Archive for septembre, 2022
FACE À LA FUITE EN AVANT DE POUTINE, QUELLE STRATÉGIE ?
La guerre menée par Poutine contre l’Ukraine vient de franchir un seuil extrêmement inquiétant -au demeurant prévisible . En mobilisant plusieurs centaines de milliers de citoyens, le pouvoir affiche sa détermination à répondre aux pertes infligées à son armée par de nouveaux engagements militaires, laissant présager une escalade meurtrière. En organisant des referenda d’annexion dans des territoires conquis par les armes, il aggrave encore l‘agression contre un pays souverain, en cherchant à rendre ses conquêtes irréversibles. Mais surtout, en brandissant la menace, en cas d’attaque contre ces entités annexées, d’un recours à « tous les moyens disponibles » -y compris, donc, les armes nucléaires- pour les défendre, il réitère officiellement son irresponsable chantage !
Doit-on le croire ? « Plus rien n’est impossible désormais » juge un observateur politique russe, opposant de longue date au Kremlin (1). « Nous sommes dans une guerre sous menace nucléaire qui peut dégénérer extrêmement rapidement » alerte, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, le Général Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre . Plus l’armée russe s’enlise, plus cette hypothèse cataclysmique prend de la consistance. Dès lors, que faire ? Accepter de prendre le risque du pire en faisant le pari que l’ennemi n’osera pas aller jusque là ?
C’est , de fait, la stratégie des pays de l’OTAN, qui peut se résumer ainsi : se soucier de moins en moins de « lignes rouges » à ne pas franchir ; viser la défaite pure et simple de Poutine, voire de la Russie dans son ensemble ; couvrir d’opprobre tout dirigeant occidental qui oserait (comme l’avait tenté Emmanuel Macron avant de revenir promptement « dans la ligne ») évoquer la nécessité de ménager à l’agresseur une porte de sortie pour tenter de créer à temps les conditions du passage à l’inévitable négociation d’ensemble, vraisemblablement sur le double volet : respect de la souveraineté de l’Ukraine contre garantie de la sécurité de la Russie. Washington a beau assurer prendre « très au sérieux la menace nucléaire » de Poutine, sa stratégie demeure inchangée. Quant à l’ex-« rebelle » Macron, ne vient-il pas de rassurer ses alliés en déclarant fièrement aux Nations unies que la fuite en avant de Poutine « ne donnerait lieu à aucune conséquence sur la position qui est la nôtre » ?
Plutôt que de faire la leçon aux pays qui, tout en refusant de soutenir la guerre russe, n’entendent pas se soumettre à l’hégémonie occidentale, le Chef de l’Etat serait mieux inspiré à prendre langue avec ceux d’entre eux qui viennent d’entrouvrir la voie à de possibles médiations : l’Inde , dont le leader a affirmé en face au Président russe que « l’heure n’était pas à la guerre » et , plus spectaculairement encore, la Chine , dont le ministre des Affaires étrangères -après avoir préconisé un « cessez-le-feu dans le dialogue »- vient de rencontrer son homologue ukrainien en insistant sur le fait que Pékin appelait à respecter « la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays », et en soulignant , dans le même temps , que « les préoccupations légitimes de toutes les parties en matière de sécurité doivent être prises au sérieux ». R.A.S ? Vraiment ?
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(1) Lev Shlosberg, chef du parti libéral Iabloko dans la région de Pskov (voir Figaro du 21/9/2022)
L’ « OCS », FORUM ATYPIQUE ET ACTEUR INTERNATIONAL DE POIDS !
La récente rencontre entre le Président chinois, Xi Jinping, et son homologue russe, Vladimir Poutine, à Samarcande (Ouzbékistan), en marge du Sommet de l’ « l’Organisation de Coopération de Shanghai », a braqué les projecteurs sur cette structure, l’OCS, toujours mal connue malgré ses plus de 20 ans d’existence et le poids de ses protagonistes. Il est vrai que les caractéristiques originales de cette « organisation régionale de coopération sur la sécurité » sont de nature à désarçonner maints observateurs occidentaux, habitués au format classique d’une « alliance » politico-militaire comme l’OTAN, à son « leadership » central et au « devoir sacré » de ses États membres. Rien de tel dans l’OCS, et c’est ce qui fait tout son intérêt.
