Archive for décembre, 2022
LES OUBLIÉS DE LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE
L’élan de solidarité avec le peuple ukrainien restera dans l’Histoire contemporaine comme une expérience exemplaire. Il donne à voir ce dont est capable, en matière de mobilisation, la conjonction de l’engagement populaire, étatique et médiatique en faveur d’une même cause. De fait, l’agression militaire russe contre un pays souverain est, en elle-même, un crime particulièrement révoltant et inacceptable. Quant aux innombrables vies sacrifiées dans cette guerre absurde et à l’ampleur des violences et des destructions infligées à la population ukrainienne, elles dépassent l’entendement et soulèvent l’indignation générale. Le mouvement de solidarité exceptionnel que l’on observe est donc pleinement légitime et tout à fait bienvenu.
Ce qui interroge, en revanche, c’est le contraste saisissant entre cette mobilisation spectaculaire et le faible degré d’implication -pour le moins- des mêmes gouvernements comme de nombre de grands médias dans le soutien aux victimes des multiples tragédies à travers le monde, sur lesquels est jeté depuis quelques temps un voile pudique proprement insupportable. Arrêtons-nous sur quelques uns de ces cas d’oubliés de la solidarité, qui, par dizaines de millions, interpellent quotidiennement la communauté internationale dans un silence assourdissant !
Un exemple emblématique : le Proche-Orient. « Il ne faut pas parler du conflit israélo-palestinien et/ou de l’effondrement de la démocratie israélienne ! » -ironisait récemment Charles Enderlin sur son blog, en énumérant tous les prétextes avancés ou les réactions redoutées par ceux qui se taisent sur les inavouables réalités de cette région.
Autre cas révélateur : l’abandon des Kurdes. « Il est important et prioritaire de nettoyer le long de la frontière des terroristes , sur au moins 30 km de profondeur », vient d’affirmer Erdogan, le trublion de l’OTAN, en parlant des Kurdes de Syrie, nos anciens alliés dans la lutte contre Daech, aujourd’hui lâchés par les dirigeants occidentaux face aux raids aériens turcs et à la menace d’une opération militaire terrestre du tyran d’Ankara. Le même Erdogan apporte , par ailleurs, ouvertement son concours à l’Azerbaïdjan dans ses attaques répétées contre l’Arménie, tandis que l’Union européenne conclut de juteux contrats gaziers avec Bakou…
Et puis, qui ose aujourd’hui rappeler à la grande puissance si fière de sa mission civilisatrice le sort réservé au peuple afghan -en particulier les femmes et les filles- brutalement livrés aux talibans, à leur obscurantisme et à la misère absolue après 20 ans d’occupation ? Ou encore, se rappelle-t-on qu’au Yémen, après 8 ans de guerre, 23 millions de personnes dépendent de l’aide humanitaire pour leur survie et un enfant perd la vie toutes les 10 minutes en raison de maladies parfaitement évitables ? Et la RDC, la Somalie, le Soudan du Sud, le Tigré, la RCA, la Libye ? Et les innombrables laissés-pour-compte de la sécurité alimentaire, sanitaire, climatique…? Espérons, à tout le moins, que les victimes de tous ces drames oubliés qui chercheront un havre de paix en Europe ne se heurteront pas à un tri selon leur religion ou leur couleur de peau… La solidarité vraie ne se divise pas.
« L’INQUIETANTE PERTE DE MAÎTRISE DES ARMEMENTS »
Ce 16 décembre s’achève à Genève une conférence internationale sur les armes biologiques (ou bactériologiques, ou à toxines) -ces systèmes conçus pour propager chez l’ennemi des maladies potentiellement mortelles. On le sait : ces armes sont officiellement prohibées depuis 1972 . C’était même, à l’époque, une grande « première » : jamais auparavant un traité international n’avait banni la mise au point, la fabrication, le stockage et le transfert de toute une catégorie d’armes ( Convention dite CAB ). Chaque État partie s’est ainsi engagé à prévenir et à combattre toute violation des termes de cette Convention sur son territoire comme dans ses relations internationales. Aussi l’ONU considère-t-elle ce traité comme « un élément essentiel pour la communauté internationale dans sa lutte contre la prolifération des armes de destruction massive ». Comme pour les autres grands accords de désarmement -tels le Traité sur la non-prolifération nucléaire ou celui interdisant les armes chimiques, par exemple- il fut prévu de réunir tous les cinq ans une Conférence réunissant les 184 Etats parties afin de s’assurer collectivement du respect du traité en question, et d’établir un plan d’action pour les cinq années qui suivent. L’atmosphère de ces rencontres constitue donc un bon indicateur de l’état des relations internationales.
