Archive for mars, 2016

« RÉINSTALLER L’HUMAIN AU CENTRE DE TOUT » ! (1)

wurtz-l-humanite-dimancheJ’étais plongé dans le dernier ouvrage de Bertrand Badie -« Nous ne sommes plus seuls au monde »- lorsque j’appris que Bruxelles était à son tour frappée par un monstrueux carnage. Le choc et l’effroi provoqués par ces images de mort et de désolation dans cette ville si proche donnèrent après coup à certains passages du livre de cet éminent expert progressiste des relations internationales un relief particulier (1).

C’est naturellement le cas du chapitre intitulé « Après le 13 novembre » . L’auteur y développe ce qu’il appelle « la double responsabilité » de la société française après cette tragédie. La première coule de source et a trait au comportement au quotidien : « Ne pas céder à la peur, aux stéréotypes, à la haine, à la simplification ». L’expérience montre qu’il est loin d’être superflu de rappeler ces principes de base. La seconde « responsabilité » évoquée est bien plus exigeante : elle vise à créer les conditions d’une « nouvelle politique étrangère de la France ». Pourquoi ? Badie juge que la politique française , depuis une bonne dizaine d’années au moins, est atteinte de « myopie » et de « conservatisme ». Il est grand temps, estime-t-il ( avec raison ), de « commencer à construire l’altérité ( la reconnaissance de l’autre dans sa différence ), ( de )vivre avec des flux de populations, d’idées, de croyances qui ne nous sont pas familières, ( de ) tenir compte de l’apport de l’autre, ( de ) savoir même en faire une part de notre héritage commun ». Et de plaider pour que soit stimulée la connaissance et favorisée la compréhension des autres cultures : « La seule façon d’affronter la mondialisation et d’abaisser le seuil de violence consiste précisément à créer du lien social à l’échelle du monde ». Dès lors, une réponse militaire aux attentats est inadaptée car « elle entretiendra des situations de violence croissante et de plus en plus intraitables ». Une thèse qui ne vaudra sans doute à Bertrand Badie ni les louanges de l’Elysée ni la mansuétude d’un Premier Ministre pour qui « expliquer, c’est excuser »… Gageons que l’indulgence des actuels -tout comme des précédents !- dirigeants du pays n’est pas, en l’occurrence, le but recherché.
Pour autant, ce livre n’a rien d’un pamphlet polémique. C’est d’abord une mine de références historiques destinées à rendre intelligibles la marche du monde , ses contradictions et ses ruptures à l’heure de la mondialisation. C’est ensuite, tel un fil rouge, un suivi de l’émergence des « exclus du système international », du Mouvement des Non-Alignés aux actuels BRICS ( Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud…) . C’est également une illustration magistrale de la place sans précédent prise par les citoyens, les acteurs non étatiques dans la vie internationale. La révolution de l’information et de la communication y a non seulement favorisé l’irruption des « sociétés civiles » mais développé de façon exponentielle les relations multiformes  entre elles, bousculant par là-même « l’ordre international ». Enfin, tout ce livre est un vibrant plaidoyer en faveur d’une « ouverture au monde », avec un focus sur « les insécurités humaines » qui affectent les pays du sud.
Sans nécessairement partager toutes les positions qui y sont développées, on y trouve des professions de foi qui ne dépareraient  pas notre journal . Qu’on en juge : »Si on ne réinstalle pas l’humain au centre de tout, au-dessus du profit, de la compétitivité , de la production, d’un identitarisme incontrôlé, de la promotion de telle idéologie ou de tel ou tel modèle, si on ne remet pas l’homme au centre de la vie, on risque d’être rongé par ces sursauts conservateurs , ignorants, obscurantistes, routiniers et conformistes « . Stimulant !

