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UKRAINE : NON À LA STRATÉGIE DE L’HUILE SUR LE FEU !
Le gouvernement polonais n’a rien trouvé de plus utile à la cause ukrainienne que de remplacer, sur les cartes de son pays, le nom russe de la ville voisine de Kaliningrad par la version polonaise de son ancien nom allemand. Un non-événement, diront certains : pourquoi s’y arrêter ? Un petit détour historique aide à comprendre pourquoi cette décision est « certes symbolique, mais à forte connotation émotionnelle » (Les Echos).
Le 2 août 1945, à la Conférence de Potsdam, les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande-Bretagne sont réunis pour déterminer l’avenir de l’Allemagne après la défaite du nazisme. Dans ce cadre, ils décident de partager la Prusse orientale entre la Pologne, qui en obtient les deux tiers, et la Russie, à laquelle -en dédommagement des destructions et des pertes subies durant la seconde guerre mondiale- est rattachée le tiers restant, jusqu’alors appelé Königsberg. Moscou donnera à cette région et à sa capitale le nom de Kaliningrad. Ces nouvelles réalités furent universellement reconnues.
Depuis la chute de l’URSS, le sort de cette ville et de sa région est un enjeu d’autant plus sensible que celles-ci constituent désormais une enclave russe isolée entre deux pays hostiles: la Pologne et la Lituanie ex-soviétique. Le principal acteur de la marche de ce pays balte vers l’indépendance, le très conservateur V. Landsbergis, n’avait-il pas annoncé dès 1990 qu’en cas de dislocation de l’Union soviétique, la région de Kaliningrad aurait le choix de rejoindre l’un de ses deux voisins -aujourd’hui membres particulièrement zélés de l’OTAN ? Il y a un an, la Lituanie n’a-t-elle pas restreint le transit de marchandises de Russie vers son territoire « exclavé »?
C’est en pleine connaissance de cause de ces réalités explosives que Varsovie a crû bon de provoquer gratuitement l’opinion russe, quitte à renforcer en son sein les courants les plus nationalistes. De fait, si l’ambassadeur russe en Pologne a tenté de minimiser la portée de l’initiative de Varsovie en soulignant que celle-ci « ne change rien d’un point de vue pratique », le porte-parole du Kremlin l’a, quant à lui, dramatisée en évoquant « un processus proche de la folie »…
Dans le contexte de cette guerre, aussi cruelle qu’absurde, jeter de l’huile sur le feu est une stratégie contre-productive qui peut s’avérer dévastatrice.
A cet égard, que dire de la dangereuse surenchère du gouvernement britannique, prêt à livrer à l’Ukraine des missiles « Storm Shadow » d’une portée de 250 km (version bridée) , pouvant aller jusqu’à 500, voire 1000 km -autrement dit capables, sinon d’atteindre le territoire russe très en profondeur, du moins de frapper le port de Sébastopol , où stationne la flotte russe de la mer Noire…C’est précisément pour prévenir le risque de se voir entraînés vers un niveau d’escalade immaîtrisable que la Maison Blanche et le Pentagone eux-mêmes ont jusqu’ici opposé un refus net aux demandes répétées de Kiev d’armes à longue portée. En confondant solidarité et irresponsabilité, Londres pose un vrai problème à toute l’Europe et au-delà. Les puissances du G7, qui ont fait le choix symbolique de se réunir à Hiroshima, du 19 au 21 mai prochains, feraient bien de s’en saisir .
CRISE DE TAÏWAN : SAVOIR RAISON GARDER
Par les temps qui courent, le monde n’a vraiment pas besoin d’une crise internationale de plus ! Les dirigeants européens feraient bien de rappeler cette évidence à leurs alliés américains qui s’évertuent à remuer le fer dans la plaie des relations tumultueuses entre Pékin et les autorités actuelles de Taïwan . Non content d’être le premier fournisseur d’armements de l’île -deux livraisons massives d’armes ont eu lieu depuis l’élection du Président Biden- , Washington cautionne incident sur incident propre à alimenter le climat de confrontation avec Pékin sur ce dossier potentiellement explosif. Après la visite délibérément provocatrice de l’ex-Présidente démocrate de la Chambre des représentants à Taipei en août dernier, l’administration Biden n’a pas trouvé initiative plus appropriée que d’autoriser la réception aux Etats-Unis, par le successeur républicain de Nancy Pelosi, de la première responsable actuelle de l’île chinoise, clairement indépendantiste . Ces bravades successives de Washington envers son grand rival asiatique seraient puériles si elles n’attisaient de très inopportunes tensions dans une région ultra-sensible.
