Archive for octobre, 2014

L’EUROPE ET LE CLIMAT : AU ROYAUME DES AVEUGLES…

wurtz-l-humanite-dimancheLe compromis auquel viennent de parvenir les 28 Chefs d’Etat et de gouvernement européens en matière d’engagements communs dans la lutte contre le réchauffement climatique a été salué comme étant la « politique énergétique de climat la plus ambitieuse du monde » par le Président du Conseil européen, M. Van Rompuy. Au pied de la lettre, c’est vrai. L’Union européenne est la première à présenter les objectifs qu’elle se propose d’atteindre en la matière d’ici 2030. On en retiendra notamment cette triple annonce: les émissions de CO2 devront diminuer de 40% au moins (par rapport à 1990); la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique devra être portée à 27% en moyenne; enfin, l’efficacité énergétique devrait être améliorée d’environ 27% -ce qui veut dire que, pour une production ou un service rendu identique, la consommation d’énergie nécessaire devrait pouvoir être réduite de 27%. Tout cela sonne plutôt bien, et certains observateurs se disent soulagés de ce résultat. De fait, il n’est pas faux de dire qu’il n’était pas évident que les laborieuses négociations menées entre les Etats membres depuis de longs mois aboutissent à un quelconque accord, tant les positions des différents pays divergeaient sur la plupart des points en discussion.

Ce « succès » est pourtant largement trompeur. D’abord parce que l’apparent consensus cache nombre de concessions , comme le fait que l’amélioration de l’efficacité énergétique est un objectif non contraignant. Mais surtout, si la comparaison de « l’effort » programmé par les « 28 » avec celui des autres grands pollueurs -USA, Canada, Australie, Japon , Chine…- est ,à ce jour, flatteuse pour l’Europe, il en va tout autrement quand on l’évalue à partir des exigences impératives régulièrement rappelées par la communauté des climatologues du monde entier ! Ceux-ci (le GIEC) estiment que, pour maintenir la hausse moyenne des températures en dessous d’un seuil au-delà duquel les dérèglements climatiques risqueraient de devenir incontrôlables, les pays industrialisés doivent avoir diminué leurs émissions de CO2 de 80% en 2050, ce qui suppose un rythme de réduction sensiblement plus rapide que ce que préconise « l’ambitieuse » politique européenne! Et encore, l’économie stagne aujourd’hui. Si elle sort de sa léthargie dans l’avenir, les énergies sans CO2 devront être d’autant plus sollicitées. C’est dire s’il faut , plus que jamais, prendre cette affaire très au sérieux!

Dans moins d’un an, les 195 pays membres de la Convention des Nations Unies sur le climat se réuniront à Paris pour tenter de prendre les décisions universelles qui s’imposent. Les mois qui viennent doivent donc être mis à profit pour aiguiser le débat .Parmi les questions sensibles en discussion, il y a d’abord celle de l’aide financière à accorder aux pays en développement pour leur permettre ,à la fois de parer aux effets déjà irréversibles du changement climatique et de prendre toute leur place dans la nécessaire mobilisation planétaire pour réduire les émissions de CO2. Il y a également celle de l’énergie nucléaire. Il faut dépasser le stade de la polémique à son sujet. Quoiqu’on en pense, elle s’avère incontournable, au côté de toutes les autres énergies sans carbone, si l’on veut avoir une chance de relever l’immense défi climatique qui est devant nous -à plus forte raison si on se place à l’échelle du monde. L’urgence est , par voie de conséquence, d’agir ensemble pour que la sureté nucléaire internationale franchisse un pallier comparable à ce qui existe pour le transport aérien : une agence indépendante doit obtenir des pouvoirs contraignants lui permettant d’imposer le respect strict de normes très exigeantes depuis la conception des réacteurs jusqu’à la gestion des déchets.

Ne laissons pas les dirigeants européens se complaire dans l’autosatisfaction et monopoliser un débat qui nous concerne tous.

