Archive for octobre, 2017
EMMANUEL MACRON, AIGUILLON SOCIAL DE L’EUROPE ?
Le Président de la République fait grand cas de son prétendu rôle personnel dans la bataille pour la révision de la directive européenne sur les travailleurs détachés. Dans le discours très médiatisé qu’il a récemment tenu à la Sorbonne, il a parlé à ce propos du « combat que JE mène aujourd’hui (…) pour revoir cette directive ». Dans la foulée, il avait ajouté, dans la même veine, qu’à ses yeux, il fallait « une discussion concrète » sur ce qu’est le « socle social européen ». Il a même, d’emblée, formulé une proposition : « définir un salaire minimum adapté à la réalité économique de chaque pays ». Le « Président des riches » se révèlerait-il être en fait un authentique aiguillon social de l’Europe ? Pas vraiment .
Reprenons chacune de ces affirmations. La définition d’un « socle social européen » ? Emmanuel Macron ne fait là que reprendre à son compte , quasiment mot pour mot, une idée lancée par la Commission européenne il y a deux ans , qui a donné lieu à une initiative au mois d’avril dernier, sous la forme d’un texte intitulé : « le socle européen des droits sociaux » et décliné en « 20 principes clés » axés autour de trois thèmes : « accès au marché du travail »; « conditions de travail équitables »; « protection et insertion sociales ». Prenant tardivement conscience de la profondeur de la crise de confiance entre la majorité des Européens et l’UE, la Commission européenne a également avancé une série de propositions concrètes. Il s’agit de toute une série de normes sociales minimales qui , si ces projets étaient adoptés par les gouvernements et les députés européens , s’appliqueraient dans toute la zone euro ou dans toute l’UE : elles concernent le congé parental ; le congé de paternité ; les jours de disponibilité à accorder pour s’occuper d’un proche; la révision de la directive sur le temps de travail de 2003 (et qui comporte tellement de dérogations patronales que la Commissaire concernée reconnait elle-même que « plus personne ne sait quelles sont les obligations des employeurs ») . Ces (petites) avancées ne doivent donc rien, à ce stade, au Président français !
Il en va de même de SA proposition d’un salaire minimum dans chaque pays membre. Il faut savoir que cette proposition…de Jean-Claude Juncker est sur la table du Conseil européen depuis janvier de cette année !
Quant au projet de révision de la directive sur le détachement des travailleurs -dont Emmanuel Macron s’attribue allègrement l’initiative- , elle est en cours de discussion dans les institutions européennes depuis…le mois de mars 2016 ! Ce texte affirme pour la première fois le principe : « A travail égal salaire égal » (même si le problème du paiement des cotisations patronales dans le pays d’origine du travailleur « détaché » reste entier). Le Président français prend donc là encore le train en marche, tout en faisant beaucoup de bruit médiatique à ce sujet, sauf sur un point : la prétention du très réactionnaire Premier Ministre espagnol, Mariano Rajoy, de ne pas appliquer ce principe d’égalité salariale aux entreprises du transport routier en Europe , qui resteraient dès lors libres de poursuivre la pratique du dumping social sur le dos des chauffeurs-routiers ! Sur l’Europe, Jupiter a le verbe facile, mais les actes hésitants…
FAUT-IL BOUDER LA CHINE OU COOPÉRER AVEC ELLE ?
Alors que se tient le 19ème Congrès du Parti communiste chinois -événement majeur de part ses répercussions mondiales- le moment est propice à la réflexion sur la conduite à tenir en Europe vis-à-vis de ce pays à tous égards atypique. Limitons-nous aujourd’hui à un seul domaine -mais de quelles dimensions !- : les « Nouvelles routes de la soie » (1)
Du point de vue des potentialités qu’il recèle, ce projet visionnaire et hors normes suscite notre admiration et même notre enthousiasme. Ne concerne-t-il pas plus de 60 pays représentant plus de quatre milliards d’habitants et près des deux-tiers des richesses du monde ? L’immense maillage d’infrastructures civiles qu’il se propose de réaliser serait à même de connecter entre eux l’Asie, le Proche-Orient, l’Europe et l’Afrique -ici par des corridors ferroviaires de 10 000 à 15 000 km, là par d’imposantes routes maritimes ! Conçu correctement, il peut favoriser un développement des coopérations à une échelle sans précédent et contribuer à l’émergence d’un monde plus uni et plus solidaire. Magnifique défi, donc.
Certains hérauts de la « famille occidentale » craignent que ce projet ne contrecarre la suprématie des Etats-Unis sur le monde. Argument irrecevable pour les progressistes : nous ne soutenons la suprématie d’aucune puissance, quelle qu’elle soit. D’autres reprochent à la Chine de penser d’abord à ses propres intérêts -recherche de débouchés; sécurisation de ses approvisionnements; recherche d’une reconnaissance internationale… Cette objection tombe également si les coopérations sont conçues de manière à ce que les gains de l’un ne se traduisent pas par une perte pour les autres -principe essentiel que les Chinois disent explicitement accepter dans les négociations à venir. Enfin, certains milieux d’affaires ne conçoivent pas des « retours sur investissements » sur 30 ou 35 ans , comme c’est, en partie, envisagé pour ces méga-chantiers : leurs petits calculs de rentabilité à court terme ne doivent pas nous détourner d’une vision d’avenir comme celle que peuvent nous offrir ces chantiers titanesques et les relations culturelles et humaines qui doivent les accompagner !
Prenons, en revanche, très au sérieux les interrogations légitimes, telles que le risque d’une multiplication d’acquisitions de secteurs stratégiques par la Chine (comme le port grec du Pirée), ou celui de l’exacerbation de la concurrence dans des domaines sensibles en matière d’emploi (comme les exportations d’acier ou des produits high-tech), et plus généralement la crainte du dumping social ou environnemental. Il en va de l’acceptabilité de ces « Nouvelles routes » par les citoyens européens, donc de la réussite de ce grand projet ! « Nous voulons construire avec vous des rapports gagnants-gagnants » nous répondent à ce propos nos amis chinois . Dès lors, que faire ? Bouder cette initiative planétaire comme l’ont fait les principaux pays européens, dont la France, en refusant d’envoyer des dirigeants de haut niveau au récent Forum international chargé de définir les contours du projet, à Pékin ? Ou, au contraire, s’engager fermement dans des négociations transparentes , mais pour des coopérations effectivement bénéfiques pour tous ? Poser la question, c’est y répondre. Il faut saisir cette chance historique de changer le cours de la mondialisation, dans un sens plus inclusif, plus coopératif et plus pacifique ! Cela risque de ne pas être facile et prendra du temps ? Comme le dit, paraît-il, un proverbe chinois : « La patience est une planète amère…dont les fruits sont sucrés ».
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(1) Immense programme d’infrastructures visant notamment à relier la Chine à l’Europe. (Voir HD 22281 du 12/10/2017)
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