journal de Jaurès » devenu celui des communistes est aujourd’hui le seul en France à se réclamer franchement de la gauche, du « peuple de gauche », des valeurs de gauche. À ce titre, il nous permet de disposer d’informations et d’analyses précieuses à qui veut exercer son esprit critique dans le contexte d’une impitoyable bataille d’idées. Mais, pour beaucoup d’entre nous, il y a plus : l' »Humanité » est unique dans sa capacité à faire vivre au concret et dans la durée une « certaine idée » de la société et du monde.
Quel autre journal nous aurait permis de vivre, 1336 jours durant, au côté de ses acteurs qui nous sont peu à peu devenus familiers, le conflit emblématique des « Fralib », jusqu’au succès final ? Nous avons eu droit à bien plus que des informations utiles : une véritable leçon de choses en matière de refus du fatalisme, de créativité dans les formes de lutte et du poids de la solidarité. De même , qui a oublié l’expérience exemplaire de démocratie citoyenne qu’a représentée la campagne pour le « non de gauche » au projet de traité constitutionnel européen , irriguée de bout en bout par les révélations et les arguments de « l’Humanité », de septembre 2003 à mai 2005 ! Ou encore, mesure-t-on bien ce que doit aux campagnes de solidarité légendaires relayées et stimulées par « l’Humanité » l’émergence, tour à tour, dans notre pays, d’une « génération Vietnam » ou d’une « génération Mandela », pour ne citer que celles qui ont précipité puis enraciné mon propre engagement ? Mais servir une cause suppose de ne pas la célébrer quand elle rayonne pour l’oublier quand elle traverse une passe difficile. C’est aussi à cela qu’on reconnaît l’éthique de « l’Humanité », par exemple quand elle traite sans relâche des succès comme des revers du peuple palestinien ou du peuple kurde dans leur long et difficile combat pour leurs droits fondamentaux, ou qu’elle ne dévie pas de sa ligne solidaire avec les migrants, même lorsque son message se heurte à des incompréhensions. Pareillement quand elle s’en tient indéfectiblement au parti-pris de l’amitié entre les peuples et de la paix quand des vents mauvais soufflent dans le sens du nationalisme et des aventures guerrières. Telle est notre « Humanité » : continuons à lui permettre de mériter son titre auprès du plus large public possible.
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