Archive for décembre, 2010

PASSER A L’OFFENSIVE SUR L’EUROPE

Dans ma toute première chronique de 2010, je posais la question : « 2010 sera-t-il l’année de l’éclatement de la zone euro? » On n’en est finalement pas (encore ?) arrivé à cette extrémité. Je dirai : fort heureusement, car les peuples concernés en seraient à coup sûr les premières victimes, tant les dominations des plus puissants s’exacerberaient au détriment des plus faibles tandis que les spéculateurs s’en donneraient à cœur joie sur ce champ de ruines… Mais on n’en est pas très loin si rien ne bouge sur le fond.

Les décisions prises par les Chefs d’Etat et de gouvernement lors du dernier Conseil européen de l’année (16-17 décembre derniers) ont-elles apporté le moindre début de solution à la crise ? Hélas nullement ! Certes, l’actuel « Fonds de stabilisation financière », prévu pour une durée de trois ans, va être pérennisé. Mais, à supposer que cela évite de pousser de futurs pays fragilisés à quitter la zone euro -ce qu’il reste à prouver- leur « sauvetage  » se ferait au prix d’un véritable écrasement des populations, comme on le voit aujourd’hui en Grèce et en Irlande (et dans une certaine mesure dans tous les pays membres , à titre « préventif » !). C’est totalement inacceptable et il y a fort à parier que la généralisation de ce scandale se heurtera à une opposition de plus en plus forte.

Il faut rendre de plus en plus difficile aux dirigeants de cette « Union » en flagrant échec d’empêcher l’ouverture d’un grand débat public sur ce que pourrait être un autre type de construction : solidaire, démocratique, et capable de libérer les pays membres de l’étouffante dépendance aux marchés financiers. C’est possible. Ainsi une idée qui nous est chère depuis longtemps -la réorientation des missions de la Banque centrale européenne (BCE)- est en train de faire son chemin, notamment dans le mouvement syndical européen et y compris parmi les économistes de divers horizons. Les circonstances se prêtent à un aiguisement de ce débat. La BCE a, en effet, la possibilité de financer à des conditions très avantageuses les investissements publics pour le développement social dans les pays membres ! Et ce en créant de la monnaie, c’est à dire sans recours à l’emprunt sur les marchés de capitaux ! Voilà une exigence porteuse de ruptures salutaires autour de laquelle on peut et on doit rassembler des forces vives dans toute l’Union européenne. C’est le sens de l’initiative que vient de prendre le Parti de la Gauche européenne (PGE) : il va lancer en 2011 une collecte d’un million de signatures en faveur de la création, dans cet esprit, d’un « Fonds européen de développement social ».

Cela nécessiterait de changer les traités ? Et alors ? Les « 27 » ne veulent-ils pas modifier l’article 136 du traité de Lisbonne (qu’ils prétendaient jusqu’alors intouchable) sur le fonctionnement de la zone euro pour légaliser leur « mécanisme de stabilité » financière ? Banco, si je puis dire! Quitte à changer les traités, changeons les pour de bon. Il est temps, pour la gauche, de passer à l’offensive sur l’Europe.

Bonne année 2011 !

 

*************

NB : La semaine dernière, la chronique intitulée « réponse à un ami internaute » appelait une suite, tant sur les contours d’une alternative progressiste que sur le chemin à emprunter pour réussir à amorcer un tel changement. Ce que nous venons d’évoquer sur la maturation du débat d’idées et sur les perspectives d’action en France et à l’échelle européenne s’inscrit dans ce dialogue. Nous le poursuivrons dès notre prochain rendez-vous.

23 décembre 2010 at 8:27 2 commentaires

COMMENT SOMMES-NOUS DEVENUS PAUVRES ?

Au début du mois de novembre, j’ai participé à un colloque à Budapest. Organisé par le « Kossuth Klub », cercle progressiste hongrois, en coopération avec Le Monde diplomatique, la revue Transform! et la revue Eszmélet. Voici mon intervention.

Mesdames, Messieurs,

C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai répondu à l’invitation à participer à ce colloque.  Le sujet dont nous traitons est, en effet, au cœur des confrontations qui secouent nombre de nos pays respectifs depuis plusieurs années sur le modèle économique à faire prévaloir dans l’Union européenne pour en finir avec le scandale de la pauvreté de masse.

