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Union Européenne : « Cette adhésion pourrait être un cadeau empoisonné pour les Ukrainiens »

L’ HUMANITÉ (18/12/2023)

Après la décision du Conseil européen, le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE est lancé. Pour Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen, d’autres formes de coopération et d’association auraient été plus justes. Après avoir obtenu son statut formel de candidat, en juin 2022, l’Ukraine a débuté officiellement son processus d’adhésion à l’Union européenne. Les Vingt-Sept pays membres réunis au Conseil européen ont acté cette décision, jeudi 14 décembre. Député honoraire du Parlement européen, Francis Wurtz décrypte ce choix et ses conséquences.

En acceptant que l’Ukraine soit candidate à l’Union européenne, il acte une décision essentiellement « géopolitique ». Cet accord est une réponse à l’agression russe. Si le pays n’avait pas été envahi, la perspective d’une adhésion rapprochée aurait été impensable. 

Ce processus déroge complètement aux conditions prévues pour être candidat et fixées par les critères de Copenhague, en 1993. Trois prérequis doivent être respectés. Le premier est le critère politique : avoir des institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, et le respect des minorités. Une condition délicate à remplir pour l’Ukraine quand on regarde ses difficultés depuis l’indépendance. 

Le deuxième critère est économique et se définit comme suit : « Il faut une économie de marché viable et la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieure de l’Union européenne. » Est-ce que, aujourd’hui, nous pouvons affirmer que l’Ukraine est en capacité de faire face aux « forces du marché » ? Il s’agit du seul pays de l’espace post-soviétique en Europe à s’être appauvri depuis la chute de l’URSS.

En 2021, juste avant une invasion qui n’a pas arrangé les choses, Kiev se trouvait, par rapport aux autres membres de l’UE, avec un PIB par habitant trois fois moins élevé que la Bulgarie, qui se révèle l’État le plus pauvre de l’UE. Si on réfléchit rationnellement, cette adhésion dans de telles conditions apparaît comme un cadeau empoisonné au peuple ukrainien. 

Troisième condition à remplir : être apte à assumer toutes les obligations liées à ce qu’on appelle l’acquis communautaire. C’est-à-dire respecter les dizaines de milliers de pages de droit communautaire. Il faudra ensuite négocier des dérogations, des périodes transitoires. L’agression de la Russie a bouleversé ces critères d’évaluation.

Un dernier critère demeure totalement absent du débat : la clause de défense mutuelle. Lors du traité de Lisbonne en 2007, cet article 42 stipule que tout État membre victime d’une agression armée sur son territoire a le droit à l’aide et à l’assistance par tous les moyens des autres États membres. Dans un pays qui demeure en guerre et dont l’issue semble de plus en plus complexe, la tension sera permanente pour l’Ukraine et le continent européen.

Autre conséquence pour l’UE, l’Ukraine est une superpuissance agricole qui absorberait l’essentiel des aides du secteur. Elle bénéficierait aussi de la majorité des fonds de cohésion étant donné son taux de pauvreté. Cela va créer d’importantes controverses et des oppositions de la part des pays bénéficiaires de ces aides. 

La Pologne, un allié de l’Ukraine, a décidé en pleine guerre de fermer ses frontières face à la concurrence agricole. L’UE sera également confrontée à des problèmes institutionnels. Comment préserver les prises de décisions qui posent déjà souci à 27 ? Quand notre secrétaire d’État Clément Beaune dit que cette adhésion est nécessaire pour garantir la sécurité et la stabilité du continent, on peut en douter.

Auparavant, il y avait ce qu’on appelait une préadhésion. Elle permettait, sur plusieurs années, de familiariser le pays avec les obligations liées à l’entrée dans l’UE, une aide financière à la clef. Lors du grand élargissement de 2004-2007, une deuxième étape existait avec des accords d’assistance. Puis la véritable négociation débutait autour des 35 chapitres qui résumaient l’acquis communautaire et qui débouchaient sur de longues tractations. 

On ne peut pas faire l’impasse sur tout ce travail. Elle générait aussi des frustrations parmi les candidats. En Europe centrale et orientale, il n’y a pas un enthousiasme à être dans l’UE. Ils en font partie pour ne pas être isolés, mais les conditions de leur présence ont créé des dissensus. La mise en concurrence impitoyable qui caractérise l’Europe libérale a engendré de vraies crises dans ces pays membres.

