Archive for avril, 2010
« NOUS POURRONS TUER 20 MILLIONS D’HOMMES »
Le Général De Gaulle expliqua le principe de la « force de dissuasion », le 4 mai 1962, à son porte parole, Alain Peyrefitte, en ces termes: « D’ici la fin de l’année prochaine, nous aurons ce qu’il faut pour tuer vingt millions d’hommes deux heures après le déclenchement d’une agression. » Puis, il précisa: « Nous ne les tuerons pas, parce qu’on saura que nous pourrions le faire. Et, à cause de ça, personne n’osera plus nous attaquer (…) Nous allons devenir un des quatre pays invulnérables. »
En quelques mots, tout était dit. C’est pour tenter de prévenir la contagion de ce raisonnement à tous les Etats désireux de se rendre, aux aussi, « invulnérables » en se rendant capables de « tuer vingt millions d’hommes » en deux heures, que fut signé le Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP) en 1968 (entrée en vigueur en 1970). Trois pays refusèrent d’y adhérer: L’Inde, la Pakistan et Israël. D’autres trainèrent les pieds pour le ratifier. En particulier la France qui mit 22 ans à s’exécuter (1992)! C’est que ce texte, d’une importance primordiale pour la sécurité planétaire, comportait des obligations tant pour les pays non détenteurs de la bombe – s’engager à ne pas l’acquérir et laisser l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA) effectuer ses contrôles – que pour les cinq puissances nucléaires alors reconnues comme telles – s’abstenir de toute attaque on menace contre des pays non dotés de « la bombe », se porter à leur secours en cas de besoin, et surtout « poursuivre de bonne foi des négociations » sur un désarmement nucléaire généralisé (c’est le fameux « article 6 » du TNP). C’est pour vérifier le respect de ces engagements qu’une « Conférence d’examen » du TNP est réunie tous les cinq ans. La prochaine s’ouvre ce 3 mai à New York. A lire nombre de commentaires, un seul problème se poserait: quelles sanctions contre l’Iran, signataire du TNP, pour le contraindre à abandonner son projet supposé de fabriquer des armes nucléaires. La réalité est bien plus complexe.
La vérité, c’est que la sécurité internationale ne se divise pas. Elle ne peut reposer sur le privilège des uns et le harcèlement des autres. Elle exclut les exceptions à la règle commune. Elle suppose la coopération de tous, le respect de chacun, la confiance mutuelle. En un mot: l’égalité de traitement. Or, il n’en est rien. Qu’a-t-on fait, depuis les 40 ans qui nous séparent de l’entrée en vigueur du TNP pour placer Israël devant ses responsabilités et travailler à faire du Moyen Orient une « zone exempte d’arme nucléaire »? Où est la limite entre une prolifération acceptable en Israël et une prolifération proscrite (si elle est prouvée) en Iran? La même question vaut pour l’Inde, à laquelle Washington a signé un passe-droit en 2005, entrainant ipso facto l’exigence du Pakistan (parrains des talibans afghans) de voir, lui aussi, légitimer « sa » bombe.
Alors, que faire pour sauver le TNP et lutter efficacement contre TOUTE prolifération nucléaire? L’affaire est avant tout entre les mains des cinq puissances nucléaires reconnues. D’abord, elles doivent prouver au monde leur « bonne foi » en faveur du désarmement nucléaire généralisé- y compris, donc, en ce qui les concerne elles-mêmes. Il faut aller de l’avant au lieu de mégoter comme le fait le gouvernement français, paniqué à l’idée de devoir toucher à son tour à ses 300 têtes nucléaires. Ensuite, cela suppose des actes significatifs de la part de l’OTAN. Par exemple, retirer les quelques 200 armes atomiques américaines toujours stationnées en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie et en Turquie, et renoncer définitivement à installer un système de défense antimissile – fût-il « allégé » – en Europe centrale. Enfin, la dénucléarisation du Moyen Orient est la vraie – et sans doute la seule – solution durable à la crise nucléaire iranienne.
Puisse la relance du débat sur le désarmement nucléaire faire murir un nouveau paradigme de la sécurité internationale qui fasse disparaitre des esprits l’idée monstrueuse qu’il faille prouver sa capacité à « tuer 20 millions d’hommes » pour vivre en paix.
Chronique pour l’H.D.
25/04/2010
L’autre événement majeur de Katyn
Ce n’est pas manquer de respect à la mémoire de l’ancien président polonais et des 95 autres victimes de la tragique catastrophe aérienne de Smolensk que de revenir aujourd’hui sur quelques vérités que la plus légitime des émotions ne doit pas faire oublier.
