Archive for octobre, 2019
UE : CES CRISES QUE NOUS CACHE LE BREXIT…
Le Brexit est naturellement une vraie crise pour l’Union européenne ! D’abord, parce que, pour la première fois, en plus de soixante ans d’existence, un pays membre, qui plus est de première importance, décide de se retirer d’une communauté conçue pour durer. C’est là, incontestablement, pour l’UE, un grave échec politique qui laissera des traces. Ensuite, du fait des conséquences concrètes, potentiellement déstabilisantes -et pas que sur le plan commercial- , pour les gens eux-mêmes, de la rupture des liens étroits tissés entre partenaires durant des décennies. Ce saut dans l’inconnu, dans le contexte mondial actuel, risque de coûter cher à de nombreux Britanniques mais, de ce côté-ci de la Manche, on aurait tort de hausser les épaules : les incertitudes sont également lourdes pour les « 27 ». Il est donc parfaitement légitime que l’on accorde à la crise euro-britannique toute l’importance qu’elle requiert.
Cependant, de même qu’un train peut en cacher un autre, une crise peut nous empêcher d’en voir une ou plusieurs autres. C’est le cas du Brexit. Le dernier Conseil européen, ce 18 octobre, nous en a fourni une triste illustration. Les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, miraculeusement d’accord , pour l’essentiel, sur l’attitude à adopter vis-à-vis de Londres, ont étalé leurs profondes divisions sur tous les autres grands sujets à l’ordre du jour du Sommet : en particulier, la question cruciale du budget prévisionnel pour la période allant de 2021 à 2027. Autrement dit, la traduction en chiffres de la vision commune pour les sept prochaines années. Or, de « vision », il n’y en a point, dans l’UE : la dérive néolibérale y est devenue si débridée que chaque gouvernement ne cherche plus qu’à en tirer le meilleur profit pour la « compétitivité » de ses firmes protégées ou pour sa clientèle électorale. Il n’y a donc eu d’accord sur « aucune ligne directrice, rien ! » a dû constater le Président de la Commission -sur le départ-, Jean-Claude Juncker.
D’un côté, tous les États veulent que l’UE se lance dans de nouvelles dépenses : parfois franchement mauvaises, comme le renforcement des moyens permettant de freiner des quatre fers l’arrivée de migrants ou la montée en gamme d’une « défense européenne »; parfois, à l’inverse, des investissements indispensables, comme le développement du numérique…De l’autre côté, la plupart des Chefs d’Etat ou de gouvernement ne veulent pas entendre parler d’augmentation, même minime, de leur contribution au budget, ne serait-ce que pour compenser la perte de 12 milliards d’euros par an du fait du départ du Royaume-Uni. Même une proposition de compromis proche du ridicule -faire passer le budget de 1,03 % à 1,08 % des richesses produites par an par les « 27 »- a été rejetée. Aucun pays n’envisageant évidemment de renoncer aux mauvaises dépenses, certains préconisent des coupes sèches dans les rares mesures de solidarité encore existantes : les aides aux agriculteurs et les «fonds de cohésion » destinés aux pays les plus pauvres de l’UE. Inacceptable ! Voilà un débat qui méritera dans les mois à venir une attention soutenue que même le Brexit ne devra pas occulter.
QUAND LES EUROPÉENS SE METTENT À DOUTER DE L’OTAN…
« Les Etats-Unis semblent s’acharner à affaiblir leurs alliés (…) Ce ne sont pas seulement leurs alliés kurdes qu’ils trahissent, c’est la notion même d’alliance. Après l’abandon spectaculaire des Kurdes, comment les Alliés de l’Amérique ne pourraient-ils se sentir déstabilisés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes (…) La confiance se gagne lentement et se perd très vite, de manière brutale et parfois définitive. » (1) L’auteur de ces propos alarmistes n’a rien d’un contestataire invétéré de l’ordre euro-atlantique : ancien disciple de Raymond Aron, co-fondateur du très classique « Institut français des relations internationales » (IFRI) , européen convaincu, Dominique Moïsi exprime ici une forme de désarroi aujourd’hui très répandue dans l’UE, jusque dans ses milieux dirigeants.
Certes, les interrogations sur la fiabilité du « protecteur » américain de datent pas d’hier. Un malaise se manifestait déjà sous la présidence Obama. Mais il s’agissait alors de tout autre chose : des va-t-en guerre européens reprochaient à Washington de les stopper dans leur élan ! On se souvient de la tempête déclenchée dans les cercles atlantistes par ce qui fut qualifié, en 2013, de grave « reculade » de Barack Obama : la « faute stratégique » imputée au Président américain avait été -face à l’utilisation d’armes chimiques par Bachar al Assad- d’avoir opté, non pour une très dangereuse intervention militaire en Syrie, vivement souhaitée par Paris, mais pour un accord de dernière minute avec la Russie sur la destruction de l’arsenal chimique syrien. « Il nous a lâchés sur la Syrie » lança, amer, Laurent Fabius, qui vit dans cette décision rien moins qu’ « un tournant pour le monde ».
