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Bolkestein : trois questions à méditer
Je reviens, comme convenu, sur l’adoption de la « directive Bolkestein » au Parlement européen, pour vous livrer quelques détails utiles à notre réflexion pour la suite. Pour bien comprendre ce qu’il s’est passé – et qui risque de se reproduire demain sur d’autres sujets si on laisse faire sans réagir- il faut se rappeler les différentes étapes de l’adoption d’une directive (loi européenne).
Un: la Commission élabore un projet de texte. Deux: le Parlement européen l’examine et y apporte les modifications (amendements) qu’il souhaite, ou il le rejette d’emblée. C’est la « première lecture ». Trois: le Conseil (c’est-à-dire les représentants des 25 gouvernements des pays membres) examine à son tour le texte de la Commission et les amendements du Parlement, puis apporte ses propres changements au projet. En principe, il tient le plus grand compte de l’avis des députés. Quatre: le Parlement réexamine le texte tel que modifié par le Conseil – ou le rejette. C’est la « seconde lecture ».
Si, à l’issue de ce va-et-vient (« codécision »), les deux institutions – Parlement et Conseil – sont d’accord sur un même texte, la directive est adoptée. Sinon, il y a une négociation (« conciliation ») qui peut durer six semaines. Ou bien celle-ci aboutit à un compromis, ou bien la directive est abandonnée. Tout ce processus a duré près de trois années dans le cas de la directive sur les services. L’intervention des citoyens, des mouvements sociaux, à tous les stades de ce bras de fer pèse évidemment très lourd, à condition d’être bien relayée au Parlement – et si possible jusqu’au gouvernement – par des élu(e)s liés au peuple et combatifs.
Dans le cas de la directive Bolkestein, la droite et le groupe socialiste européen se sont volontairement privés de leur droit d’amender le texte issu du Conseil des Ministres et d’ouvrir avec celui-ci une négociation en vue d’améliorer la directive – ou de la rejeter! Notre groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE-NGL) ainsi que le groupe des Verts européens ont donc présenté un amendement de rejet du texte. Il est intéressant de noter que …la grande majorité des députés socialistes français ont voté avec nous pour le rejet, malgré les consignes inverses de leur propre groupe et de la rapporteure, sociale-démocrate allemande. Ce phénomène se vérifie, notamment depuis le 29 mai, chaque fois qu’il s’agit d’un sujet qui a fait l’objet d’une forte sensibilisation de l’opinion publique en France. Première leçon à méditer.
Les amendements de notre groupe GUE-NGL qui demandaient l’exclusion complète des services sociaux (logement social notamment) du champ d’application de la directive ont même recueilli l’approbation de près du quart de tous les votants -là encore, contre les consignes des groupes! J’avais pris soin, pour ma part, dans le débat qui a précédé le vote – comme nous l’avons fait durant toute cette période – de rappeler l’appel pressant des organisations syndicales européennes à amender la directive, en particulier sur ce point. L’importance d’une articulation constante de notre action d’élus de gauche avec les acteurs sociaux est un autre enseignement à retenir de cette expérience.
L’autre grande préoccupation légitime des syndicats concerne les éventuelles conséquences de la directive sur le droit du travail, désormais subordonné au « respect du droit communautaire » – formule floue qui renvoie aux règles de la concurrence!
Enfin, le pouvoir de contrôle exorbitant de la Commission européenne sur les législations nationales pour faire la chasse aux « entraves » à la libre circulation et au libre échange des services est un autre grave recul accepté par la majorité du Parlement européen.
Par-delà même la question des services, se pose ainsi de plus en plus celle de la conception de la construction européenne. Voulons-nous harmoniser par la loi des règles protectrices et évoluant vers le haut, ou acceptons-nous l’harmonisation, par le « marché » et la concurrence, de normes dès lors fatalement tirées vers le bas? Ces questions sur le sens même de la construction européenne – sont posées de plus en plus vivement dans toute l’Europe – Elles doivent être imposées au débat qui va s’ouvrir en janvier prochain, à l’échelle de toute l’Union, et qui doit aboutir à un nouveau traité européen, au second semestre 2008 … quand la France présidera « l’Europe des 27 ». La place de ces enjeux de société dans les campagnes électorales à venir dans notre pays est la troisième conclusion que je retire de tous ces évènements.
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