Le président du Conseil européen, Charles Michel, affirme que l’UE et l’Ukraine doivent être prêtes pour 2030. Pour la Croatie, dernier État à entrer dans l’UE, en 2013, les négociations beaucoup moins complexes ont duré dix ans. Je crains que, si on se précipite, les conséquences d’une adhésion avec un pays comme l’Ukraine ne soient être décuplées.

D’autres formes de coopération sont envisageables pour aider légitimement le peuple ukrainien. Un accord très poussé d’association, adapté à la situation de l’Ukraine, apparaît la meilleure solution. Il faut trouver en négociant avec Kiev des formes de complémentarité qui permettent à l’Ukraine de se reconstruire, en espérant que la guerre s’arrête au plus vite. Il faut l’aider à lutter contre la corruption, la mauvaise gouvernance et faire fructifier ses atouts réels. 

Cet accord devrait être modifiables avec le temps et les besoins de l’Ukraine. Cette forme de coopération m’apparaît moins risquée pour les deux parties. On ne peut ni laisser tomber les Ukrainiens, ni les jeter dans une Union européenne hyper concurrentielle, fondée non pas sur de bons sentiments mais sur des règles néolibérales extrêmement strictes.

La pire des choses serait de cacher des problèmes dont on connaît la réalité et la dangerosité. Il faut que les négociations à l’adhésion se passent dans la transparence absolue pour comprendre les risques encourus de part et d’autre. Ensuite, en connaissance de cause, que chacun prenne ses responsabilités. 

Le chercheur du Cevipof Olivier Costa pense que les dirigeants européens mèneront les réformes minimale et à bas bruit pour ménager les sensibilités. Ce serait d’autant plus irresponsable que le président du Conseil européen, Charles Michel, entend faire adhérer l’Ukraine en 2030.

18 décembre 2023 at 12:36 Laisser un commentaire

PORTER LA GUERRE SUR LE SOL RUSSE ?

« Nous ne voulons pas qu’un équipement fabriqué aux Etats-Unis soit utilisé pour attaquer le sol russe ! » lança, tel un rappel à l’ordre à l’adresse de l’allié ukrainien, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain au lendemain de l’attaque d’envergure de deux groupes paramilitaires russes ralliés à Kiev dans la région frontalière de Belgorod. Ce qui préoccupait visiblement le conseiller de la Maison Blanche fut, en l’occurrence, la diffusion par Moscou d’images de cette incursion montrant des blindés américains en pleine action sur le territoire russe. De quoi fournir à Poutine un argument de poids justifiant auprès de son opinion publique sa rhétorique anti-occidentale, si ce n’est le franchissement d’un nouvelle étape de son « opération militaire spéciale ». Le fait que ce furent des combattants en partie connus comme sympathisants néonazis -interdits à ce titre d’accès à l’espace Schengen !- qui dirigèrent cette incursion d’une ampleur sans précédent apporta d’autant plus d’eau au moulin du Kremlin. 

Soucieux de ne pas apparaître ouvertement comme des co-belligérants , les dirigeants britanniques et français usent des mêmes précautions que leurs homologues américains : lors de chaque livraison à Kiev d’armements sophistiqués à même de toucher des cibles internes à la Russie, ils demandent aux Ukrainiens de s’engager à ne pas les utiliser hors du territoire de leur pays. Ce fut encore le cas lorsque Londres annonça qu’il donnerait pour la première fois à l’Ukraine un grand nombre de missiles de longue portée, Storm Shadow, capables d’atteindre le territoire russe. Pour ce faire, le Royaume-Uni avait besoin de l’accord de la France, en tant que co-conceptrice de ce missile de croisière et donc co-responsable d’un éventuel usage abusif de cette arme. La question se pose : suffit-il, pour les dirigeants occidentaux, de prêcher la retenue auprès de l’allié ukrainien pour éviter tout dérapage aux conséquences imprévisibles ? L’exemple des blindés américains filmés près de la ville russe de Belgorod fournit une première réponse. D’autres -d’une tout autre portée s’il s’agissait de  chars lourds, de missiles à longue portée, voire d’avions de chasse- pourraient suivre. « Cessons de nous faire dicter nos lignes rouges par l’agresseur ! » clament à chaque nouvelle étape les hérauts de la guerre totale. De fait, de « lignes rouges » il n’est plus question. 

