Archive for février, 2021

L’EFFET-DRAGHI OU L’ILLUSION DE L’HOMME PROVIDENTIEL

                     262 voix contre 40 et 2 abstentions : c’est le score de Maréchal réalisé le 17 février dernier par Mario Draghi lors du vote de confiance du Sénat italien ! C’est donc par la grande porte que l’ex-Président de la Banque centrale européenne (BCE) est entré au palais Chigi, à Rome, comme nouveau chef du gouvernement. Ce phénomène peut surprendre à un double titre. D’abord, la « classe politique » italienne nous a davantage habitués à la surenchère démagogique entre mouvements dits « anti-système », partis libéraux et « Ligue » d’extrême-droite que par sa propension au consensus.
Ensuite, selon divers sondages réalisés au printemps dernier, 55% des Italiens interrogés étaient d’accord pour sortir de l’Union européenne et/ou de l’euro ! Or, voilà que le personnage incarnant par excellence ce « système » récusé, cette Europe honnie et cet euro conspué réussit à former un gouvernement d’union nationale et à incarner l’espoir d’un renouveau pour 60 à 70% de ses compatriotes !
La stature européenne et internationale de Draghi en a  fait l’archétype du « sauveur » d’un pays en crise profonde, à la fois sanitaire, économique et sociale, et surtout politique.
L’attelage quelque peu baroque de ministres de tous bords  politiques et d’une dose de « techniciens » qu’il vient de constituer a reçu pour mission d’entreprendre les « réformes structurelles » dont beaucoup disent attendre « le miracle italien ».  Oubliées les orientations franchement libérales de l’ex-gouverneur de la Banque d’Italie. Gommée la réputation de « Banque des nantis » de Goldman Sachs dont Draghi fut l’un des dirigeants. Il va « sauver l’Italie » comme il a « sauvé l’euro » : point final ! Tant d’illusions semées parmi des millions de femmes et d’hommes plongés dans le désarroi font froid dans le dos, car nul ne sait vers où conduiront  les probables futures déceptions et les légitimes colères populaires qui en résulteront . 
Certes, à la tête de la BCE, Mario Draghi a su se montrer nettement moins orthodoxe que son prédécesseur français, Jean-Claude Trichet. Il avait été choisi pour ce poste hautement stratégique parce que Berlin voyait en lui… « le plus allemand des Italiens ». Mais, face au risque d’éclatement de la zone euro, il n’hésita pas à contrevenir à la lecture allemande des traités européens, au point de provoquer la pire crise qu’ait connue la BCE avec « l’élite » financière allemande -jusqu’à courroucer la toute-puissante Cour constitutionnelle de Karlsruhe . Il a tenu bon et sa politique de taux zéro, voire négatifs, et d’achats massifs de titres de dettes des Etats membres lui vaut cet aura exceptionnel. Mais savoir « gagner la confiance des marchés » et répondre aux attentes d’un peuple sont, comme on sait, deux missions très différentes ! Comme c’est le cas pour tous les « hommes providentiels », le mythe de « super-Mario » n’aura qu’un temps.
Espérons qu’émergeront de ce peuple qui nous est si cher, au fil de l’expérience, les mobilisations sociales et les initiatives politiques à même d’ouvrir à l’Italie une perspective progressiste,  fondée sur l’intervention des citoyens et des citoyennes plutôt que sur  l’attente du Messie .

25 février 2021 at 4:44 Laisser un commentaire

APRÈS LA FAUTE DE MOSCOU, GARE À LA SURENCHÈRE !

On savait le Kremlin capable de brutalité, y compris dans ses relations internationales, mais on l’avait également vue habile stratège quand cela servait ses intérêts. Cette fois-ci, son manque de discernement à l’égard de Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, surprend par sa dimension clairement contre-productive, tant pour nos pays que pour la Russie. C’est une faute très dommageable. Elle risque, hélas, de renforcer, dans l’UE, le camp des partisans d’une tension durable entre les deux grands acteurs du continent,  au moment précis où l’on pouvait espérer voir enfin s’amorcer un processus de dialogue constructif entre eux. Rappel des faits.
Le 5 février dernier, contre l’avis de plusieurs gouvernements ainsi que de nombre de parlementaires européens -qui ne se limitaient pas, en l’occurrence, aux traditionnels adeptes d’ une néo-guerre froide avec Moscou- , Josep Borrell, en homme avisé, a voulu relancer les rencontres diplomatiques UE-Russie, pratiquement gelées par Bruxelles depuis 2014 (1) . Il était de ceux qui estimaient, avec raison, que l’ « Affaire Navalny », aussi condamnable soit-elle, ne devait pas faire obstacle à la reprise d’un « dialogue franc » avec son homologue russe, comme à la relance des coopérations dans des domaines cruciaux, telles la lutte contre le réchauffement climatique ou la revitalisation de l’accord sur le nucléaire iranien. Il souligna également, avec pertinence,  que le vaccin « Spoutnik V » était « une bonne nouvelle pour l’humanité ». La Russie a dit avoir apprécié cette rencontre…mais l’a conclue en expulsant le même jour trois diplomates d’Allemagne, de Pologne et de Suède ! Du pain bénit pour tous ceux qui attendaient Josep Borrell au tournant ! « Humiliation ! » « Fiasco ! » « Borrell démission ! » « Nouvelles sanctions contre Moscou ! » : l’hystérie est repartie de plus belle. Comme pour s’excuser de l’échec de Borrell, le Président du Conseil européen, le pâle Charles Michel, annonça qu’il se rendrait …en Ukraine et en Géorgie , deux pays en conflit avec la Russie, « pour souligner le soutien de l’UE à leur souveraineté et à leur intégrité territoriale ».
C’est dans ce contexte électrique que Josep Borrell doit rendre compte et « tirer les leçons » de son voyage devant les 27 ministres des Affaires étrangères, ce 22 février, avant que les Chefs d’Etat ou de gouvernement n’en débattent à leur tour, fin février, puis, lors d’un Sommet consacré à la relation avec la Russie, fin mars. Qui aura la lucidité et le courage de rompre le cycle infernal des provocations et contre-provocations ? Qui osera mettre en garde contre la surenchère ? Combien d’années de plus risquons-nous de perdre avant de réamorcer l’indispensable processus de normalisation de notre relation ? Quel gâchis !