J’aborderai, pour ma part, le sujet, sous un triple angle.  Je retracerai tout d’abord les grandes étapes d’une ambition affichée par tous les promoteurs de la construction européenne depuis un demi-siècle: celui d’en finir avec la pauvreté.  Je m’arrêterai ensuite sur les principaux éléments du diagnostic d’un échec: celui, précisément, des multiples tentatives d’éradiquer la pauvreté sans remettre en cause le modèle économique très libéral qui structure l’actuelle construction européenne.  Je pointerai enfin quelques uns des verrous à faire sauter, à mes yeux, pour pouvoir s’attaquer aux causes profondes du fléau que tout le monde dit vouloir combattre avec acharnement.

Tout d’abord, donc:

Les grandes étapes d’une ambition affichée.

Depuis sa création, la Communauté européenne affirme une volonté de promotion sociale.  Le traité de Rome promettait déjà le « progrès économique et social » Et c’est dès 1957 qu’a été créé dans cet esprit le Fonds social européen, censé soutenir l’emploi et la formation des travailleurs.

En 1975 apparaît le premier programme de lutte contre la pauvreté.  Il s’agit d’un programme-pilote visant notamment la réalisation d’études destinées à aider à mieux comprendre le phénomène de la pauvreté pour mieux en venir à bout.  Le Conseil des Ministres considère alors comme pauvres « les personnes ou les familles dont les ressources sont si limitées qu’elles les excluent d’un minimum acceptable de mode de vie dans l’Etat membre dans lequel elles vivent. »  Le programme devait couvrir une période allant de 1975 à 1993.  Il n’ira pas à son terme, car, très vite, la Grande Bretagne et l’Allemagne en contesteront la légalité au nom de la subsidiarité qui situe la responsabilité en matière sociale non pas au niveau de l’UE mais à celui de chaque Etat membre.

En 1992, le Conseil des Ministres publie deux communications.  L’une encourage les Etats à reconnaître « le droit élémentaire des personnes à des ressources suffisantes (…) pour vivre de manière compatible avec la dignité humaine. »  L’autre souligne que la notion de « modèle social européen » appartient à l’acquis communautaire et se prononce pour des orientations censées permettre d’atteindre cet objectif.

En 1997, le Traité d’Amsterdam apporte une base légale à la lutte contre l’exclusion sociale, en intégrant aux « objectifs » de l’UE et des Etats membres « l’amélioration des conditions de vie » et une protection sociale adéquate. »  La même année est mise en œuvre la première – excusez ce charabias communautaire – « Méthode ouverte de coordination » (MOC).  Il s’agit, par là, dans les domaines relevant des Etats membres, d’organiser entre tous les Etats, une émulation, des évaluations collectives des mesures prises, afin de favoriser des engagements convergents et durables de tous les Etats sur des objectifs communs.

Pendant toute cette période ont également été prises – et continuent de l’être – des mesures concrètes visant à subvenir à des besoins essentiels de personnes en grandes difficultés.  Par exemple, sous forme de distribution de denrées alimentaires aux organisations humanitaires.  A défaut d’accepter de s’en prendre aux causes de la pauvreté, on s’attaque à ses effets les plus révoltants.   Des pays comme la Roumanie mais aussi l’Espagne, l’Italie ou la France en bénéficient. D’autres refusent, notamment ceux qui militent par ailleurs pour la réduction du budget de la PAC.  (Par exemple, pour 2011, les quantités à distribuer sont déjà budgétées: 1 500 t de beurre, 100 000 t de lait en poudre; 3 millions de t de céréales…  Ce qui représente quelque 480 millions d’euros.)

Mais c’est en 2000, avec l’adoption de la « Stratégie de Lisbonne 2000-2010 » (qui n’a rien à voir avec le traité du même nom) qu’est affirmée avec le plus de force l’ambition de « donner un élan décisif à l’élimination de la pauvreté » d’ici 2010 et d’ « assurer l’inclusion sociale active de tous ».  L’existence, alors, de 55 millions de pauvres dans l’Europe des « 15 » est déclarée « inacceptable ».

