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CE QUE LES PRÉSIDENTIELLES ONT CHANGÉ SUR L’EUROPE
La bataille d’idées sur les enjeux européens en général et l’euro en particulier ne sera plus tout à fait la même après ces élections présidentielles qu’avant cette campagne.
D’abord, les thèses présentant la sortie de l’euro ou de l’UE comme une solution possible, voire souhaitable, aux problèmes de notre société ont désormais du plomb dans l’aile. « L’Europe, on la change »…mais pas question de la quitter, aux yeux d’une majorité -de plus en plus large- de Français (1). C’est là un acquis des débats de tous ces derniers mois. Les défenseurs du retour au Franc en ont pris acte en battant en retraite. Et ce ne sont pas les élucubrations de Madame Le Pen sur le sujet lors du débat télévisé du second tour qui auront apporté à ces thèses la crédibilité qui leur fait défaut aux yeux du plus grand nombre. L’approfondissement des réflexions sur une stratégie réaliste et efficace de transformation sociale et démocratique de l’actuelle Union européenne n’en devient que plus crucial.
Or, à l’opposé de cette aspiration, le nouveau Président français est aussi néolibéral dans ses orientations européennes que dans sa politique nationale . Ne s’est-il pas engagé à gagner la confiance d’Angela Merkel en respectant scrupuleusement ses deux obsessions : la discipline budgétaire et les « réformes structurelles » ? Si on lui laissait le champ libre, il irait encore plus loin que son prédécesseur : en témoigne son idée d’aller vers une zone euro de type fédéral , comprenant, en particulier, la création d’un poste de « ministre européen des finances » . Cette forme de tutelle renvoie à un projet hyper-dangereux du pire membre de l’équipe de la Chancelière, Wolfgang Schäuble : le nouveau grand argentier de la zone euro disposerait, en effet, d’un droit de veto sur les décisions budgétaires des parlements nationaux qui dévieraient de la « ligne » austéritaire ! Rudes batailles en perspective ! Cet état de fait va rendre plus vital que jamais le rassemblement des progressistes favorables à une inversion du cours de l’actuelle construction européenne.
Dernier changement généré par ces présidentielles sur le terrain de l’Europe -et non des moindres : Emmanuel Macron a appris des échecs de François Hollande, comme de ceux de Nicolas Sarkozy avant lui, dans leur tentative laborieuse d’adopter une posture de « réformateurs » de l’Europe. Il sait, quant à lui, jouer de sa « modernité » pour affiner sa communication ! Il se dit « sans complaisance » vis-à-vis de Bruxelles et conscient de ce que « près de la moitié de ce pays est en colère contre l’idée européenne ». Il prévient que « si rien ne bouge, il n’y aura plus de zone euro dans dix ans ». Il préconise « une nouvelle Union européenne, qui protège nos citoyens et règlemente la mondialisation ». Il se paye même le luxe de reprendre à son compte (en l’adaptant…) une proposition-phare des communistes depuis 2012 : l’organisation « de sortes d’Etats généraux » permettant aux citoyens d’exprimer leurs attentes en matière d’Europe ! On le voit : il va falloir aiguiser sérieusement le débat pour aider nos concitoyens à démêler le vrai du faux, à mettre le doigt sur les contradictions , à pousser dans le sens des avancées souhaitables comme des ruptures nécessaires -bref, à s’investir en connaissance de cause dans ce débat central pour notre avenir à tous. Un défi motivant !
JE VEUX ICI RENDRE HOMMAGE A NOTRE AMI JACQUES LE DAUPHIN, INFATIGABLE MILITANT DE LA PAIX, DEVENU UN EXPERT ECOUTÉ ET RESPECTÉ SUR LES ENJEUX DE SÉCURITÉ COLLECTIVE, QUI VIENT DE NOUS QUITTER.
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(1) Début mars 2017 (sondage Elabe), 72% des personnes interrogées se sont déclarées opposées à la sortie de l’euro -tout en étant 37% à estimer que l’UE actuelle présente plus d’inconvénients que d’avantages ! : Changer l’Europe, oui ! La quitter, non !
LES OEILLÈRES DE MONSIEUR JUNCKER
« Trop souvent, le débat sur l’avenir de l’Europe se réduit au choix binaire entre « plus » ou « moins » d’Europe. Or cette approche est trompeuse et simpliste ». Où peut-on lire ce constat d’évidence ? Dans le « livre blanc » que vient de publier Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne ! Il s’agit d’un document rédigé à l’intention des 27 Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à la veille du 60ème anniversaire du traité de Rome qui fonda la Communauté économique européenne. Les media n’ont retenu de ce texte que les « Cinq scénarios pour l’Europe à l’horizon 2025 ». Le Président de la Commission y invite, en effet, les dirigeants des Etats membres à choisir clairement , parmi cinq options, la voie dans laquelle ils souhaitent voir engager l’Union européenne dans les années à venir : continuer comme aujourd’hui; ne conserver de l’UE que son « marché unique »; constituer à l’intérieur de l’UE différents groupes d’Etats prêts à renforcer leur coopération dans des domaines spécifiques (défense, sécurité intérieure, fiscalité, affaires sociales…); concentrer l’action de l’UE sur quelques domaines (recherche, commerce, sécurité, migration, gestion des frontières, défense…) en laissant les Etats gérer seuls les autres enjeux; ou encore accomplir le grand saut dans l’Europe fédérale. Réaliste, M. Juncker note d’ailleurs que « le résultat final sera différent (de ces cinq) scénarios ». Il s’attend à ce que les « 27 » décident de la « combinaison d’éléments à (en) tirer ». Vrai sujet de débat, en effet !