Pourquoi faudrait-il se gêner ? Se gênent-ils,  eux, de semer la terreur sur le territoire ukrainien ? -pourraient rétorquer les uns, légitimement scandalisés par les agressions russes quasi quotidiennes, y compris contre des objectifs civils. C’est que le refus de l’engrenage guerrier repose non sur la volonté de ménager Poutine, mais sur la conviction qu’il risque d’ouvrir les portes de l’enfer pour les deux peuples concernés et bien au-delà ! De quoi avons-nous peur -peuvent penser d’autres- , à voir les spectaculaires déficiences de l’armée russe ? Justement, là est le grand danger: acculé, le pouvoir russe peut être tenté de jouer son va-tout. C’est peut-être un risque marginal -nul ne le sait- , mais, le cas échéant, si dévastateur que des dirigeants responsables n’ont pas le droit d’y exposer l’humanité.

1 juin 2023 at 4:05 Laisser un commentaire

DU MOYEN-ORIENT À L’UKRAINE : LA DIPLOMATIE AU SERVICE DE LA PAIX

Le 10 mars denier, deux puissances ennemies, l’Arabie saoudite et l’Iran, ont rétabli leurs relations diplomatiques, rompues depuis sept ans. Que nous dit cet accord -conclu sous les auspices de la Chine- de la complexité de l’ordre mondial actuel ? D’abord, qu’il peut y avoir, malgré le contexte général d’affrontements impitoyables, un espoir de paix là où on ne l’attendait pas. Y compris entre deux pays dont la rivalité stratégique et la concurrence religieuse alimentaient jusqu’ici maints conflits sanglants , au premier rang desquels l’effroyable guerre du Yémen. Ensuite, que des efforts diplomatiques opiniâtres peuvent arriver à bout d’obstacles présumés insurmontables : l’accord du 10 mars dernier est, en effet, l’aboutissement de plus de deux ans de négociations difficiles entre les deux adversaires. Enfin, que la Chine -médiatrice et garante de cet accord- confirme l’étendue de son influence jusque dans une région où Washington exerçait naguère un leadership sans rival et où les Etats-Unis conservent toujours un poids certain, mais rencontrent des résistances de la part de leurs alliés historiques.

Le fait que cet accord historique a été annoncé, à la surprise générale, depuis Pékin, n’est, du reste, pas pour rien dans la discrétion des réactions américaines à cette nouvelle spectaculaire, d’autant qu’un conseiller du Président Biden venait tout juste de s’entendre avec Benjamin Netanyahu pour encourager l’Arabie saoudite -au nom d’un front commun contre l’Iran- à normaliser ses relations avec… Israël, avec l’objectif de sortir l’Etat hébreu de son isolement dans le monde arabe. Ce dégel-là (au détriment des Palestiniens) semble désormais compromis. 

L’Union européenne a, quant à elle, salué -certes fort sobrement- les efforts diplomatiques chinois qui ont conduit à cette « étape importante », soulignant que la promotion de la paix et de la stabilité ainsi qu’un apaisement des tensions au Moyen-Orient étaient des priorités pour l’UE. Sur ce point, parallèlement à la solidarité avec le soulèvement des Iraniennes et des Iraniens pour un changement de régime, on ne peut qu’être d’accord. 

Certes, il faut rester prudent : on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise dans la mise en œuvre effective d’un accord entre des protagonistes aussi peu portés sur la collaboration au service de la paix. Le rôle du garant chinois dans la réussite de cette nouvelle dynamique sera, dès lors, important. Ce « challenge » que s’impose ainsi Pékin est en lui-même un fait politique majeur. Il intervient -fait significatif- au même moment où le Président Xi Jinping prend des initiatives en faveur d’un règlement politique de la guerre en Ukraine et propose, après son voyage à Moscou, d’organiser un échange direct avec son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky,  « en vue de mettre fin à la guerre », précise le Wall Street Journal.

 La diplomatie au service de la paix : voilà qui nous change du discours ambiant sur fond de fracas des armes et d’insupportables pertes humaines .

23 mars 2023 at 7:20 Laisser un commentaire

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