Des indicateurs sont mis en place pour assurer le suivi régulier des progrès accomplis.  Par exemple, le taux de pauvreté monétaire (le revenu) et non monétaire (les conditions de vie, les privations); le taux de travailleurs pauvres; la situation par tranche d’âge…Cela ne se fait d’ailleurs pas sans mal.  Par exemple, l’appréciation du niveau de revenu à partir duquel on est considéré comme pauvre varie fortement d’un Etat à l’autre.  Non seulement dans l’absolu, ce qui est normal.  Mais aussi relativement au revenu médian des pays.  Le plafond proposé est de 60% (sont pauvres ceux ou celles qui ont un revenu inférieur à 60% du revenu médian de leurs compatriotes).  Mais dans certains pays, le taux appliqué n’est que de 50%, voire de 40% du revenu médian – ce qui abaisse mécaniquement le nombre de pauvres recensés dans le pays considéré…

Néanmoins, l’Union européenne mobilise des moyens financiers et se dote d’instruments juridiques pour mener ses actions contre la pauvreté.  Le FSE obtient, pour la période 2007-2013, 75 milliards d’euros.  Un Fonds européen d’ajustement à la mondialisation est créé pour favoriser la réinsertion de travailleurs perdant leur emploi lors de restructurations de grande ampleur.  Là encore, on ne s’en prend pas à la cause de ces restructurations qui est,dans la plupart des cas, la course à la rentabilité financière au mépris de ses conséquences pour les hommes et les femmes.  On se contente d’en atténuer les effets.

Encore ce fonds n’est-il doté que de 500 millions d’euros, prélevés sur les crédits non dépensés l’année précédente.  Les conditions d’éligibilité à ces aides sont, de ce fait, très sélectives.  Concernant les instruments juridiques dont se dote l’UE, dans la même période (2000), citons la Charte des droits fondamentaux qui stipule:

  • Que « la dignité humaine est inviolable.  Elle doit être respectée et protégée »
  • Et qu’ « afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’UE reconnaît et respecte le droit à l’aide sociale, à l’aide au logement, à l’accès aux services sociaux-« 

Quant au traité de Lisbonne lui-même, entré en vigueur il y a un an, il comporte une « clause sociale » prévoyant que soit évalué l’impact social de toutes les politiques européennes.

On comprend donc qu’il s’agit d’une expérience structurée de bout en bout, notamment depuis le lancement de la stratégie de Lisbonne 2000-2010.  Selon un principe clair – ne pas toucher aux règles libérales qui engendrent la pauvreté mais multiplier les amortisseurs sociaux et autres garde-fous.  C’est un choix stratégique.  Il appelle donc une évaluation, un bilan; puis des conclusions appropriées.

C’est ce que je me propose d’esquisser dans ma deuxième partie:

Diagnostic d’un échec– Un constat impitoyable s’impose: 10 ans après le lancement de la stratégie de Lisbonne, la pauvreté, non seulement na pas été « éliminée », mais n’a pas même reculé.  Elle a progressé.

– Elle touchait officiellement en 2008 (avant la crise financière) 84 millions de personnes, 17% de la population en moyenne (près de 20% en Grande Bretagne, plus de 20% en Bulgarie, Roumanie), 1 Européen-ne sur 6.

– Parmi ces personnes pauvres ou « courant le risque de la pauvreté », 70 millions ont un emploi (chiffre du Conseil emploi – politique sociale du 31/3/2008).  Ce sont les travailleurs pauvres (working poors).

– 20 millions de ces pauvres sont des enfants (après transferts sociaux). AVANT ces transferts (aujourd’hui souvent menacés) ils sont même 30 millions.

– Au-delà de ces personnes, le problème de société que devient la pauvreté, s’étend de plus en plus largement:

o   1 Européen-ne sur 5 déclare avoir au moins une fois manqué d’argent en 2010 pour acheter de la nourriture, des biens de consommation courante ou bien régler des factures;

o   3 Européens sur 10 estiment qu’il est « de plus en plus difficile de faire face aux dépenses de santé »

o   3 européens sur 4 pensent que la pauvreté augmente dans leur pays.

o   L’explosion de la précarité rend possible une chute brutale dans la grande pauvreté et entretient l’angoisse de l’engrenage fatal (en France, par exemple, 1 personne sur 2 n’exclut pas de se retrouver un jour dans la rue, comme SDF!)

o   Les écarts de salaires sont tels dans l’UE que la mobilité n’est possible que dans un seul sens: des pays à très bas salaires vers les autres.  cette réalité crée un dumping social général, une mise en concurrence des travailleurs et des tensions contre les migrants.