30 octobre 2014 at 6:13 Laisser un commentaire

AU FAIT, DE QUEL « OBJECTIF DE 3% » PARLE-T-ON ?

wurtz-l-humanite-dimanche« 3% » : ce chiffre mythique est en passe de remplacer la devise de la République dans les discours officiels ! Ces jours-ci, la seule question qui vaille serait de savoir si « Bruxelles » accepte -et à quelles conditions- de reporter jusqu’à 2017 le délai permettant de ramener à cette part des richesses nationales les déficits publics du pays. Tour à tour, le ministre des finances, le Premier ministre et le Président lui-même plaident l’indulgence auprès des principaux responsables européens, tout en approuvant le principe de ce « tabou » au nom de la préservation des intérêts des « générations futures ».

En revanche, il y a, dans les textes européens, une autre référence aux « 3% » des richesses nationales (PIB) dont la France , pas plus que la majorité des autres États membres de l’Union européenne (UE), ne semblent guère se soucier. Et pourtant, il s’agit vraiment, là, pour le coup, d’un enjeu essentiel pour les « générations futures »! C’est le montant des dépenses à consacrer chaque année à la recherche -une dépense d’avenir s’il en est !

Les Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE s’étaient pourtant solennellement engagés à faire en sorte qu’en l’espace de dix ans (!) les dépenses annuelles de recherche et développement passent d’un peu moins de 2% en moyenne à 3% des richesses de chaque pays -un tiers de ces dépenses devant provenir des finances publiques et deux tiers des entreprises. C’était en 2000, dans le cadre de la « Stratégie de Lisbonne » censée permettre « que l’Europe devienne en 2010 l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Dix ans plus tard, les « 27 » stagnaient toujours à un peu plus de 2% en moyenne. L’objectif des 3% fut donc fermement confirmé ,mais avec un délai rallongé …de 10 ans : 2020. Comme quoi, la « discipline » est plus « cool » pour la recherche que pour les déficits !

Où en sommes-nous depuis ce report ? Pas loin, à l’exception des pays scandinaves (Finlande, Danemark, Suède) qui, eux, ont déjà dépassé le seuil des 3% du PIB consacrés à la recherche ! L’Allemagne n’en est pas loin, à 2,9%. L’Autriche suit de peu. La France , pour une fois,… n’imite pas l’exemple allemand et stagne à 2,25% . Les autres pays membres, c’est pire. C’est ainsi que l’Union européenne accentue son retard et compromet son avenir, tandis que la Chine, l’Inde, le Japon , la Corée et les États-Unis investissent massivement dans ce secteur. La France , qui « pointait » à la troisième place dans le monde à cet égard en 1970, puis à la cinquième en 1985 et encore à la septième au milieu des années 90, est aujourd’hui au quinzième rang. Et le fait qu’elle distance encore la majorité de ses voisins européens ne doit nullement la consoler, mais plutôt la faire réfléchir au mal qui ronge cette « Europe »…

C’est dire si la lettre ouverte que plus de 700 directeurs de laboratoires de recherche (CNRS, INSERM, INRA, IRD…) viennent d’adresser au Président de la République pour tirer le signal d’alarme et demander un plan d’urgence de recrutement est légitime! Comme l’est également leur exigence d’une réforme du « Crédit d’Impôt Recherche » -scandaleux cadeau de 6 milliards d’euros par an aux entreprises, dont les dirigeants sont, pour beaucoup d’entre eux, grands co-responsables de ce déclin. Avec ces chercheurs en lutte, nous sommes convaincus que « notre système de recherche et d’enseignement supérieur est un bien commun qu’il convient de développer pour contribuer au développement économique, social et culturel de notre pays ».

