Archive for septembre, 2014
Un nouveau scandale vient d’éclater en Allemagne au sujet du salaire minimum. En vérité, l’affaire dépasse le cadre de ce pays, puisque c’est une décision européenne qui est en cause et que celle-ci est appelée à s’appliquer dans tout État membre où se présenterait une situation comparable. Rappel des faits.
Le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Capitale Dortmund) a décidé de se prémunir un tant soit peu contre les pratiques les plus excessives de « dumping » salarial. Il a donc , entre autres mesures, fait voter une loi concernant les marchés publics de services -autrement dit les commandes passées par des pouvoirs publics à des entreprises, pour des travaux particulièrement faciles à délocaliser . Concrètement , cette loi stipule que pour bénéficier de ce type de commande, une entreprise doit respecter un salaire horaire minimum de 8,62 euros brut (ce qui n’est pas le Pérou !). Mais surtout, la loi en question précise que si l’entreprise qui bénéficie de ce marché décide de sous-traiter la commande à un partenaire dans un autre pays, celui-ci serait astreint aux mêmes obligations en matière de salaire.
Ne l’entendant pas de cette oreille, un patron allemand -qui venait de remporter un appel d’offre de la municipalité de Dortmund pour des travaux de numérisation de documents, et qui avait la ferme intention de faire exécuter ce contrat, à bas-coût, en Pologne- a contesté la législation de son Land. Or, -et c’est là qu’éclate le scandale- : la Cour de Justice de l’Union européenne , c’est à dire la plus haute juridiction pour des litiges touchant au droit européen, a justifié cette pratique de « dumping » salarial caractérisé et jugé illégale la loi imposant le respect du salaire minimum par un sous-traitant dans un autre pays membre. A quelle base juridique la Cour s’est-elle référée pour adopter cette position ? A l’article 56 du « Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne » ( L’une des deux parties du Traité de Lisbonne) qui interdit formellement d’ « entraver la libre prestation des services » sur le marché unique européen. Or, la Cour estime que la loi du Land allemand constitue précisément une « entrave » à cette « liberté ». En quoi ? En ce qu’elle prétend exiger d’un sous-traitant d’un autre pays membre le respect du plancher de 8,62 euros brut de l’heure ! Pourquoi? Parce que contraindre un sous-traitant d’un pays à bas salaires de payer une rémunération de ce niveau est une manière de « gêner » de façon « disproportionnée » l’activité de l’entreprise en question, ou, à tout le moins de rendre cette activité… »moins attrayante »! Un tel arrêt produit un double effet pervers: dans les pays au niveau de vie plus élevé, il incite les patrons à jouer à fond le modèle « low cost » en délocalisant les services pour gagner en « compétitivité » ; et dans les pays « à bas coûts », il freine tout progrès salarial au nom de l’ « avantage concurrentiel ».
La « morale » de cette histoire, c’est que les promesses d’avancées sociales qui ne s’inscrivent pas dans une perspective de rupture claire avec les règles diaboliques en vigueur dans l’ « Europe » actuelle sont de la poudre de perlinpinpin.
______________________________
Pour autant, ne boudons pas les bonnes nouvelles ! Celle qui nous est arrivée d’Allemagne il y a quelques jours mérite d’être appréciée à sa juste valeur : en Thuringe (la région natale de Goethe et de Schiller, à l’Est du pays) , en recueillant plus de 28% des voix (contre 12,4% qui sont allés au SPD et 5,7% aux Verts) , le représentant de « Die Linke » est appelé à détrôner la CDU et à devenir le premier « Ministre-Président » d’un Land issu de ce parti, 25 ans après la chute du Mur. Angela Merkel a pris la mesure de l’événement : elle a appelé SPD et Verts à s’allier à la droite pour empêcher à tout prix « l’entrée de Karl Marx à la Chancellerie d’Etat » du Land. A suivre !
25 septembre 2014 at 6:15
À l’heure où sont écrites ces lignes, nous retenons notre souffle dans l’espoir que le cessez-le-feu tienne, cette fois, en Ukraine, et que des négociations sérieuses puissent s’engager rapidement. Malheureusement, en tout état de cause, cette tragédie laissera des traces profondes dans les deux parties du pays, tout comme en Russie et sur le continent européen dans son ensemble. Aucun des « camps » en cause ne sortira grandi de ce désastre. Nous nous intéressons ici à celui sur lequel nous pouvons espérer avoir un peu prise : l’Union européenne pèsera , selon la stratégie qu’elle adoptera désormais, dans le sens d’une fragilisation accrue ou d’une consolidation durable de la sécurité européenne. Trois enjeux seront décisifs à cet égard.
D’abord, il faut s’attendre à de fortes polémiques à Kiev au sujet du statut final à accorder aux régions orientales du pays. L’Union européenne rendrait service à ses alliés ukrainiens en les aidant à résister aux extrémistes qui s’opposent à l’accord du 5 septembre sur la question de la décentralisation du pouvoir. Il ne s’agit pas, ce faisant, de « céder à Poutine », mais de reconnaître la réalité : l’attachement grandissant des populations concernées à une forme d’autonomie. Dès mars dernier, des observateurs avertis soulignaient que » les Ukrainiens pro-occidentaux ont intérêt à proposer une grande autonomie aux minorités russes » (1). La violence des affrontements qui ont opposé par la suite les « séparatistes » à l’armée ukrainienne et les innombrables victimes de ce conflit ont creusé entre l’ouest et l’est du pays un fossé qui rend désormais une forme de « fédéralisation » incontournable. L’UE le sait pertinemment. Elle se doit donc de contribuer à sa concrétisation dans de bonnes conditions.