(Un emploi à taux plein en Hongrie est payé 6 fois moins qu’en Allemagne; le salaire minimum bulgare est 13 fois inférieur à celui du Luxembourg – 123 € contre 1642! -; 9 pays ont un salaire minimum inférieur à 300€ par mois; l’Allemagne a institué des « jobs à 1€ » de l’heure.

o   A l’intérieur des pays, les inégalités rendent la pauvreté encore plus exclusive, brisant le lien social, engendrant un sentiment de déclassement, de marginalisation, de stigmatisation.  En Allemagne, les 10% les plus riches possèdent plus de 60% des biens privés, tandis que les 70% des plus pauvres détiennent 9% du patrimoine.  Dans les « nouveaux länder » de l’Est, le patrimoine moyen des habitants a diminué en valeur absolue entre 2002 et 2007 à la suite de la chute de l’immobilier et de l’augmentation du chômage.

Il s’agit donc, pour toute l’Union européenne et ses Etats membres, d’un grave échec.  Un échec à analyser à la lumière des objectifs que l’Union européenne s’était assignés, des moyens qu’elle a mobilisés, des instruments dont elle s’est dotée.

C’est à cette analyse que je vais succinctement m’attacher dans ma troisième et dernière partie:

Des verrous à faire sauter pour s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté

Ils tiennent, à mes yeux, à la conception même de l’actuelle construction européenne et en particulier à trois de ses lignes-force qui ont été exacerbées ces dernières années:

  • L’Union européenne laisse trop de pouvoir aux marchés notamment aux marchés financiers (interdiction de toute « entrave » à la libre circulation des capitaux; Banque Centrale dévouée aux marchés financiers – l’ « euro fort » est attrayant pour les capitaux mais épuise les peuples-; pacte de stabilité pour rationner les dépenses publiques…)  On a vu en 2008-2009 où conduit cet emballement libéral.  Or, si la supervision de cette fuite en avant sans fin a été renforcée, la logique à l’œuvre n’a pas changé.  C’est une machine à fabriquer de la richesse insolente et de la pauvreté scandaleuse.
  • L’Union européenne actuelle encourage la mise en concurrence des peuples (course au moins disant social, précarisation, ouverture obligatoire des entreprises publiques à la concurrence…) Dans un tel schéma, fondé sur le dumping social, on fabrique obligatoirement de la pauvreté.
  • L’Union européenne affaiblit les capacités de résistance et d’intervention des citoyens et des acteurs sociaux. (Concentration des pouvoirs au sommet; systèmes de contraintes, de contrôles, de sanctions…jusqu’au contrôle des projets de budgets nationaux préalablement à leur examen par les parlements nationaux.)

Dans une telle logique, le social devient une variable d’ajustement de la guerre économique.  Les textes juridiques européens traduisent cette contradiction entre les ambitions affichées et la logique du système économique.  Quelques exemples:

  • J’ai évoqué la Charte des droits fondamentaux.  L’un de ses articles reconnait « le droit d’accès aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse ainsi qu’en cas de perte d’emploi. »

En fait, cet article, comme beaucoup d’autres, est suivi d’une « explication établie sous l’autorité du Praesidium de la Convention européenne » qui stipule: « la référence à des services sociaux vise les cas dans lesquels de tels services ont été instaurés pour assurer certaines prestations, mais n’impliquent aucunement que de tels services doivent être créés quand il n’en existe pas »! (Ces explications, est-il précisé, sont destinées aux juridictions éventuellement saisies, qui devront en tenir dûment compte)

  • Dans le traité de Lisbonne, l’article reconnaissant la « mission particulière » que représentent les « services d’intérêt économique général » (SIEG) pour l’application de laquelle une entreprise est, par dérogation, autorisée à ne pas respecter les règles de concurrence, se termine par ce garde fou: « le développement des échanges ne doit pas être affecté (par les SIEG) dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union« 
  • Même garde fou dans l’article du traité sur la politique sociale: « l’Union et les agissent en tenant compte (…) de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union »
  • Même tonalité de l’article sur la protection sociale et la lutte contre l’exclusion sociale:

« les législations européennes adoptées en vertu du présent article (…) ne doivent pas affecter sensiblement l’équilibre financier ».

