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PORTER LA GUERRE SUR LE SOL RUSSE ?

« Nous ne voulons pas qu’un équipement fabriqué aux Etats-Unis soit utilisé pour attaquer le sol russe ! » lança, tel un rappel à l’ordre à l’adresse de l’allié ukrainien, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain au lendemain de l’attaque d’envergure de deux groupes paramilitaires russes ralliés à Kiev dans la région frontalière de Belgorod. Ce qui préoccupait visiblement le conseiller de la Maison Blanche fut, en l’occurrence, la diffusion par Moscou d’images de cette incursion montrant des blindés américains en pleine action sur le territoire russe. De quoi fournir à Poutine un argument de poids justifiant auprès de son opinion publique sa rhétorique anti-occidentale, si ce n’est le franchissement d’un nouvelle étape de son « opération militaire spéciale ». Le fait que ce furent des combattants en partie connus comme sympathisants néonazis -interdits à ce titre d’accès à l’espace Schengen !- qui dirigèrent cette incursion d’une ampleur sans précédent apporta d’autant plus d’eau au moulin du Kremlin. 

Soucieux de ne pas apparaître ouvertement comme des co-belligérants , les dirigeants britanniques et français usent des mêmes précautions que leurs homologues américains : lors de chaque livraison à Kiev d’armements sophistiqués à même de toucher des cibles internes à la Russie, ils demandent aux Ukrainiens de s’engager à ne pas les utiliser hors du territoire de leur pays. Ce fut encore le cas lorsque Londres annonça qu’il donnerait pour la première fois à l’Ukraine un grand nombre de missiles de longue portée, Storm Shadow, capables d’atteindre le territoire russe. Pour ce faire, le Royaume-Uni avait besoin de l’accord de la France, en tant que co-conceptrice de ce missile de croisière et donc co-responsable d’un éventuel usage abusif de cette arme. La question se pose : suffit-il, pour les dirigeants occidentaux, de prêcher la retenue auprès de l’allié ukrainien pour éviter tout dérapage aux conséquences imprévisibles ? L’exemple des blindés américains filmés près de la ville russe de Belgorod fournit une première réponse. D’autres -d’une tout autre portée s’il s’agissait de  chars lourds, de missiles à longue portée, voire d’avions de chasse- pourraient suivre. « Cessons de nous faire dicter nos lignes rouges par l’agresseur ! » clament à chaque nouvelle étape les hérauts de la guerre totale. De fait, de « lignes rouges » il n’est plus question. 

Pourquoi faudrait-il se gêner ? Se gênent-ils,  eux, de semer la terreur sur le territoire ukrainien ? -pourraient rétorquer les uns, légitimement scandalisés par les agressions russes quasi quotidiennes, y compris contre des objectifs civils. C’est que le refus de l’engrenage guerrier repose non sur la volonté de ménager Poutine, mais sur la conviction qu’il risque d’ouvrir les portes de l’enfer pour les deux peuples concernés et bien au-delà ! De quoi avons-nous peur -peuvent penser d’autres- , à voir les spectaculaires déficiences de l’armée russe ? Justement, là est le grand danger: acculé, le pouvoir russe peut être tenté de jouer son va-tout. C’est peut-être un risque marginal -nul ne le sait- , mais, le cas échéant, si dévastateur que des dirigeants responsables n’ont pas le droit d’y exposer l’humanité.

1 juin 2023 at 4:05 Laisser un commentaire

LE « G7 » FACE À LA FIN DE L’HÉGÉMONIE OCCIDENTALE 

Le Sommet des 7 pays les plus riches de la planète qui vient de se tenir sous présidence japonaise, à Hiroshima, est extrêmement instructif sur les évolutions profondes et durables de l’ordre mondial.

 Il y a quatre ans, au lendemain d’un « G7 » sous présidence française, à Biarritz, Emmanuel Macron avait brisé un tabou en déclarant devant quelque 200 ambassadeurs de France réunis à Paris : « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde ». Depuis lors, l’affaiblissement de la Chine due à la stratégie du « zéro Covid » puis celui de la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine et des lourdes sanctions qui s’ensuivirent pouvaient faire penser que les puissances occidentales avaient recouvré, au moins pour un temps, leur suprématie mondiale d’antan. Or, si, grâce à la désastreuse initiative de Poutine, « les Etats-Unis ont repris en main la destinée de l’Europe » (Thierry de Monbrial), les efforts de Washington et de ses alliés pour amadouer le « Sud global » ou le sommer de choisir son camp n’ont pas eu l’effet escompté : le fossé entre l’Occident et le reste du monde n’a fait que s’élargir. On vient d’en avoir confirmation, tant au Sommet d’Hiroshima que dans d’autres enceintes.

Ainsi, le Premier Ministre de l’Inde -le plus choyé des huit pays « émergents » invités au « G7 », en sa qualité de rivale de la Chine- a précisé qu’il se rendait au « G7 » pour « amplifier la voix et les préoccupations du Sud global ». Quant au Président du Brésil, « Lula », sa venue au Sommet occidental ne l’a pas davantage conduit à dévier de sa stratégie de « non alignement ». Ces deux exemples sont d’autant plus significatifs qu’ils concernent deux géants du Sud, piliers des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).

