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ROBERT CHAMBEIRON : UN GRAND MONSIEUR !

wurtz-l-humanite-dimancheNous sommes le 17 juillet 1979, jour de l’ouverture solennelle du Parlement européen après sa première élection au suffrage universel . Tous les « pionniers » de ce nouveau chantier s’organisent au sein de leur famille politique respective. Le groupe communiste compte parmi ses députés plusieurs « apparentés », autrement dit des femmes ou des hommes non adhérents à l’un des partis membres, mais engagés à leur côté sur les enjeux européens. Parmi eux, un homme alors peu connu des jeunes de mon espèce, mais manifestement honoré par celles ou ceux qui ont plus de « bouteille »: Robert Chambeiron, 64 ans, prend place en toute discrétion parmi ses camarades. Je ne mesurais pas , à ce moment-là, la dimension du personnage qu’il me sera permis de côtoyer dix ans durant: un grand Monsieur.

J’avais alors 31 ans. A cet âge, Robert Chambeiron avait déjà derrière lui l’expérience de membre du cabinet de Pierre Cot, le Ministre de l’Air du gouvernement du Front Populaire -où il fit la connaissance de Jean Moulin- , puis celle de Secrétaire général adjoint du Conseil National de la Résistance ! Je ne l’ai su que plus tard, car rien dans son attitude ne laissait deviner un acquis aussi prestigieux. De nous tous, il était l’un des plus assidus et consciencieux dans ses nouvelles fonctions: de la commission juridique à la Délégation permanente pour les relations Europe-Chine, et naturellement en séance pleinière, il donnait l’impression d’avoir toujours exercé ce mandat. Par la suite, une agréable complicité s’était établie entre nous. Robert me gratifiait alors souvent de remarques incidentes ou d’anecdotes éclairantes tirées de son inépuisable réserve de souvenirs. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer dans l’Humanité Dimanche les convictions que j’ai retirées de ces moments privilégiés -véritable revue d’histoire vivante relatée par l’un de ses plus éminents acteurs. J’y reviens une nouvelle fois.

La première est, de toute évidence, l’indicible courage qu’il a fallu à d’innombrables anonymes sans l’engagement desquels un organisme comme le CNR n’aurait tout simplement pas pu exister. Robert Chambeiron a, ainsi, souvent évoqué la question ultra-sensible du logement mis à disposition par des héros inconnus pour permettre aux plus hauts responsables de se retrouver, à chaque fois dans un lieu différent pour d’évidentes raisons de sécurité. Nul n’ignorait le danger mortel que représentait ce geste apparemment banal, surtout après l’arrestation de Jean Moulin, moins d’un mois après sa désignation comme Président du CNR…

Un autre constat impressionne : la capacité remarquable dont ont fait preuve les membres du CNR à réunir des forces de la Résistance beaucoup plus diverses, voire disparates, qu’on ne l’imagine parfois.Si les communistes, les gaullistes, nombre de chrétiens et d’autres résistants avaient en commun la détermination à agir pour libérer le pays de ses envahisseurs nazis, cette forte convergence n’abolissait pas pour autant les oppositions de classe entre certains authentiques conservateurs et ceux qu’ils avaient durement combattus, peu de temps auparavant, sous le Front Populaire. Or, sans l’union de toutes ses composantes, il aurait manqué à la Résistance la légitimité indispensable à tout espoir de succès.

Le plus extraordinaire, dans ce contexte, est l’inclinaison clairement progressiste qui marquera le programme du CNR…pourtant adopté à l’unanimité de ses membres ! Ce programme , que -quelque six décennies plus tard- Denis Kessler, ténor du patronat, demandera au gouvernement de « défaire méthodiquement » , comportait en effet des mesures porteuses de la véritable transformation sociale qui vit le jour dans la France libérée (jusqu’à l’éviction des ministres communistes en 1947…). Et encore s’agissait-il d’un compromis conclu au fil de quatre mois de discussions , à partir d’un « projet élaboré par Pierre Villon » représentant le Parti communiste français. Robert Chambeiron insistait sur ce point, rendant ainsi hommage à la contribution décisive des communistes à l’oeuvre majeure du CNR.