  • Dans la jurisprudence de la Cour européenne de Justice

Ainsi les Pays-Bas ont-ils été condamnés à changer leur système de logement social pour cause d’ « erreur manifeste » de service public.  En effet, le plafond des revenus ouvrant droit à ces logements (33000€ pour un ménage) a été jugé trop élevé.

En Basse Saxe (Allemagne), un autre arrêt (Arrêt Rüffert) a donné raison à une entreprise lettone, sous-traitante d’une entreprise allemande du bâtiment, qui prétendait payer ses salariés 50% du salaire minimum appliqué dans ce secteur et cette région.  Et ce au nom de la liberté de chaque entreprise de prester ses services dans les mêmes conditions que dans son pays d’origine.

La Cour a donc placé la liberté du capital au dessus du droit du travail!

Il y a donc des dispositions fondamentales à revoir dans les structures actuelles de l’Union européenne et à rendre aussi contraignantes que les objectifs de lutte contre les déficits publics, par exemple, aujourd’hui, des objectifs chiffrés et un calendrier précis en matière d’élimination de la pauvreté en Europe.  Si les milieux d’affaire ne veulent pas entendre parler de tels objectifs contraignants en matière de lutte contre la pauvreté, c’est précisément parce qu’ils craignent que cela conduise à terme à une remise en cause des règles économiques libérales auxquelles ils tiennent par dessus tout.  La balle est dans le camp des décideurs politiques.

Le problème est que les principaux dirigeants européens n’ont guère d’esprit critique sur le modèle économique européen actuel.

Le 15 octobre dernier, recevant 18 organisations « philosophiques », MM Barroso, Président de la Commission européenne et Van Rompuy, Président du Conseil européen, ont carrément versé dans le lyrisme.  Pour le premier, « la lutte contre la pauvreté est une priorité européenne ».  Il a évoqué la dimension « éthique » de cette lutte mais pas l’ombre d’une autocritique vis à vis d’une politique qui s’est avérée incapable d’enrayer la pauvreté.  Pour le second, « il faut une inspiration altruiste, solidaire, humaniste.  Nous avons besoin de valeurs.  L’Union européenne, c’est l’unité dans la diversité.  L’exclusion sociale est opposée à l’unité et donc l’exclusion sociale est antieuropéenne »!

Voilà qui ne nous dit pas grand chose sur les transformations politiques à opérer pour réussir là où les stratégies mises en œuvre jusqu’ici ont échoué!

La majorité des députés au Parlement européen n’échappe pas à cette distance entre les paroles et les actes.  Ainsi, lors de l’examen du Rapport Figueiredo sur la lutte contre la pauvreté, au mois d’octobre, tout le monde on presque était bien d’accord pour recommander aux Etats membres d’instituer un revenu minimal supérieur au seuil de pauvreté, mais la proposition concrète avancée par les trois groupes de gauche de prévoir une directive-cadre contraignante en faveur d’un tel dispositif a été rejetée.  Quant au nouveau programme décennal européen succédant à la stratégie de Lisbonne – « Union Européenne 2020 » – qui constitue désormais la référence officielle des « 27 », il reporte de dix ans l’échéance initialement prévue par la stratégie de Lisbonne.  Mais cette fois-ci, l’ambition est plus modeste: on ne parle plus d’élimination de la pauvreté mais de la réduction de 20 millions du nombre de personnes touchées.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a fort à parier que – si les verrous que je viens d’évoquer restent en place – nous nous retrouvions en 2020 avec une proportion encore plus dramatique de personnes pauvres dans la population de l’UE.  Les citoyennes et citoyens, les acteurs sociaux, les organisations syndicales et associations, les forces politiques progressistes ont donc tout à gagner à faire entendre l’exigence d’une réorientation des règles économiques et des pratiques politiques européennes permettant de conférer aux objectifs sociaux la place dans les décisions effectives qu’elle occupe aujourd’hui dans les discours des principaux dirigeants.  Souhaitons que l’année de la lutte contre la pauvreté puisse contribuer à un tel sursaut.  La vigueur des mouvements sociaux à l’œuvre dans toute l’Union, ces temps-ci, nous en donne l’espoir.

Je vous remercie.