Et d’abord, pourquoi avoir organisé cette cérémonie à Katyn le 10 avril alors qu’un hommage extraordinaire venait d’être rendu dans ce même lieu, trois jours plus tôt, aux 22 000 officiers polonais massacrés par la police secrète de Staline en 1940 ? C’est que Lech Kaczynski avait en horreur non seulement les deux protagonistes de l’initiative historique du 7 avril – le premier ministre russe et son homologue polonais –, mais la conception même de leur acte hautement symbolique : « Régler les blessures du passé » et normaliser les relations entre les deux pays en tournant spectaculairement la page d’un énorme mensonge d’État – côté russe – et d’un profond traumatisme national – côté polonais. L’intégrisme réactionnaire de l’ancien président s’accommodait mieux du souvenir des douleurs passées que de l’espoir d’un avenir plus serein et trouvait plus d’attrait à un immuable « ennemi héréditaire » qu’à une réconciliation inattendue. Voilà pourquoi il projetait une contre-cérémonie, quitte à désavouer de fait le chef de son propre gouvernement. Lire la suite
Chronique d’un scandale européen
Décembre 2009 : les «agences de notation» livrent la Grèce aux vautours des marchés financiers en dégradant sa « note ». Les grands argentiers européens accablent aussitôt le faible pour rassurer les puissants : un super-plan d’austérité est imposé à la Grèce. Athènes se plie aux injonctions et présente un plan d’économies drastique. Pourtant, « l’aide » n’arrive pas. Nouvel espoir le 11 février : Nicolas Sarkozy annonce qu’Angela Merkel et lui-même allaient « soutenir la Grèce et son plan». Sans suite. 3 mars : pressé par Bruxelles de décider des « mesures additionnelles » pour répondre aux doutes persistants des «investisseurs», le gouvernement Papandréou s’exécute. Mais d’aide, point.
25 mars : le Conseil européen finit par adopter un « plan de sauvetage » de la Grèce. En fait, il espère que sa seule déclaration suffira à rendre confiance aux « investisseurs ». L’accord ne prévoit des financements qu’« en dernier ressort », si les États membres de la zone euro le décident à l’unanimité, et seulement après évaluation de la situation par la Commission européenne et la Banque centrale. En tout état de cause, il s’agirait de « prêts bilatéraux » de chaque État et à un taux supérieur à la moyenne de la zone euro pour ne pas encourager le laxisme ! Enfin, le Fonds monétaire international, outre l’envoi d’« experts » sur le terrain, devra participer au « sauvetage » financier. On en a froid dans le dos. En attendant, l’Europe continue de laisser un pays meurtri se débattre contre les « investisseurs » qui lui imposent désormais des taux d’intérêt jusqu’à 150 % plus élevés que ceux offerts a l’Allemagne – pays à la fois le plus riche et le plus rétif à toute aide effective. La Grèce est dès lors enfermée dans un piège : plus elle a de difficultés, plus l’argent emprunté coûte cher, et plus l’argent coûte cher, plus elle a de difficultés ! Cela ne peut durer.
11 avril : les argentiers de la zone euro, par crainte d’un effet de contagion, sont acculés à bouger. Ils précisent enfin les conditions de leur « aide » à la Grèce. Comme prévu, les 30 milliards d’euros mis à disposition pour 2010 seront prêtés sur trois ans à un taux d’intérêt de l’ordre de 5 %. Ce taux, très au-dessus du taux moyen du marché dans la zone euro, permettra aux généreux prêteurs de gagner beaucoup d’argent dans l’opération ! Rappelons qu’une tout autre solution était possible en court-circuitant les marchés : ainsi la Banque centrale européenne prête-t-elle aux banques tout l’argent qu’elles désirent à… 1 % ! Mais les traités européens lui interdisent formellement d’accorder des prêts aux États membres !
Un comble : le prêt complémentaire concédé à la Grèce par le Fonds monétaire international sera accordé à un taux sensiblement plus avantageux que celui des « partenaires » de la Grèce dans la zone euro !
Tout un symbole… La sévérité européenne a, selon Jean-Claude Junker, président de l’Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro), une sorte de vertu pédagogique. Elle vise à « encourager (la Grèce) à retourner le plus rapidement possible à un financement normal sur les marchés », autrement dit à mener une politique économique et sociale susceptible de regagner « la confiance des investisseurs ».
Il aura donc fallu quatre mois pour que les principaux décideurs de la zone euro mettent concrètement au point ce laborieux mécanisme, payé au prix fort par le peuple grec. Quand on pense à la rapidité avec laquelle ces mêmes États avaient secouru les banques et au volume des crédits alors mobilisés, on mesure la place respective des institutions financières et des peuples dans l’ordre des priorités des principaux dirigeants européens.
La Grèce est-elle au moins sauvée à présent ? Pour beaucoup d’économistes, notamment outre-Atlantique, les plus grands doutes sont de mise. Dans les jours qui viennent, les marchés scruteront de près le verdict des « agences de notation ». En l’espace de quatre mois, ce véritable scandale aura cruellement révélé jusqu’à quelles extrémités peut conduire le fait de toujours différer l’incontournable : changer l’Europe !
Chronique pour l’H.D.
15/04/2010
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