Mais avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche, le problème a changé de nature. Il ne s’agit plus d’un cas de faiblesse supposée du « chef du monde libre », mais d’un bouleversement complet des relations entre « partenaires » dans le monde occidental, désormais dominé par un personnage totalement imprévisible, adoptant une posture sinon franchement hostile envers les « Alliés » du vieux continent (n’hésitant pas à qualifier l’UE d' »ennemie »), à tout le moins cyniquement unilatérale et étrangère à toute forme de solidarité. Une situation sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale…et la création de l’OTAN ! Il ne manquait, pour finir de déstabiliser les dirigeants européens vis-à-vis de Washington, qu’une expérience concrète de trahison caractérisée d’alliés dans la lutte contre Daech. C’est désormais chose faite avec l’irresponsable lâchage des combattantes et combattants kurdes de Syrie, par Trump.
Difficilement avouable, le doute stratégique s’installe dans les esprits d’un certain nombre de dirigeants européens sur la pertinence d’une OTAN dans ces conditions. Mais pour quelle alternative ? C’est le moment ou jamais de relancer le débat sur les conditions d’une sécurité collective européenne et internationale, sans allégeance à une quelconque grande puissance et avant tout fondée sur la prévention des conflits, les mesures de confiance et les accords multilatéraux.
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(1) « Les Échos » (14/10/2019)
LES TROIS LEÇONS DE « L’AFFAIRE GOULARD »
« Sylvie Goulard doit expliquer pourquoi une enquête qui l’a contrainte à démissionner de son poste de ministre en France ne l’empêcherait pas de devenir commissaire européenne »: comment Emmanuel Macron a-t-il pu supposer que cette question de bon sens ne serait pas posée à sa candidate au poste de Commissaire lors de ses auditions par les parlementaires européens ? D’autant qu’à ce qui avait été reproché à l’ex-Ministre de la Défense venait de s’ajouter désormais un autre grief -et de taille- : celui d’avoir touché 10 000 € par mois de la part d’un grand lobby américain durant son mandat de députée européenne. La sous-estimation par l’Elysée du handicap que représenterait ce passif dans une période où la question du rapport entre éthique et politique est devenue particulièrement sensible constitue une première leçon à retenir de « l’affaire » Goulard. Il ne suffit pas de se gargariser de belles paroles sur le « nouveau monde » pour s’imposer. Comme le disait Engels, « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ».
Mais il y a un deuxième enseignement à tirer de ce fiasco politique de la « Macronie »: l’arrogance des « élites » françaises suscite un véritable phénomène de rejet en Europe ! Celle du Président de la République est suffisamment connue pour qu’il ne soit pas nécessaire de s’y appesantir. On se souvient aussi de la finesse de la tête de liste LREM aux élections européennes, Nathalie Loiseau. Elle avait dû renoncer à son poste -pourtant virtuellement garanti- de Présidente du groupe libéral européen, suite aux propos immodestes et insultants dont elle avait usé à propos de ses propres collègues ! Quant à Sylvie Goulard elle-même, elle n’a pas trouvé mieux que de répondre à ceux qui l’interrogeaient sur la contradiction entre sa démission du gouvernement français et sa candidature à la Commission européenne alors que l’enquête en cause à l’époque était toujours en cours : « Les standards sont plus élevés en France qu’au niveau européen. Vous ne voudriez pas qu’on impose aux autres pays les standards français » ! Outre la grossièreté du propos, on relèvera l’énormité de la bourde, quand on sait, par exemple, que dans les pays nordiques, les ministres ne bénéficient ni d’une voiture ni d’un appartement de fonction et peuvent être poussés à la démission pour une peccadille…
L’ « affaire » révèle enfin à qui l’ignorait une troisième réalité -que « l’Européen » Macron n’aurait pas dû oublier- : le Parlement européen dispose de pouvoirs non négligeables , y compris en matière de contrôle de la Commission. Sans son aval, un ou une Commissaire ne peut entrer en fonction ni la Commission tout entière entamer son mandat. Si le Parlement le décide, toute la Commission peut même être renversée. Il est donc particulièrement déplacé -et très marqué « ancien monde »- de reprocher, comme l’a fait Emmanuel Macron à la Présidente de la Commission, de ne pas tenir ses troupes, sa concertation avec deux présidents de groupe (droite PPE et social-démocrate) n’ayant finalement pas permis de faire adouber, comme prévu, Madame Goulard ! Eh oui : les élus européens ne sont pas soumis aux arrangements politiciens des « premiers de cordée ».
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