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(1) Bertand Badie : « Nous ne sommes plus seuls au monde » ( Édition La Découverte – 2016 )

31 mars 2016 at 8:59 Laisser un commentaire

DE LA DEMOCRATIE A L’HEURE DU NUMERIQUE

wurtz-l-humanite-dimancheQuel avenir nous réserve la « révolution numérique » en cours ? Le Parti communiste français vient de prendre l’heureuse initiative d’organiser, deux jours durant, pas moins de seize ateliers de discussion autour des principaux enjeux de société que pose cette formidable mutation du monde contemporain (1). Des sociologues, des philosophes, des économistes, des ingénieurs, des enseignants, des chercheurs, des lanceurs d’alerte, des journalistes, des syndicalistes, des activistes de réseaux sociaux , des élus y ont croisé leurs expériences et leurs réflexions avec un public où les « geeks », accros à l’informatique, se mêlaient aux « gens normaux », simplement désireux d’en savoir plus sur un phénomène qui ne fait rien moins que de bouleverser notre vie et de nous interroger sur l’humanité de demain…

A ne voir que les pouvoirs tentaculaires qu’ont acquis dans ce contexte les grandes sociétés capitalistes capables de placer ces nouveaux outils au service de leur stratégie de conquête du monde, on est pris de vertige et tenté par le fatalisme. L’initiative du PCF -« des débats de fond comme on en voit peu, de nos jours, dans les partis », souligna l’un des invités- visait précisément à aider à surmonter ce blocage. Les risques d’aliénation liés à l’explosion du numérique ne doivent pas nous cacher les chances d’émancipation que peuvent, à l’inverse, offrir  ces outils d’informations désormais à la disposition des citoyens. « Chacun, là où il est, doit être en position d’initiative, d’exercice de ses responsabilités et pouvoir participer à la définition puis à la réalisation des projets communs et de son avenir » -expliqua Jean-Michel Treille, l’un des intervenants, ancien haut responsable au Commissariat général du Plan (2).

Créer les conditions de ce sursaut : voilà un grand défi démocratique de notre temps ! Pour le relever, des actions sont requises à tous les échelons du territoire : de celui de l’entreprise et de la commune jusqu’à celui de l’Etat et de l’Europe . A l’entreprise, la conquête de droits des salariés à l’information est essentiel pour stimuler la motivation et modifier les rapports de force. Dans la commune, l’objectif doit être d’obtenir « pour chaque foyer l’accès au très haut débit »; « pour chaque scolaire son ordinateur », « pour chaque patient sa clé USB contenant son dossier santé , avec un code d’accès pour la personne et un code pour le médecin afin de sécuriser les données » expliqua Isabelle Lorand, Maire-adjointe au numérique à Vitry-sur-Seine, en insistant sur l’exigence de « repenser les métiers pour y revaloriser la place de l’humain ». Au niveau national, il faut « un Etat-stratège -souligna encore JM Treille- capable d’introduire dans l’éducation ce que représentent les potentialités du numérique pour analyser un problème, réaliser une synthèse , simuler un choix…; capable aussi de promouvoir aux citoyens les informations leur permettant d’exprimer leurs capacités ». Sur le plan européen enfin, l’enjeu de civilisation que représente le développement exponentiel du numérique rend tout à la fois plus pertinent que jamais une construction commune à même de contrer l’hégémonie des géants du web, et la refondation du cadre existant, foncièrement dédié aux « marchés ». Sur ces nouveaux terrains, l’expérience récente montre d’ailleurs que des succès significatifs sont d’ores et déjà possibles suite à la prise de conscience citoyenne provoquée par les révélations de lanceurs d’alerte ( 3 ). Un chantier que nous serons amenés à explorer de plus en plus.