Mais l’introduction à ces « scénarios » vaut, elle aussi, que l’on s’y arrête, tant elle révèle (ou confirme) les blocages politiques, voire culturels, auxquels se heurte, dans les milieux dirigeants de l’UE, la conception du débat sur la construction européenne, son bilan, sa crise et son avenir. Des oeillères sur toute la ligne !
Le bilan tout d’abord. Ainsi, il n’y a, en « haut lieu », aucune place au doute sur le fait que « l’UE est le lieu où on ne se contente pas de discourir sur l’égalité, mais où on continue à se battre pour l’égalité ». On renverra M. Juncker au rapport d’Oxfam assurant en 2015 qu’ un Européen sur quatre est au bord de la pauvreté tandis qu’1 % des Européens détient un tiers des richesses. Pire que jamais ! Aucune hésitation non plus sur le fait que des « valeurs fondamentales » comme « la dignité humaine » continuent « à nous unir ». Oubliés le naufrage moral qu’a représenté le rejet cruel des réfugiés de guerre par la majorité des Etats membres ou l’humiliation infligée par la funeste « troïka » à la Grèce ainsi qu’à d’autres « partenaires » en grande difficulté. La crise de l’UE ensuite. A en croire M. Juncker, ce sont avant tout des événements extérieurs à l’Europe qui expliquent les « doutes sur l’économie sociale de marché de l’UE » (entendez le rejet des politiques d’austérité par une grande majorité des citoyens de l’Union européenne). Que l’on sache, le traité budgétaire ne nous a pas été imposé de l’étranger…L’avenir de l’UE, enfin. Il passe par la reconquête de l’adhésion des Européens à un projet commun. Or, reconnait M. Juncker, « Environ un tiers des citoyens ont confiance en l’UE aujourd’hui alors qu’ils étaient encore une moitié il y a dix ans »! Alors, que faire ? Là, le Président de la Commission donne en quelque sorte sa langue au chat : « rétablir la confiance, construire un consensus et créer un sentiment d’appartenance est plus difficile à une époque où l’information n’a jamais été aussi difficile à maîtriser ». Alors, tout ne serait qu’une question d’information ? Est-ce à ce niveau-là que va se situer le débat des 27 Chefs d’Etat et de gouvernement sur l’avenir de l’Europe ? Tiens, voilà un vrai sujet de débat pour une campagne présidentielle…
LES « TRAVAILLEURS DETACHES », NOS FRERES DE COMBAT.
L’attitude -très exceptionnelle- de fermeté finalement adoptée ( le 20 juillet dernier ) par la Commission européenne vis-à-vis de 10 Etats membres d’Europe centrale et orientale au sujet de la directive « travailleurs détachés » mérite qu’on s’y arrête. Rappelons les faits. A l’origine, il y a un véritable scandale , que nous ne cessons de combattre, et qui est au coeur de l' »Europe libérale » : l’organisation de la mise en concurrence des peuples pour tirer les conquêtes sociales vers le bas tout en dressant les travailleurs européens les uns contre les autres afin de neutraliser leurs luttes. Ainsi, au nom de la « libre prestation des services » au sein du marché unique , les traités européens autorisent-ils tout employeur du secteur des services établi dans un Etat membre à « détacher temporairement » ( jusqu’à deux ans ! ) ses travailleurs dans un autre pays membre tout en continuant d’appliquer à ces salariés un certain nombre de normes de travail de leur pays d’origine . Les garanties accordées à ces centaines de milliers de travailleurs dans leur Etat d’accueil par la fameuse « Directive Détachement » de 1996 sont , à ce jour, très limitées. Même un salaire minimum qui ne serait pas de portée nationale ( par exemple un salaire de base fixé par une convention collective ) ne pourrait pas être imposé à leur employeur. La Cour de Justice de l’Union européenne l’affirmait catégoriquement en 2008 : il est strictement interdit à l’Etat qui les accueille d’imposer « aux prestataires de services établis dans un autre Etat membre, où les taux de salaire minimal sont inférieurs, une charge économique supplémentaire qui est susceptible de gêner ou rendre moins attrayante (sic) l’exécution de leurs prestations dans l’Etat d’accueil » ! (1) Par ailleurs, les cotisations sociales patronales restent celles du pays d’origine.
Or, après des années d’intenses luttes syndicales et politiques pour une rupture avec cette logique diabolique, la Commission européenne vient enfin, en mars dernier, de préparer un projet de révision de la Directive de 1996. Celui-ci -s’il ne touche pas au privilège patronal en matière de cotisation sociale- annonce néanmoins un changement réel en affirmant le principe « à travail égal salaire égal » entre travailleurs nationaux et « détachés », y compris en ce qui concerne d’éventuelles primes ou un 13ème mois. En outre, l’Etat d’accueil pourrait désormais imposer aux sous-traitants d’appliquer le même salaire que le donneur d’ordre.
Ce changement a aussitôt soulevé un tollé parmi le patronat des pays d’Europe centrale et orientale, dont les gouvernements ultra-libéraux ont organisé un tir de barrage contre le projet de Bruxelles. En vain, jusqu’ici. Il appartient aux forces de progrès de se mobiliser pour pousser l’avantage, non pas contre les « travailleurs détachés » , mais pour une Europe de l’égalité des droits et de la solidarité. A cet égard, comment ne pas être surpris et attristé d’apprendre qu’un orfèvre de la parole comme Jean-Luc Mélenchon ait pu choisir de parler à la tribune du Parlement européen à ce propos de « travailleur détaché qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place » ! (2) Nous sommes de ceux pour qui les valeurs de gauche ont encore un sens. Y compris sur les enjeux européens .
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(1) Cour de Justice de l’Union Européenne ( Arrêt Rüffert : avril 2008 )
(2) « Je crois que l’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché qui vole son pain au travailleur qui se trouve sur place ». ( Le 5 juillet 2016.)
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