21 décembre 2010 at 9:16 Laisser un commentaire

Redonner aux États les moyens de financer un développement social

Entretien paru le  29 novembre 2010 dans l’Humanité

Francis Wurtz, ancien président du groupe parlementaire de la Gauche unitaire européenne, souhaite que la Banque Centrale Européenne aide au financement des dépenses sociales.

Pourquoi la régulation financière promue par l’Union européenne n’a pas d’effet?

Francis Wurtz. Le problème fondamental aujourd’hui est la dépendance absolue aux marchés financiers. Depuis le début de la crise, on a parlé de régulation. Mais les réponses ne vont pas au fond des choses. On n’a pas touché aux racines du système. Prenons les stress tests, c’est-à-dire le fait de soumettre les banques à une situation de crise pour voir si elles résistent. Parmi celles qui ont réussi le test, on trouve les deux banques irlandaises qui se sont finalement effondrées quand le choc réel est arrivé. Jean-Pierre Jouyet, le gendarme de la Bourse, le dit lui-même : « Les marchés financiers sont moins bien organisés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient avant la crise de Lehman Brothers (…) La moitié des transactions financières échappe à toute transparence. » La course à la rentabilité financière, à l’utilisation de l’argent pour faire plus d’argent, c’est reparti de plus belle. Tant que l’on en reste aux exigences des marchés, il n’y a plus de développement social possible. Les exigences imposées aux citoyens de la République d’Irlande, alors que son déficit public est dû au renflouement des banques privées en faillite, c’est de la folie pure. Mais il est une donnée qui ne fait pas partie de leur calcul : les hommes et les femmes. Les Irlandais le leur ont rappelé spectaculairement en se soulevant contre cette opération honteuse.

Pour sortir durablement de la crise, quelle nouvelle architecture financière faudrait-il?

Francis Wurtz. Il existe des propositions que les économistes communistes avancent depuis longtemps, et qui sont aujourd’hui rejointes par des idées voisines. Je pense en particulier à cette proposition d’un fonds européen de développement social avancé par l’économiste communiste Paul Boccara. L’idée est, pour dépendre de moins en moins des marchés financiers, qu’une part importante de dette des États soit achetée par la Banque centrale européenne (BCE). Cette dernière userait de son pouvoir de créer de l’argent pour acheter les titres publics à des taux très bas. Jusque-là, ce n’est pas révolutionnaire puisque la Réserve fédérale américaine (Fed) le fait, et que la BCE l’a fait en violant ses propres règles au cours de la crise actuelle. La différence – essentielle ! – avec notre proposition, c’est que l’argent ainsi libéré irait, via ce fonds, au financement du développement social : l’emploi, la formation, la recherche, les services publics, la défense de l’environnement.

Quel est l’enjeu ?

Francis Wurtz. La question est de redonner aux États les moyens de financer un véritable développement social. On ne serait pas libérés d’emblée des marchés financiers ni de tous les effets toxiques du système, mais ce serait le début d’un processus à prédominance publique et sociale. Ce n’est pas le grand soir, mais un processus et des luttes. Ces propositions deviennent crédibles. La preuve, en France, des mouvements émergent sur des bases convergentes avec celles que nous défendons. En Allemagne, la Confédération allemande des syndicats (DGB) avance une proposition assez voisine de celle du fonds européen de développement social. Dans le même temps, il faut sortir de l’actuel déni de souveraineté populaire, des velléités de mettre les gouvernements à l’abri de l’intervention populaire. Ainsi, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a préconisé, cette semaine, la création « d’une autorité budgétaire centralisée » en Europe, avec « une indépendance politique comparable à celle 
de la BCE » !

Comment les luttes peuvent-elles contribuer à réduire la dépendance aux marchés financiers?

Francis Wurtz. Les mobilisations dans les pays européens sont impressionnantes. La grande question, c’est d’arriver à créer les conditions dans le débat avec les acteurs sociaux, avec les citoyens, de la construction collective d’un projet politique à la hauteur des exigences de changement, dans chaque pays et à l’échelle de l’UE. C’est la responsabilité de la gauche européenne. De vendredi à dimanche, se tient à Paris le congrès du Parti de la gauche européenne (PGE), auquel participe le PCF. La question centrale des débats devrait être celle de la contribution à ce saut qualitatif, dont nous avons un besoin absolu.

Entretien réalisé par 
Gaël De Santis

17 décembre 2010 at 1:59 Laisser un commentaire

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