Archive for janvier, 2019
L’AMITIÉ FRANCO-ALLEMANDE MÉRITE MIEUX QUE CELA
Il y eu l’acte historique de De Gaulle proposant -avec l’autorité acquise durant la Résistance- à la République fédérale d’Allemagne de conclure, en 1963, un traité de coopération , symbole de réconciliation , poussant à l’apprentissage mutuel de la langue de l’ancien ennemi et créant l’Office franco-allemand de la Jeunesse. Il y a eu, vingt ans plus tard, l’hommage commun de François Mitterand et d’Helmut Kohl aux victimes de la Première guerre mondiale, à Verdun. On garde également à l’esprit les cérémonies du 60ème anniversaire du Débarquement, le 6 juin 2004, auxquelles Jacques Chirac invita Gerhard Schroeder. Pas évident, en revanche, que l’Histoire retienne le nouveau traité franco-allemand co-signé par Emmanuel Macron et Angela Merkel à Aix-la-Chapelle !
Certes, en ces temps où prolifèrent les nationalismes jusqu’au sommet de certains Etats de l’Union européenne; où l’extrême-droite se banalise dans toute l’Europe, Allemagne et France incluses ; où se colportent les messages de haine et les provocations xénophobes, on ne boudera aucun geste de rapprochement entre nos deux pays, à plus forte raison aucune initiative en faveur de l’amitié entre nos deux peuples. J’ai, personnellement grandi trop près du Rhin pour minimiser la portée du changement que représente le passage de l’ère des affrontements à celle de l’entente entre ces deux voisins.
C’est précisément en raison de cet attachement à l’amitié franco-allemande que l’on ne peut que regretter un double défaut du traité que viennent de signer le Président de la République française et la Chancelière allemande. D’abord, l’inclusion dans ce texte de clauses susceptibles de susciter l’inquiétude sinon la colère d’une partie de celles et de ceux que le traité devrait avoir pour vocation de rassembler. Que viennent faire, en effet, dans un document de cette nature, la promotion, en 2019, de « la convergence économique, fiscale et sociale » entre les deux pays -alors même que le « modèle social » CDU-SPD n’est pas vraiment celui que réclame avec force le pays en ce moment…- ; ou bien l’annonce de la création d’une « zone économique franco-allemande dotée de règles communes » dont on devine aisément l’inspiration dans le contexte actuel; ou encore le projet de coordination des deux politiques économiques afin « d’améliorer (leur) compétitivité »; sans parler de la mise en place …d’un « Conseil franco-allemand d’experts économiques » (neutres, évidemment) chargé de « présenter aux deux gouvernements des recommandations sur leur action économique » ? Chacun sait l’insistance que met, depuis son élection, le Président français à justifier son « agenda de réformes » et notamment sa politique sociale restrictive par la nécessité de « gagner la confiance d’Angela Merkel ». Difficile de ne pas voir dans ce type d’articles au cœur d’un « traité d’amitié » un gage d’orthodoxie libérale à l’égard des dirigeants de Berlin ! L’autre défaut majeur de ce traité censé consolider la paix est l’accent mis sur la coopération en matière de « forces armées », de « déploiements conjoints », d’ « industries de la défense » ou d’ « exportation d’armements », non sans une triple référence au « traité de l’Atlantique-Nord », autrement dit à l’OTAN. Décidément, l’amitié franco-allemande vaut mieux que cela.
« BREXIT » : UN IMMENSE GÂCHIS.

L’OCCIDENT N’EST PAS LE MONDE
Il n’est pas si fréquent qu’un expert reconnu en matière de politique internationale ose défendre des thèses qui vont à contre-courant des idées reçues sur des questions de fond qui nous tiennent à cœur. Je ne résisterai donc pas au plaisir de saluer la sortie du dernier ouvrage de Pascal Boniface, le très médiatique directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « Requiem pour le monde occidental » (1)
Un premier thème qui me semble traité avec perspicacité est le grand gâchis qu’a représenté, au début des années 90, la gestion irresponsable de « l’après-chute » du mur de Berlin. Ce qui aurait pu conduire à un grand pas vers un authentique multilatéralisme se traduisit, au contraire, par un basculement dans un unilatéralisme forcené. L’auteur rappelle à bon escient une citation d’anthologie du Président Bush (père), extraite de son « Discours sur l’état de l’Union » de janvier 1992 : « Grâce à Dieu, l’Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps armés reconnaît aujourd’hui la supériorité d’une seule puissance : les Etats-Unis. » Ses alliés partagèrent , quant au fond, cette vision archi-dominatrice d’un « Occident » triomphant. Six mois plus tôt, ils refusèrent l’aide financière demandée par Gorbatchev, avant de violer un engagement, certes oral mais catégorique, pris devant le Président soviétique, de ne pas élargir l’OTAN vers l’Est. Cette décision stratégique fut critiquée par des personnages comptant pourtant parmi les Américains les plus durs vis-à-vis de l’URSS -George Kennan, Robert Gates…- tant elle annonçait, en retour, la rançon de l’humiliation : un dangereux regain des tensions entre la Russie et le monde occidental. L’Union européenne ne fut pas en reste dans cette politique provocatrice à l’égard des « vaincus » de la guerre froide : le « partenariat oriental » institué en 2009 sur l’insistance de la Pologne, entre les « 28 » et six ex-Républiques soviétiques, dont l’Ukraine et la Géorgie, sommées de « choisir » entre Moscou et Bruxelles, fonctionna comme une machine à susciter des conflits dans cette zone ultra-sensible.
Un autre sujet traité avec lucidité et courage dans ce livre est le rôle funeste qu’a joué -et que joue- l’OTAN , au nom de la défense de l’Occident, contre la sécurité collective, notamment en Europe. Alors que la logique aurait dû conduire à sa dissolution -après celle du « Pacte de Varsovie »- , cette alliance militaire a été sans cesse renforcée et élargie, y compris « hors zone » (européenne). Et c’est en son nom que les dirigeants européens balayèrent en 2008 le projet de « traité paneuropéen de sécurité » présenté par l’ex-Président russe, Medvedev.
Enfin, une mention spéciale est à faire à propos des passages de cet essai sur les « valeurs occidentales » et la propension des idéologues « occidentalistes » à prendre une partie du monde -en déclin- pour « la communauté internationale » et ses préceptes pour des principes universels. Cerise -amère- sur le gâteau : Trump a beau traiter désormais l’Union européenne d’ « ennemie » , le Président du Conseil des « 28 », Donald Tusk nous assure toujours avec la foi du charbonnier que « l’Amérique n’a pas ni n’aura jamais un meilleur allié que l’Europe aujourd’hui » ! De l’air ! L’Occident n’est pas le monde!
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(1) Éditions Eyrolles, 2019
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