Ensuite, cette guerre a fourni à l’OTAN l’occasion de se projeter au premier plan et aux sirènes ultra-atlantistes de l’Union européenne -Pologne et Pays baltes en tête- de hurler de plus belle. Le Président Obama, qui a besoin de prouver sa « fermeté » et son « leadership » au Congrès américain, les a encore chauffés à blanc début septembre, lors de sa visite à Tallinn, la capitale de l’Estonie, à un jet de pierre de la frontière de la Russie : surprenant jusqu’à ses proches partisans, il y a relancé l’idée d’un nouvel élargissement de l’OTAN vers l’Est (autrement dit la Moldavie, la Géorgie et l’Ukraine…) -une option enterrée depuis la fin de l’ère Bush, tant elle est provocatrice à l’égard de Moscou qui y voit une atteinte à la sécurité du pays. Quelle stratégie les dirigeants européens vont-ils adopter à présent dans ce domaine? Certes, la menace voilée du Président américain a peu de chance de se concrétiser : la France et l’Allemagne s’y sont toujours opposé. Mais auront-ils la lucidité et le courage de s’opposer plus globalement à la militarisation de l’Union européenne à laquelle les pousse cette campagne agressive de l’OTAN et de ses thuriféraires ? Le débat mérite d’être ouvert à ce sujet et il réserverait des surprises : le refus de sacrifier la sécurité de l’Europe à l’esprit de guerre froide dépasse largement les rangs des pacifistes : « Notre intérêt historique n’est pas d’étendre l’Empire américain jusqu’aux rivages du Dniepr.Il est de consolider la paix en Europe. »(2)
Enfin, dans cet esprit, l’Union européenne gagnerait à réévaluer ,à la lumière de l’expérience ukrainienne, le rôle à faire jouer à sa » politique européenne de voisinage » et plus particulièrement son « Partenariat oriental » créé en 2009. Notre politique à l’Est ne doit pas consister à sommer l’Ukraine de choisir entre des relations étroites avec la Russie et une association poussée avec l’Union européenne. Elle doit se donner les moyens de permettre à ce pays de devenir la passerelle entre deux ensembles qui coopèrent dans le respect mutuel. Peut-être ,alors, le peuple russe ne ressentira plus,un jour, le besoin de se donner un « chef » pour les rassurer face à « l’Occident ». Nous y aurons tous gagné.
———-
(1) Voir Gérard Chaliand : »Ukraine: Poutine sur la défensive » (Le Figaro 28/3/2014)
(2) Renaud Girard dans Le Figaro (25/3/2014)
11 septembre 2014 at 6:22
Un nouveau psychodrame vient de se conclure à Bruxelles par une double nomination en forme de jugement de Salomon : à la tête de la diplomatie européenne, une femme soutenue par les gouvernements socialistes et affublée de l’étiquette réputée infamante de « pro-russe » par des ultras d’ Europe orientale ; à la présidence du Conseil européen, un homme adoubé par les dirigeants de droite et connu pour son atlantisme militant et son prisme anti-Kremlin. Un à un : la balle au centre, pourrait-on se dire. La réalité est plus préoccupante . Retour sur un bras de fer qui mérite attention.
Tout commence avec la candidature de la ministre italienne des Affaires étrangères, Federica Mogherini (41 ans), au poste aujourd’hui occupé par Lady Ashton, dont le mandat s’achève en octobre prochain. Immédiatement, une fronde allant des plus hauts responsables politiques baltes à la mouvance berlusconienne d’Italie s’organise pour bloquer net cette proposition. Or -quoiqu’on puisse penser par ailleurs des compétences de la diplomate italienne pour la fonction convoitée- les « arguments » avancés par ses détracteurs pour la disqualifier laissent pantois et sont révélateurs d’un courant politique qui se structure dangereusement au sommet de l’Union européenne.
Ainsi, la presse de droite de son propre pays n’a pas hésité à exhumer une vieille photo montrant la jeune Federica au côté de Yasser Arafat ! Voilà qui devait achever de la discréditer dans la course à la désignation de la future « Haute Représentante aux Affaires étrangères et à la sécurité » de l’Union européenne . Plus récemment , ses chances semblaient encore plus compromises après ses déclarations non « politiquement correctes » quelques jours à peine avant la première réunion au sommet censée se prononcer sur son cas. Participant , à l’ambassade de France à Rome, aux festivités du 14 juillet -attitude probablement suspecte en elle-même pour ses adversaires- elle a chaleureusement loué l’ « amitié franco-italienne », souligné « la centralité méditerranéenne » qui unit nos deux pays, et même suggéré de « faire passer le message à l’Europe du Nord et de l’Est » !
Mais tout cela n’était rien à côté de la pire perversité que puisse concevoir une certaine « élite » d’Europe orientale : passer pour « russophile » ! « Nous constatons maintenant que certains candidats expriment très ouvertement leurs opinions pro-Kremlin , (ce qui est) inacceptable » avait ainsi claironné Dalia Grybauskaité , la Présidente de la Lituanie. Pas moins de 11 gouvernements sur 28 se liguèrent contre la ministre italienne ! Son crime ? Avoir notamment osé écrire sur son blog que « la crise ukrainienne se prête à diverses lectures (dont) chacune a son fond de vérité » -une position somme toute nuancée, que partagent nombre de responsables politiques et d’experts, y compris dans l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).
Le compromis finalement trouvé au sommet de Bruxelles de samedi dernier laisse entière l’hypothèque que ce lobby des nostalgiques de la guerre froide fait peser sur les décisions que les dirigeants européens vont avoir à prendre face à la très dangereuse crise ukrainienne : jeter de l’huile sur le feu ou peser en faveur des indispensables négociations. Qu’en pensent les autorités de la France ?
5 septembre 2014 at 5:56
Commentaires récents