23 octobre 2014 at 12:48 Laisser un commentaire

L’ALLEMAGNE EST-ELLE « KAPUTT » ? (BIS)

wurtz-l-humanite-dimancheIl y a un an, jour pour jour, je publiais dans l’Humanité-Dimanche une chronique intitulée « L’Allemagne est-elle « kaputt »?  « Il ne s’agissait pas, sous ma plume, d’un subit accès de « german-bashing » (défoulement antiallemand) puisque ce qualificatif provocateur était directement emprunté à l’un des plus respectés des quotidiens allemands, la « Suddeutsche Zeitung », dont il avait, quelques jours auparavant, barré la « Une » en gros caractères. Un reporter y déclinait alors sur deux pages centrales une impressionnante liste d’infrastructures publiques défaillantes, délabrées, voire franchement hors d’usage, à travers le pays . L’inventaire allait de centaines de ponts, de routes, de voies navigables ou de réseaux ferrés jusqu’à nombre d’écoles ou d’universités . Pour donner une idée des besoins financiers que cela représentait, l’enquêteur citait deux chiffres éloquents :la seule rénovation des bâtiments universitaires nécessiterait la mobilisation de 30 milliards d’euros ! Quant à la remise en état des routes principales, elle demanderait 4,7 milliards de dépenses publiques supplémentaires par an pendant quinze ans … A quoi s’ajoutaient les immenses retards accumulés dans des secteurs d’avenir comme l’énergie et le très haut débit. Le journaliste concluait ce constat sidérant avec une courageuse lucidité : faute d’investissements publics essentiels, « l’Allemagne est en train de s’user « .

Un an plus tard, c’est au tour de l’une des figures les plus en vue des prévisionnistes d’outre-Rhin, Marcel Fratzcher -un ancien ténor de la Banque centrale européenne, qui préside aujourd’hui à Berlin l’un des cinq principaux instituts de conjoncture (DIW) et conseille … le ministre de l’économie, par ailleurs leader social-démocrate, Sigmar Gabriel- de jeter un pavé dans la mare avec un livre-choc au titre évocateur : « L’illusion allemande ». Ce gourou, pourtant libéral pur sucre, casse tout d’abord quelques idées reçues en rappelant que son pays, qui se veut le phare de l’Europe, connaît depuis 2000 (années Schroeder) une croissance inférieure à la moyenne de la zone euro, tandis que les deux tiers de ses salariés ont vu leur revenu baisser. Et surtout, il met en cause, dans le contexte actuel, l’obsession de l’équilibre des finances publiques si chère à Angela Merkel et promet aux chantres de cette politique des lendemains qui déchantent -ce que confirment les chiffres alarmants de ces derniers jours: baisse sévère de la production industrielle, chute des commandes , risque de récession…(1)

Quelles conclusions tirer de ce nouveau coup de tonnerre dans le ciel du « modèle allemand »? L’Allemagne est ébranlée , comme l’illustre la récente manchette du grand quotidien populiste de masse « Bild » : « Qu’est-ce qui nous arrive ? » Il ne faut pas pour autant s’ attendre à l’on ne sait quel coup de barre à gauche dans la politique allemande ! Déjà monte dans les sphères économiques de notre voisin le thème du « laxisme social »: la source des difficultés seraient à rechercher dans l’introduction du salaire minimum (qui n’est même pas encore en application) ou le coup de pouce aux mères retraitées ! En revanche, c’est au niveau européen que la donne peut et doit changer .C’est le moment de passer à l’offensive dans la promotion de politiques alternatives à celles qui ,après avoir démontré leur malfaisance absolue dans les pays du Sud de l’Europe, confirment leur perversité jusqu’au cœur économique de l’Union européenne . La « leçon allemande » n’est autre que l’impasse de la stratégie de la « compétitivité » à courte vue fondée sur la  » baisse du coût du travail » et le rationnement des dépenses publiques , en particulier celles à visée sociale. Cet enseignement de l’expérience est de plus en plus largement reconnu : « C’est une immense erreur de vouloir copier ce qui ne marche guère en Allemagne .(Celle-ci) exporte sa déflation au reste de l’Europe (…) Il faut donc , d’urgence, changer de politique  » souligne aujourd’hui un ancien conseiller du président de la Commission européenne. (1) Cela vaut particulièrement pour la France.

———
(1) Chute de 4% de la production industrielle , de 8,8% de la production de biens d’équipement, de 25,4% de la production automobile, au mois d’août !
(2) Philippe Legrain (La Tribune 8/10/2014)

16 octobre 2014 at 3:59 Laisser un commentaire

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