Fondée en 2001 à l’initiative de la Chine, de la Russie et de quatre républiques d’Asie centrale ex-soviétiques (1), initialement pour lutter contre le terrorisme islamiste , l’extrémisme religieux, le séparatisme et le crime organisé, l’OCS n’a cessé, depuis lors, d’élargir ses missions (notamment vers la coopération dans les domaines économique, énergétique et des transports) et son assise. Elle fut rejointe par l’Inde et le Pakistan en 2017, par… l’Iran en 2021, auxquels s’ajoutent des pays « observateurs » et autres « partenaires de discussion » comme la Turquie ou l’Arabie saoudite ! Si aucun de ces pays n’est connu pour être un parangon de vertu démocratique, le fait de pouvoir les réunir -y compris de traditionnels « frères ennemis »- illustre la force d’attraction de l’OCS , désormais plus grande organisation régionale du monde (3 milliards d’habitants, près d’un quart du territoire de la planète et du PIB mondial), et confère à celle-ci un pouvoir de coopération et de négociation impressionnant. A cet égard, le caractère peu institutionnalisé de l’OCS s’est révélé être un atout, chaque partenaire conservant -par delà les intérêts économiques, diplomatiques ou sécuritaires communs- sa pleine souveraineté. Significatives furent ainsi, lors du Sommet de septembre de l’OCS, la réaffirmation de francs désaccords avec la guerre de Poutine en Ukraine, notamment de la part de l’Inde, et l’expression plus diplomatique de « questions » et d’ « inquiétudes » de la Chine à propos de ce même conflit provoqué par Moscou.
Le choix du respect du pluralisme politique au sein de l’OCS fait que peuvent s’y côtoyer des États proches de la Chine ou de la Russie et certains autres qui ne rechignent pas à composer avec les Etats-Unis , leur double trait d’union étant leur refus unanime, non de « l’Occident » en lui-même mais de l’hégémonie occidentale, et la conscience de leurs convergences d’intérêt sur des points essentiels , qui n’excluent pas des divergences voire des rivalités sur d’autres aspects : aussi les seules décisions au sein de l’OCS sont celles à même de faire consensus entre les membres. Nous sommes loin d’un modèle de multilatéralisme, mais , dans le monde chaotique et impitoyable que nous subissons présentement, l’OCS devrait faire sérieusement réfléchir les idéologues occidentaux qui ont une périlleuse propension à confondre leur monde avec le monde réel.
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(1) Le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbekistan.
« LA GUERRE PAR PROCURATION » : JUSQU’OÙ ?
« Oui : c’est une guerre par procuration ! » lâcha le général Trinquant dans le débat de la Fête de l’Humanité auquel il avait accepté de participer, le week-end dernier. L’ancien chef de la mission militaire de la France à l’ONU ne dira pas s’il approuve ou regrette ce choix stratégique de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, mais il en a reconnu l’évidente réalité. Rappelons que cette option -qui n’a rien de banal-, la France ne l’avait pas faite sienne aux débuts du conflit, alors même que l’armée russe menaçait tout le territoire ukrainien, y compris Kiev. S’adressant aux Françaises et aux Français depuis l’Elysée, Emmanuel Macron déclarait le 2 mars : « Initiatives diplomatiques, sanctions contre les dirigeants (sic) politiques et économiques de la Russie, soutien à la population ukrainienne vont ainsi se poursuivre et s’intensifier avec pour seul objectif : obtenir l’arrêt des combats (re-sic !) ». Et le Président ajoutait pour écarter toute ambiguïté : « Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie. Nous savons tout ce qui nous lie à ce grand peuple européen qui a tant sacrifié durant la seconde guerre mondiale pour sauver l’Europe de l’abîme ».
C’était avant le retournement stratégique de Washington. Le 24 mars, Joe Biden s’invita…au Conseil européen , qui réunit les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE. Le communiqué commun UE-USA soulignera à l’issue de cette rencontre « la réponse coordonnée et unie de l’UE et des Etats-Unis à l’agression russe ». Le contenu de cette « réponse » sera explicitée à Kiev par le ministre de la défense américain (hors de toute présence européenne) : il faut « gagner la guerre » pour « affaiblir la Russie ». Suit, depuis lors, une avalanche ininterrompue de livraisons d’armes lourdes et sophistiquées de l’imposant arsenal des Etats-Unis, complétées par celles des alliés de l’OTAN, France comprise. Pour mesurer ce que cette décision trace comme perspective au conflit russo-ukrainien , il faut savoir que les dépenses d’armements des pays de l’OTAN dépassent allègrement les 1000 milliards de dollars par an contre 66 milliards pour la Russie…Que se passera-t-il quand l’armée conventionnelle russe se sentira acculée ? Le general Desportes, ancien directeur de l’Ecole de guerre, y a répondu dès le mois d’avril, en des termes qui méritent réflexion : « La question en stratégie est toujours de savoir comment va réagir l’autre. Poutine va monter dans les gammes, et il n’y a pas d’autre possibilité que d’aller frapper avec le nucléaire, d’abord en Ukraine sûrement et possiblement ailleurs par la suite (…) Je suis très inquiet (…) On se rapproche de la troisième guerre mondiale (…) Cette guerre doit s’arrêter ! » (1)
Il n’y a dans cette exigence nulle trace de complaisance à l’égard de Poutine dont l’agression criminelle est injustifiable et impardonnable. Seulement de l’esprit de responsabilité ! Pour s’annoncer extrêmement longue et difficile, la négociation aurait pour premier mérite d’arrêter l’effusion de sang en même temps que celui de permettre de mettre à plat les lourds contentieux accumulés depuis 30 ans, sans la résolution desquels il n’y aura pas de paix durable.
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(1) Radio Classique (27/4/2022)
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