Comme on pouvait s’y attendre dans le contexte actuel -tout particulièrement celui de la guerre russo-ukrainienne- , la Conférence de Genève a reflété cette année la spectaculaire dégradation du climat de confiance entre les nations, ce carburant vital d’une diplomatie multilatérale. Au centre des affrontements verbaux, dont la violence a surpris les observateurs les plus familiers de ce type de réunion : les laboratoires ukrainiens censés travailler sur différents agents pathogènes dans un but de santé publique et animale, mais aujourd’hui suspectés par Moscou de développer des armes biologiques avec l’aide des Etats-Unis. D’un côté, la Russie accuse l’Ukraine sans preuve, de l’autre, Kiev et Washington refusent toute commission d’enquête sur la question. L’impasse est totale.
Consciente des risques que ces vives tensions faisaient courir à l’effectivité du traité, la Haute-Représentante des Nations Unies pour les affaires du désarmement, Madame Izumi Nakamitsu, a fait appel à l’esprit de responsabilité des dirigeants présents en soulignant que « les 50 ans d’histoire de la Convention démontrent que même en période de défis géopolitiques, les Etats parties peuvent coopérer ». Mais c’était pour constater aussitôt avec gravité que la situation à cet égard, ne cessait de se dégrader depuis quelques temps déjà : « les processus multilatéraux ont été bloqués ou réduits (…) Nous avons vu les normes contre d’autres armes précédemment interdites s’éroder ces dernières années », mit en garde la diplomate onusienne. Attention, danger ! La fracturation du monde favorise une « inquiétante perte de maîtrise des armements », selon la formule pertinente du grand quotidien genevois « Le Temps », qui a suivi les travaux de ladite Convention. Un avertissement à prendre très au sérieux.
MACRON-BIDEN : LE PRIX DE LA VASSALISATION
Donald Trump a théorisé l’ America first , Joe Biden le pratique.
Les envolées lyriques du Président américain en recevant au début du mois Emmanuel Macron -« La température est peut-être fraîche en cette matinée lumineuse de décembre, mais nos cœurs sont chauds d’accueillir des amis si proches à la Maison Blanche »…- et les figures de style de son homologue français -« nous allons synchroniser nos approches et nos agendas »- n’y ont rien changé : Emmanuel Macron est reparti bredouille, s’agissant de l’enjeu principal de sa « visite d’Etat », à savoir exempter l’UE des effets de l’Inflation Réduction Act. On le sait : une disposition de cette loi réserve aux seules productions made in USA quelque 400 milliards de dollars d’aides et de crédits d’impôts, en particulier dans le secteur des véhicules électriques et des industries liées à la défense du climat. Force est de constater que les récriminations du Président français contre ces mesures « super agressives » qui risquent de pousser à des délocalisations depuis l’Europe vers les Etats-Unis n’ont pas ému l’ami et l’allié américain : « Je ne m’excuse pas », a même sèchement rétorqué ce dernier. Aucune remise en cause de cette législation n’est donc à attendre. Mais qui pouvait en douter?
Emmanuel Macron et, plus généralement, les Européens ont-ils espéré un retour d’ascenseur de Washington pour compenser leurs achats massifs de gaz liquéfié -qui plus est à un prix quatre fois plus élevé que ne le payent les industriels américains !- sans parler des importations inconsidérées d’avions de chasse F-35, de blindés, de missiles et de pièces d’artillerie, au nom de la solidarité transatlantique ? Le Président français a même cru -dans l’espoir de faire fléchir le « boss » du monde occidental- devoir invoquer « l’avantage pour les Etats-Unis » que représenterait une Europe forte…« compte tenu des priorités qu’ils ont dans l’Indo-pacifique ou à l’égard de la Chine » ! Une allusion directe à l’appel à « mobiliser les démocraties » derrière Washington dans sa croisade contre le grand rival asiatique, qu’avait lancé le Président Biden en juin 2021, lors de sa toute première visite en Europe. Là encore, Emmanuel Macron a fait choux blanc. C’est que, pour la Maison Blanche, dans le funeste contexte mondial que nous subissons aujourd’hui, la « solidarité » est plus que jamais à sens unique, les « alliés » sont nécessairement alignés, chaque capitulation accroît la vassalisation. Pour avoir rangé leurs velléités d’ « autonomie stratégique » ou de « souveraineté européenne » au magasin des illusions perdues, les dirigeants européens payent désormais au prix fort leur choix de l’occidentalisme contre celui d’ un multilatéralisme conséquent. Puissent leurs déboires actuels contribuer à leur ouvrir les yeux. Ou plutôt, puisse la douloureuse expérience du désordre mondial actuel casser dans les esprits le mythe de la puissance et de ses corollaires : la hiérarchie des États et les rapports de domination.
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