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(1) « Les Etats généraux de la révolution numérique : entre émancipation et aliénation » ( 18-19 mars 2016 )
(2) JM Treille, auteur de « La révolution numérique : réinventons l’avenir » ( Éditions Ovadia , 2015 )
(3) Voir notamment « Internet : l’Europe marque un point contre les Etats-Unis » ( Humanité-Dimanche ? 15-21/10/2015 )

26 mars 2016 at 10:05 Laisser un commentaire

CINQ VOIX DE GAUCHE, UNE MÊME EXIGENCE : SOLIDARITÉ !

wurtz-l-humanite-dimancheUne initiative bienvenue que cette « Rencontre européenne », vendredi dernier à Paris ! Au moment où les dirigeants de nombre de pays se déshonorent en fermant la porte aux réfugiés fuyant les bombes, et en se défaussant sur la seule Grèce pour gérer un problème dont ils savent qu’il risque de l’asphyxier à court terme, il était important de montrer qu’il y a des forces de gauche qui incarnent « l’Europe des valeurs ». Côte à côte, Pierre Laurent, Président du Parti de la Gauche Européenne ( PGE ) et ses invités : Alexis Tsipras, Premier Ministre de Grèce; Marisa Matias, Députée européenne portugaise du Bloc de gauche; Ska Keller, Députée allemande au Parlement de Strasbourg et porte-parole des Verts européens aux dernières élections; et Cayo Lara, Coordinateur de la Gauche Unie d’Espagne, en ont apporté une revigorante illustration.

« Il y a des mots qui font vivre et ce sont des mots innocents » dit le poète (1). Ce soir-là, c’était le mot « solidarité ». « L’heure n’est pas à ériger des murs », commença Pierre Laurent, s’insurgeant contre ces dirigeants irresponsables qui « laissent les pays aux frontières de l’Union européenne seuls » face au devoir collectif d’accueillir les réfugiés. Il fustigea dans le même esprit les propos « indignes de la France » tenus par Manuel Valls en Allemagne ( contre la décision de la Chancelière d’accepter la venue d’ un million de ces personnes en Allemagne ). Manifestement très sensible au geste de soutien à son peuple que représentait à ses yeux cette soirée organisée au pied levé à l’occasion de son passage dans la capitale française, Alexis Tsipras appela, quant à lui, à « ramener l’Europe à ses valeurs fondamentales : la solidarité, la cohésion sociale et la démocratie ». Cela passe par un changement de cap, car, souligna-t-il, « les politiques d’austérité ont nourri un monstre (…). Et en reprenant les arguments de l’extrême droite, sociaux-démocrates et conservateurs renforcent le monstre ».

Notre amie portugaise s’appuya sur l’expérience « historique » que vit actuellement la gauche dans son pays pour montrer qu’il « existe un espace pour une politique alternative à l’austérité « , tout comme à l’hostilité aux migrants. « Pour la première fois depuis la Révolution de 1974, un accord a pu être conclu entre toutes les familles de la gauche : le Parti communiste, le Parti socialiste et le Bloc de gauche ! Les urnes ont parlé : le peuple veut tourner la page des quatre années d’enfer imposées par la « troïka » ( Commission de Bruxelles, Banque centrale européenne, Fonds Monétaire International ). Toute la gauche s’engage à faire progresser les salaires et les retraites. Et « c’est la première fois qu’un budget prévoit de diminuer sensiblement les impôts des travailleurs et d’augmenter ceux sur le capital » note Marisa, sans cacher pour autant « les limites et les difficultés », notamment avec la Commission européenne. « Hier régnait la peur, aujourd’hui revient l’espoir »! lance la jeune élue qui vient de recueillir plus de 10% des voix à l’élection présidentielle -soit le plus grand nombre de suffrages jamais atteint par une femme au Portugal ! Et d’annoncer que le nouveau gouvernement va également élargir l’accueil des réfugiés : « Je suis d’accord avec Alexis ».

Même tonalité dans les interventions de la députée allemande et du responsable espagnol. « L’Union européenne ne peut laisser la Grèce seule : il y a une crise de la solidarité » affirma la première. « Cette Europe accorde moins de droits aux réfugiés qu’aux marchandises !  » s’indigna le second, sans oublier d’exprimer également sa « solidarité aux travailleurs de France mobilisés contre la Loi Travail ». L’Europe, ce soir-là, redonnait envie de s’y investir. Pour sortir de l’impasse, tournez à gauche !

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(1) Paul Eluard : poème à Gabriel Péri

17 mars 2016 at 10:35 Laisser un commentaire

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