 Rappelons que ce groupe de nations, qui, par-delà ce qui les sépare , coopèrent sur leurs points de convergence, se voient collectivement comme un contre-poids à la domination des Etats occidentaux. Il s’est doté de sa propre banque de développement pour s’affranchir de la tutelle du dollar, du FMI et de la Banque mondiale . Le siège de la « Banque des BRICS » est en Chine, son premier directeur général fut indien, son actuelle dirigeante est l’ancienne présidente du Brésil, Dilma Roussef . Symbole fort : la contribution des BRICS au Produit intérieur brut mondial, en parité de pouvoir d’achat, dépasse depuis 2020 celle des États du « G7 » ! Enfin, pas moins de 19 pays -d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie et du Moyen Orient- ont la volonté de rejoindre ce pôle alternatif, tout en préservant leur souveraineté. L’hégémonie occidentale, et même l’hégémonie mondiale en général, sont bien mortes. On assiste, selon la belle formule de Bertrand Badie, à « l’impuissance de la puissance ». 

Une réalité difficile à admettre parmi les « élites » occidentales . Nulle mieux que Christine Lagarde n’a exprimé cette nostalgie  d’un monde « sous la direction hégémonique des États-Unis »: « Dans la période qui a suivi la guerre froide -poursuivit la Présidente de la Banque centrale européenne- le monde a bénéficié d’un environnement géopolitique remarquablement favorable »(1). Cette page est définitivement tournée. L’avenir reste à écrire.

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(1) Discours (avril 2023) devant l’ « US Council of Foreign Relations », à New-York.

25 Mai 2023 at 5:49 Laisser un commentaire

UKRAINE : NON À LA STRATÉGIE DE L’HUILE SUR LE FEU !

Le gouvernement polonais n’a rien trouvé de plus utile à la cause ukrainienne que de remplacer, sur les cartes de son pays, le nom russe de la ville voisine de Kaliningrad par la version polonaise de son ancien nom allemand. Un non-événement, diront certains : pourquoi s’y arrêter ? Un petit détour historique aide à comprendre pourquoi cette décision est « certes symbolique, mais à forte connotation émotionnelle » (Les Echos). 

Le 2 août 1945, à la Conférence de Potsdam, les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Grande-Bretagne sont réunis pour déterminer l’avenir de  l’Allemagne après la défaite du nazisme. Dans ce cadre, ils décident de partager la Prusse orientale entre la Pologne, qui en obtient les deux tiers, et la Russie, à laquelle -en dédommagement des destructions et des pertes subies durant la seconde guerre mondiale-  est rattachée le tiers restant, jusqu’alors appelé Königsberg. Moscou donnera à cette région et à sa capitale le nom de Kaliningrad. Ces nouvelles réalités furent universellement reconnues.

Depuis la chute de l’URSS, le sort de cette ville et de sa région est un enjeu d’autant plus sensible que celles-ci constituent désormais une enclave russe isolée entre deux pays hostiles: la Pologne et la Lituanie ex-soviétique. Le principal acteur de la marche de ce pays balte vers l’indépendance, le très conservateur V. Landsbergis, n’avait-il pas annoncé dès 1990 qu’en cas de dislocation de l’Union soviétique, la région de Kaliningrad aurait le choix de rejoindre l’un de ses deux voisins  -aujourd’hui membres particulièrement zélés de l’OTAN ? Il y a un an, la Lituanie n’a-t-elle pas restreint le transit de marchandises de Russie vers son territoire « exclavé »?

C’est en pleine connaissance de cause de ces réalités explosives que Varsovie a crû bon de provoquer gratuitement l’opinion russe, quitte à renforcer en son sein les courants les plus nationalistes. De fait, si l’ambassadeur russe en Pologne a tenté de minimiser la portée de l’initiative de Varsovie en soulignant que celle-ci « ne change rien d’un point de vue pratique », le porte-parole du Kremlin l’a, quant à lui, dramatisée en évoquant « un processus proche de la folie »…

Dans le contexte de cette guerre, aussi cruelle qu’absurde, jeter de l’huile sur le feu est une stratégie contre-productive qui peut s’avérer dévastatrice. 

A cet égard, que dire de la dangereuse surenchère du gouvernement britannique, prêt à livrer à l’Ukraine des missiles « Storm Shadow » d’une portée de 250 km (version bridée) , pouvant aller jusqu’à 500, voire 1000 km -autrement dit capables, sinon d’atteindre le territoire russe très en profondeur, du moins de frapper le port de Sébastopol , où stationne la flotte russe de la mer Noire…C’est précisément pour prévenir le risque de se voir entraînés vers un niveau d’escalade immaîtrisable que la Maison Blanche et le Pentagone eux-mêmes ont jusqu’ici opposé un refus net aux demandes répétées de Kiev d’armes à longue portée. En confondant solidarité et irresponsabilité, Londres pose un vrai problème à toute l’Europe et au-delà. Les puissances du G7, qui ont fait le choix symbolique de se réunir à Hiroshima, du 19 au 21 mai prochains, feraient bien de s’en saisir .

18 Mai 2023 at 3:36 Laisser un commentaire

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