Loin de servir à obtenir de Pékin les nécessaires garanties d’un règlement pacifique du statut de Taïwan, ce type de harcèlement ne fait qu’exacerber les dissensions sinon les risques d’une dérive fatale. Cette attitude vise, en effet, aux yeux de Pékin, à revenir progressivement, dans les faits, sur le principe d’ « une Chine unique » (reconnu par 181 États sur 193), qui fait de Pékin le seul représentant légal de l’île . De fait, Taïwan fait partie de la Chine depuis le 17ème siècle, hormis la période de domination japonaise qui débuta en 1895 et prit fin avec la capitulation de 1945. Taïwan est donc bien une province chinoise. Jusqu’à l’élection de l’actuelle dirigeante de l’île, en 2016, les relations avec Pékin s’étaient du reste, développées sur le plan économique et apaisées sur le plan politique . Le précédent dirigeant de Taipei -qui se rendit en Chine continentale l’été dernier- appela d’ailleurs à un dialogue constructif avec Pékin.
Au lieu d’encourager cette option, excluant toute tentative de « réunification de la Chine »par la force, mais ouverte à un processus de rapprochement négocié, les Etats-Unis prennent le risque d’instrumentaliser la question taïwanaise au service de leur stratégie « Indo-Pacifique », autrement dit de leur bataille de « leadership » avec la Chine. Quel intérêt auraient les Européens à se laisser entraîner dans cette dangereuse impasse ? Quelques inconditionnels de Washington, comme les dirigeants libéraux-conservateurs de la République tchèque ou les très zélés responsables lituaniens, ne se posent pas la question : ce qui est bon pour « l’Amérique » est bon pour eux. Plus symptomatique de la confrontation entre Occident et Chine : pour la première fois depuis 26 ans, une ministre allemande s’est récemment rendue à Taïwan . Sans parler du tollé médiatique suscité en Europe par une banale assertion d’Emmanuel Macron, selon laquelle : « La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise ». Attention : sur Taïwan, sachons raison garder.
FRANCE-AFRIQUE : L’ARROGANCE NE PAIE PLUS
« Arrogant comme un Français en Afrique » : sous ce titre évocateur, un petit livre de l’éminent spécialiste français de l’Afrique, Antoine Glaser, retraçait il y a quelques années les attitudes suffisantes ou condescendantes, sinon grossièrement colonialistes, de « la France dirigeante » (de la sphère politique comme des milieux économiques), persuadée d’avoir « profondément marqué l’Afrique de son empreinte civilisatrice » et décidée à en récolter les dividendes. Aveuglées par leurs certitudes anachroniques, ces « élites » ont entraîné la France de déconvenues en déconvenues et alimenté le fameux « sentiment anti-français » dans l’ex-pré carré de la France en Afrique. À l’inverse, d’autres puissances, non lestées d’un passé colonial -en particulier la Chine et la Russie- , y renforcèrent sensiblement leur influence.
C’est, instruit de ce fiasco stratégique sur un continent qui représentera le quart de l’humanité en 2050, qu’Emmanuel Macron tenta dès son arrivée au pouvoir de se faire passer pour l’homme neuf par excellence puisqu’issu d’ « une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé ». La suite lui apprendra que le passé ne s’efface pas d’un trait de plume de la mémoire collective africaine, et ce d’autant moins que le fantôme de la « Françafrique » fait des apparitions récurrentes : sur le plan militaire avec le bilan désastreux de l’opération Barkhane au Sahel ; sur le plan monétaire avec le maintien très contesté du Franc CFA, fût-il réformé; sur le plan politique avec le soutien de Paris à des Chefs d’Etat africains autocratiques, sans oublier l’effet-boomerang des discriminations subies par des Africains en France ou des politiques restrictives du gouvernement en matière d’octroi de visas aux Africains…En 2020, un sondage réalisé auprès des jeunes de plusieurs pays indiquait que 71% des Gabonais, 68% des Sénégalais, 60% des Maliens et 58% des Togolais interrogés avaient une mauvaise opinion de la France (1). D’une façon générale, dans l’Afrique mondialisée d’aujourd’hui, la France n’est, de toute façon, plus « chez elle ».
Lors de sa récente visite au pas de charge en Afrique (quatre pays en moins de cinq jours), le Président français avait donc à cœur de réaffirmer qu’ « il n’y a plus de politique africaine de la France »; que « l’Afrique n’est plus un pré carré »; que Paris serait désormais « un interlocuteur neutre » ; que les effectifs français dans les bases militaires allaient être réduits, etc…conformément à sa recommandation solennelle, faite -à lui même ?- la veille de son départ : à savoir que la France devait faire preuve d’une « profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain » ! Sans doute avait-il à l’esprit les manifestations hostiles à la France, qui se multiplient de Bamako à Ouagadougou, de Bangui à Yaoundé, de N’Djamena à Dakar…, un peu trop vite attribuées aux seules pressions russes. En avant, donc, pour « un nouveau partenariat avec l’Afrique » : voilà pour le changement de posture. On attend à présent le changement de politique.
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(1) Voir « l’Afrique et le sentiment antifrançais » de Fanny Pigeaud, dans « La France, une puissance contrariée » (La Découverte, 2021)
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