———(1) La raison de ce gel fut l’annexion de la Crimée par la Russie, en violation du droit international . Celle-ci fut qualifiée par l’UE de « fait sans précédent en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale », ce que conteste Moscou, en rappelant -non sans raison- la reconnaissance, en 2008, par l’UE, de l’indépendance du Kosovo, acquise unilatéralement et illégalement, au détriment de la Serbie.

18 février 2021 at 4:30 Laisser un commentaire

FRONTEX , DÉSHONORANTE POLICE ANTI-MIGRANTS DE L’UE


Le Portugal, qui préside l’Union européenne durant le premier semestre de 2021, vient d’annoncer qu’il allait provoquer sous peu une rencontre officielle avec les dirigeants de l’Agence Frontex, chargée de la « protection des frontières de l’Europe ».  Il était temps, en effet, de procéder à une « évaluation de la situation » de cette déshonorante police anti-migrants de l’UE, tant les griefs s’accumulent à son encontre ! 
Le dernier en date remonte au 5 février dernier : ce jour-là, la chaîne de TV allemande ZDF a révélé que l’agence de « sécurité » en question reçoit abondamment et en toute opacité des lobbyistes de l’industrie d’armement, voire sert d’interface entre des marchants d’armes et certains Etats membres ! C’est que Frontex est devenue en 2016 -après la dramatique crise de l’accueil des réfugiés en Europe- « l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes ». Au titre de cette « promotion », elle a vu son budget exploser ( 5,6 milliards d’euros de 2021 à 2027, soit, annuellement, plus de 130 fois le montant alloué à l’agence à sa création, il y a 15 ans !) et dispose, en propre ou de part des Etats membres, d’un arsenal en pleine expansion composé d’avions, d’hélicoptères, de drones, de bateaux, de véhicules de patrouille, de radars mobiles, de caméras thermiques, de sondes…de nature à exciter les convoitises du marché des matériels militaires . 
Mais telle n’est pas, et de loin, la seule ombre au tableau du « bras armé de l’Europe-forteresse », comme l’appellent certains, non sans pertinence. Ainsi, pas plus tard qu’en octobre dernier, c’est le magazine allemand Der Spiegel, ainsi que le New York Times, qui révélaient l’implication d’agents de Frontex dans des « refoulements illégaux » de migrants en mer Egée. De même, un groupe d’ONG a publié un document hallucinant de 1500 pages d’enquêtes et de témoignages sur des centaines de cas de refoulements de demandeurs d’asile, accompagnés des violences qu’on imagine, le long de la route des Balkans, en mettant en cause Frontex . Un an plus tôt, c’est encore une chaîne allemande, ARD, ainsi que le quotidien britannique The Guardian qui ont mis au jour des faits de maltraitance de la part de garde-frontières en Hongrie, en Grèce et en Bulgarie, auxquels auraient, a minima, assisté sans intervenir des agents de Frontex, par ailleurs également accusés d’avoir expulsé des mineurs isolés, placés sous sédatifs pendant leur vol d’expulsion. 
Longtemps, les critiques des graves violations des droits fondamentaux dont se rend coupable Frontex restaient essentiellement le fait d’ONG, de quelques média et de députés européens -notamment celles et ceux du groupe de la Gauche unitaire européenne. Il faut espérer que « l’évaluation » de l’Agence, promise par la présidence portugaise de l’Union européenne, permettra de mettre un terme aux pratiques les plus scandaleuses de Frontex. Mais au-delà, un débat de fond s’impose enfin sur les conditions d’un accueil digne des femmes et des hommes que le désespoir pousse à rechercher, au péril de leur vie, un havre de paix sur les côtes européennes.

11 février 2021 at 8:01 Laisser un commentaire

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