Archive for mars, 2023
DU MOYEN-ORIENT À L’UKRAINE : LA DIPLOMATIE AU SERVICE DE LA PAIX
Le 10 mars denier, deux puissances ennemies, l’Arabie saoudite et l’Iran, ont rétabli leurs relations diplomatiques, rompues depuis sept ans. Que nous dit cet accord -conclu sous les auspices de la Chine- de la complexité de l’ordre mondial actuel ? D’abord, qu’il peut y avoir, malgré le contexte général d’affrontements impitoyables, un espoir de paix là où on ne l’attendait pas. Y compris entre deux pays dont la rivalité stratégique et la concurrence religieuse alimentaient jusqu’ici maints conflits sanglants , au premier rang desquels l’effroyable guerre du Yémen. Ensuite, que des efforts diplomatiques opiniâtres peuvent arriver à bout d’obstacles présumés insurmontables : l’accord du 10 mars dernier est, en effet, l’aboutissement de plus de deux ans de négociations difficiles entre les deux adversaires. Enfin, que la Chine -médiatrice et garante de cet accord- confirme l’étendue de son influence jusque dans une région où Washington exerçait naguère un leadership sans rival et où les Etats-Unis conservent toujours un poids certain, mais rencontrent des résistances de la part de leurs alliés historiques.
Le fait que cet accord historique a été annoncé, à la surprise générale, depuis Pékin, n’est, du reste, pas pour rien dans la discrétion des réactions américaines à cette nouvelle spectaculaire, d’autant qu’un conseiller du Président Biden venait tout juste de s’entendre avec Benjamin Netanyahu pour encourager l’Arabie saoudite -au nom d’un front commun contre l’Iran- à normaliser ses relations avec… Israël, avec l’objectif de sortir l’Etat hébreu de son isolement dans le monde arabe. Ce dégel-là (au détriment des Palestiniens) semble désormais compromis.
L’Union européenne a, quant à elle, salué -certes fort sobrement- les efforts diplomatiques chinois qui ont conduit à cette « étape importante », soulignant que la promotion de la paix et de la stabilité ainsi qu’un apaisement des tensions au Moyen-Orient étaient des priorités pour l’UE. Sur ce point, parallèlement à la solidarité avec le soulèvement des Iraniennes et des Iraniens pour un changement de régime, on ne peut qu’être d’accord.
Certes, il faut rester prudent : on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise dans la mise en œuvre effective d’un accord entre des protagonistes aussi peu portés sur la collaboration au service de la paix. Le rôle du garant chinois dans la réussite de cette nouvelle dynamique sera, dès lors, important. Ce « challenge » que s’impose ainsi Pékin est en lui-même un fait politique majeur. Il intervient -fait significatif- au même moment où le Président Xi Jinping prend des initiatives en faveur d’un règlement politique de la guerre en Ukraine et propose, après son voyage à Moscou, d’organiser un échange direct avec son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, « en vue de mettre fin à la guerre », précise le Wall Street Journal.
La diplomatie au service de la paix : voilà qui nous change du discours ambiant sur fond de fracas des armes et d’insupportables pertes humaines .
20 ANS APRÈS, L’AMER SOUVENIR DE LA GUERRE D’IRAK
Quiconque s’interroge encore sur les raisons du profond scepticisme, sinon de la défiance, qui traverse nombre de sociétés à travers le monde à l’égard des Etats-Unis et de leurs alliés, gagnerait à se rappeler les traits essentiels de l’une des aventures les plus désastreuses dans lesquelles ceux-ci se soient lancés : la guerre d’Irak il y a tout juste 20 ans. Pour aller vite, on peut en retenir cinq caractéristiques majeures : les contrevérités ; l’illégalité ; les complicités ; l’irresponsabilité et finalement l’impunité .
Les contrevérités au sujet des buts de guerre de Washington restent dans toutes les mémoires. Des instituts indépendants ont recensé 935 mensonges de toute l’équipe dirigeante des Etats-Unis !
L’illégalité de cette guerre au regard de la Charte des Nations-unies fut officiellement confirmée par le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan. Aucun résolution ne fut soumise au Conseil de sécurité, la France ayant menacé d’user de son droit de veto.
Les complicités avec les agresseurs furent, néanmoins , nombreuses. Le 30 janvier 2003, les dirigeants de huit pays européens -Grande-Bretagne, Danemark, Pologne, Hongrie, République tchèque, Italie, Espagne et Portugal- appellent à l’unité derrière les Etats-Unis, au nom de nos « valeurs communes ». Le 5 février, c’est autour de l’Albanie, de la Bulgarie, de la Croatie, des 3 pays baltes, de la Macédoine, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie (dits « Groupe de Vilnius ») de faire allégeance aux Etats-Unis. Le 16 mars, un Sommet réunit aux Açores, autour de George. W. Bush, l’Anglais Tony Blair, l’Espagnol Aznar et le Portugais Barroso pour annoncer leur engagement dans la guerre contre l’Irak.