Un dernier mot, mais il est crucial à l’heure où des imposteurs aux thèses nauséabondes tentent d’usurper l’idée de nation pour abuser des citoyens désorientés. Quand on interrogeait Robert Chambeiron sur les motivations qui l’ont conduit à s’engager dans la Résistance, il soulignait le rôle-clé qu’a joué dans sa prise de conscience « la guerre d’Espagne ». Autrement dit, c’est la solidarité internationale contre le fascisme qui a éveillé dans cet esprit généreux la volonté de combattre pour la libération de son pays. Anatole France l’avait écrit à sa manière: « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène ». La vie de Robert Chambeiron en fut une magnifique illustration.

9 janvier 2015 at 9:27 1 commentaire

LE DERNIER SURVIVANT DU CNR PARLE

wurtz-l-humanite-dimancheComment mieux célébrer le 8 mai dans cette chronique qu’en rendant compte d’un passionnant livre d’entretiens avec le dernier survivant du Conseil National de la Résistance, qui vient de paraître ! (1) Notre ami, Robert Chambeiron -c’est naturellement de lui qu’il s’agit- , va entamer, le 22 mai prochain, sa…centième année. Il avait entre 25 et 30 ans et assumait déjà la lourde et périlleuse responsabilité de Secrétaire général adjoint du CNR quand se sont déroulés les événements dramatiques et les actions héroïques qu’il relate ici avec une vivacité d’esprit et une précision inouïes. Rien de grandiloquent dans les propos de ce proche compagnon de Jean Moulin, mais un cheminement vivant et éclairant à travers les étapes marquantes qui ont conduit de la trahison de Pétain – et des partis qui lui ont confié les pleins pouvoirs le 10 Juillet 1940- à la défaite finale du nazisme et à la libération de la France.

Parmi les thèmes les plus cruciaux qui émergent de ces entretiens, conduits avec une intelligente complicité par une amie du grand Résistant, Marie-Françoise Bechtel, on citera tout d’abord les motivations qui ont présidé à l’engagement du jeune Robert dans un combat qui imprégnera profondément toute son existence:  » La guerre d’Espagne a marqué un tournant décisif », dit-il en citant à ce propos la belle formule de l’historien Maurice Voutey :  » la résistance avant la Résistance ». Autrement dit, c’est la solidarité internationale qui a éveillé au combat pour libérer la France. On est aux antipodes de la démagogie nationaliste qui tente aujourd’hui d’embrouiller les esprits.

Un autre sujet majeur évoqué au travers d’une multitude de faits historiques ou d’anecdotes vécues est la délicate et patiente construction de l’unité de la Résistance. Entre les gaullistes, les communistes, les chrétiens…, les différences d’approche étaient réelles. Au-delà, si les principaux représentants des classes dirigeantes avaient massivement choisi le camp de la collaboration, il y avait néanmoins des éléments franchement conservateurs au sein de tel ou tel mouvement de la Résistance: « Ils étaient anticommunistes et ça ne les dérangeait pas outre mesure de mal se conduire avec des gens qu’on supposait être des rouges » témoigne ainsi un ancien lieutenant proche de Raymond Aubrac. Certains d’entre eux n’entendaient pas reconnaître à Jean Moulin la qualité de chef de la Résistance intérieure car ils  » lui reprochaient son engagement dans le Front populaire » souligne Chambeiron. C’est à surmonter ces différences et ces oppositions dans un élan commun pour chasser l’occupant et « mettre en place toutes les structures économiques et administratives qui se substitueront à Vichy »que s’est employé le CNR. Comment ce rassemblement a-t-il finalement pu s’effectuer sur une base clairement progressiste? En particulier grâce à l’entrée en masse de la classe ouvrière dans la Résistance. Robert Chambeiron rend à cet égard un hommage appuyé à l’action de la CGT réunifiée et du Parti communiste. »Les classes dites conservatrices finiront même par rallier le mouvement parce qu’il n’est pas d’autre voie que de s’entendre si l’on veut s’organiser pour contrer les Allemands » note-t-il.Quant à De Gaulle, il « sent bien cette poussée à gauche », lui qui déclare, à Londres,en 1942: « C’est une révolution(…) que la France, trahie par ses élites dirigeantes et par ses privilégiés, a commencé d’accomplir » !

Le programme du CNR – qui reste aujourd’hui encore une référence pour les forces de progrès et un repoussoir pour les nantis- est le reflet de ce rassemblement à dominante progressiste. Sa mise au point -à l’unanimité, ce qui explique certaines lacunes,comme le doit de vote des femmes ou la référence à la laïcité…- demanda quatre mois. Sur la base d’un projet préparé par Pierre Villon, une des figures communistes, avec Rol-Tanguy, de la Résistance, les représentants des différents mouvements rédigèrent le texte définitif , qui sera adopté le 15 mars 1944 -il y a tout juste 70 ans. « Pour moi, conclut Robert Chambeiron, l’honneur de la Résistance aura été d’agir afin de libérer le pays tout en définissant l’avenir ».

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(1) »Résistant », de Robert Chambeiron.Entretiens avec Marie-Françoise Bechtel (Fayard,2014).

7 Mai 2014 at 6:46 Laisser un commentaire

BON ANNIVERSAIRE ROBERT CHAMBEIRON !

À 21 ans, il entrait au cabinet de Pierre Cot, alors ministre de l’Air du gouvernement du Front populaire. C’est là qu’il fit la connaissance de Jean Moulin qui, aux heures sombres de la guerre, de l’occupation nazie et de la collaboration, fera appel à lui pour le seconder dans son œuvre majeure : la création puis la direction du Conseil national de la Résistance (CNR). Secrétaire général adjoint du CNR, aux côtés de Pierre Meunier, jusqu’à la Libération, Robert Chambeiron est, aujourd’hui, l’un des trop rares acteurs de la Résistance à pouvoir faire vivre cette expérience exceptionnelle. Ce 22 mai, il fête ses… 95 ans, en pleine forme. Bon anniversaire, cher Robert ! Ce bref hommage public sera mon petit cadeau.

J’ai eu le bonheur et la fierté de faire sa connaissance lors des premières élections européennes, puis de le côtoyer au Parlement de Strasbourg pendant 10 ans. Bien que très impliqué dans ses nouvelles tâches, avec l’ardeur du néophyte, mon auguste collègue m’offrit de temps en temps le privilège d’une observation ou d’une anecdote puisée dans son inépuisable réserve de souvenirs. J’en ai fait mon miel et je lui en suis, aujourd’hui encore, reconnaissant.

Qu’en ai-je retenu qui mérite toujours d’être connu et médité ? D’abord les évocations du patient et complexe travail d’unification des forces de la Résistance. Pour que le CNR soit légitime et puisse s’exprimer et agir au nom de l’ensemble du peuple résistant, l’union était vitale. Pour garder le moindre espoir de finir par l’emporter sur des ennemis aussi puissants et impitoyables, il fallait savoir bannir toute étroitesse. On imagine que ce n’était pas toujours chose aisée dans une situation marquée par la trahison de nombre de notables en 1940. Il fallait y voir de près tout en se souvenant que « sous la grêle, fou qui fait le délicat ».

Une autre caractéristique du combat de cette période ne laisse pas de nous impressionner : c’est l’indicible courage dont ont su faire preuve tant d’anonymes dans l’accomplissement de gestes apparemment anodins, dès lors qu’ils avaient une vue claire de la cause pour laquelle ils ou elles s’engageaient. Ainsi, le « simple » fait de mettre à disposition son logement pour permettre au CNR, à son bureau ou à ses trois principaux dirigeants de se réunir était un acte héroïque qui n’a cessé de se renouveler au fil des semaines, puisque les réunions n’avaient jamais lieu deux fois dans le même local. Pourtant, chacun mesurait la réalité du danger, puisque Jean Moulin fut lui-même arrêté moins d’un mois après sa désignation comme président du CNR !

Enfin, quoi de plus saisissant que le contenu social et progressiste du programme d’unité nationale du CNR, issu de quatre mois d’échanges multiples et finalement adopté à l’unanimité ! Mis en œuvre à la Libération, il permit, en l’espace de deux ans – en fait, jusqu’à l’éviction des ministres communistes et les débuts de la guerre froide –, d’engager une véritable rénovation du pays : réforme de la fonction publique, Sécurité sociale, nationalisation des grands établissements du crédit, des compagnies d’assurance, du gaz et de l’électricité, lois sociales sur les prestations familiales, l’assurance vieillesse, le salaire minimum vital, les conventions collectives…

Il est vrai que les forces du capital de l’époque – ces grands patrons auxquels le général de Gaulle lança à la Libération : « Je n’en ai pas vu beaucoup d’entre vous à Londres ! » – étaient délégitimées, tandis que « seule en tant que classe la classe ouvrière est restée fidèle à la France profanée » (François Mauriac). Dans un contexte naturellement tout autre, il y a, aujourd’hui encore, plutôt matière à réflexion… Merci à Robert Chambeiron et à tous ses semblables.

22 Mai 2010 at 6:16 1 commentaire


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