L’irresponsabilité de cette invasion se mesure d’abord au nombre de victimes qu’elle aura provoquées : 655 000 morts selon la revue médicale « The Lancet » (2006) et même plus d’un million selon l’Institut britannique « IIACSS » (2007), en sachant que le conflit fit encore de nombreuses victimes les années suivantes. On se rappelle les exactions tant de l’armée américaine (Abou Graïb …) que des 160 000 mercenaires de Blackwater. S’y ajoutent l’exil de 2,5 millions d’Irakiens (chiffre de 2006), l’enlèvement de 10 000 femmes victimes de la traite (selon le « Minoritory Rights Group ») et, pour toute la population, l’enfer généré par l’implantation progressive d’Al-Qaeda puis de Daech, les violences endémiques, les luttes d’influence, l’instabilité, la corruption , la pauvreté.
Enfin, l’impunité est, en l’occurrence, un mot faible. Non seulement, aucun des fauteurs de guerre ne fut inquiété, mais beaucoup d’entre eux furent récompensés : le très dévoué Premier ministre danois, Fogh Rasmussen, qui se qualifia lui-même de « faucon », devint Secrétaire général de l’OTAN; le Premier ministre portugais, Barroso, initiateur du Sommet des Açores, fut nommé Président de la Commission européenne; le fidèle entre les fidèles Tony Blair obtint le titre d’envoyé spécial au Moyen Orient où il fit de juteuses affaires. Quant à Joe Biden, alors Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et « fervent partisan de l’invasion américaine de l’Irak » (Jean-Pierre Filiu), il poursuivit une brillante carrière…
FRANCE-AFRIQUE : L’ARROGANCE NE PAIE PLUS
« Arrogant comme un Français en Afrique » : sous ce titre évocateur, un petit livre de l’éminent spécialiste français de l’Afrique, Antoine Glaser, retraçait il y a quelques années les attitudes suffisantes ou condescendantes, sinon grossièrement colonialistes, de « la France dirigeante » (de la sphère politique comme des milieux économiques), persuadée d’avoir « profondément marqué l’Afrique de son empreinte civilisatrice » et décidée à en récolter les dividendes. Aveuglées par leurs certitudes anachroniques, ces « élites » ont entraîné la France de déconvenues en déconvenues et alimenté le fameux « sentiment anti-français » dans l’ex-pré carré de la France en Afrique. À l’inverse, d’autres puissances, non lestées d’un passé colonial -en particulier la Chine et la Russie- , y renforcèrent sensiblement leur influence.
C’est, instruit de ce fiasco stratégique sur un continent qui représentera le quart de l’humanité en 2050, qu’Emmanuel Macron tenta dès son arrivée au pouvoir de se faire passer pour l’homme neuf par excellence puisqu’issu d’ « une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé ». La suite lui apprendra que le passé ne s’efface pas d’un trait de plume de la mémoire collective africaine, et ce d’autant moins que le fantôme de la « Françafrique » fait des apparitions récurrentes : sur le plan militaire avec le bilan désastreux de l’opération Barkhane au Sahel ; sur le plan monétaire avec le maintien très contesté du Franc CFA, fût-il réformé; sur le plan politique avec le soutien de Paris à des Chefs d’Etat africains autocratiques, sans oublier l’effet-boomerang des discriminations subies par des Africains en France ou des politiques restrictives du gouvernement en matière d’octroi de visas aux Africains…En 2020, un sondage réalisé auprès des jeunes de plusieurs pays indiquait que 71% des Gabonais, 68% des Sénégalais, 60% des Maliens et 58% des Togolais interrogés avaient une mauvaise opinion de la France (1). D’une façon générale, dans l’Afrique mondialisée d’aujourd’hui, la France n’est, de toute façon, plus « chez elle ».
Lors de sa récente visite au pas de charge en Afrique (quatre pays en moins de cinq jours), le Président français avait donc à cœur de réaffirmer qu’ « il n’y a plus de politique africaine de la France »; que « l’Afrique n’est plus un pré carré »; que Paris serait désormais « un interlocuteur neutre » ; que les effectifs français dans les bases militaires allaient être réduits, etc…conformément à sa recommandation solennelle, faite -à lui même ?- la veille de son départ : à savoir que la France devait faire preuve d’une « profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain » ! Sans doute avait-il à l’esprit les manifestations hostiles à la France, qui se multiplient de Bamako à Ouagadougou, de Bangui à Yaoundé, de N’Djamena à Dakar…, un peu trop vite attribuées aux seules pressions russes. En avant, donc, pour « un nouveau partenariat avec l’Afrique » : voilà pour le changement de posture. On attend à présent le changement de politique.
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(1) Voir « l’Afrique et le sentiment antifrançais » de Fanny Pigeaud, dans « La France, une puissance contrariée » (La Découverte, 2021)
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