Archive for mars, 2018
QUELLE POLITIQUE INTERNATIONALE POUR L’UE ?
Est-il besoin de dire l’horreur que nous inspirent les pratiques de barbouzes du type de l’empoisonnement de l’agent double russe à Salisbury ? Eradiquer ces comportements de bandits dans les relations internationales est une exigence basique dans toute démocratie. Pourtant, le branle-bas médiatique orchestré par les principales chancelleries de l’Union européenne autour de la « probable » responsabilité de la Russie dans cette sombre affaire a quelque chose de suspect.
Faut-il rappeler que lorsque trois militantes kurdes ont été assassinées en plein Paris en janvier 2013, il n’y a eu ni sanctions européennes contre Ankara ni renvoi de diplomates turcs, alors-même que la responsabilité , non pas « probable » mais directe des services secrets d’Erdogan avait été établie ! En ce moment-même, la justice européenne est d’ailleurs saisie de plusieurs cas de menaces de mort émanant d’ « agents de sécurité » turcs contre des responsables kurdes sur le sol ouest-européen, notamment en France, en Belgique et en Allemagne. L’exemple, sinon la consigne, vient de haut : l’an dernier, mécontent du fait que certains de ses ministres n’aient pu faire sa campagne électorale dans tel ou tel pays européen, Erdogan était allé jusqu’a proférer des menaces inouïes : « Si vous continuez de vous comporter de cette manière, demain, aucun Européen ou occidental ne pourra plus faire un pas en sécurité, avec sérénité nulle part dans le monde » ! Imaginons que ce soit Poutine qui se soit adressé de la sorte aux dirigeants européens… Tout cela pour prendre la mesure réelle de l’indignation des « 27 » exprimant leur « solidarité sans faille » avec la Première Ministre britannique.
Si la responsabilité de Moscou dans ce scandale venait à être clairement confirmée, une sérieuse mise au point avec le Kremlin s’imposerait. Mais, même dans ce cas, cela n’exonérerait pas les dirigeants européens d’une analyse sans complaisance de leur inconséquence coupable en matière de politique internationale. Où sont les grandes initiatives diplomatiques de l’Union européenne en faveur d’une sécurité durable sur le continent européen et dans le monde ? Qu’ont-ils fait pour créer les conditions d’une nouvelle Conférence sur la sécurité et la coopération entre tous les Etats du continent, comme leurs lointains prédécesseurs avaient su le faire en pleine guerre froide, avec la Conférence d’Helsinki ? Qu’attendent-ils pour s’émanciper de la tutelle militaire et morale (?) de Washington, à une époque où les principaux dangers qui planent sur la sécurité mondiale ont pour épicentre les Etats-Unis ? Qu’envisagent-ils d’entreprendre pour contrer l’offensive irresponsable et délibérément provocatrice de Trump et de son nouveau cabinet de guerre au Moyen-Orient ? Quand se décideront-ils à travailler avec l’Afrique à un accord de co-développement global et de long terme à la place des accords superficiels et mesquins de « réadmission » des ressortissants émigrés ? Etc…
On me rétorquera qu’un accord à 27 ou à 28 sur ces objectifs est illusoire. C’est juste, du moins dans le contexte présent. Mais rien n’empêche -pas même les traités européens- quelques Etats à prendre les devants pour donner à voir aux Européens ce que pourrait être et rapporter, ne serait-ce qu’en terme de respect et de soutien de la part des peuples du monde, une vraie politique internationale de l’Union européenne.
AFRIN : L’IGNOBLE LACHAGE DES KURDES DE SYRIE !
Un nouveau drame humanitaire se déroule sous nos yeux en Syrie. Il touche des femmes et des hommes que toute la communauté internationale célébrait naguère comme étant les combattants les plus intrépides engagés sur le terrain contre le groupe « Etat islamique » (Daesh) : les Kurdes des « Unités de protection du peuple » (YPG et YPJ). Désormais, ils et elles sont abandonnés face aux troupes et sous les bombes de l’armée turque, secondée par ses supplétifs islamistes syriens. Aujourd’hui dans la ville d’Afrin (350 000 habitants), demain peut-être à Manbij, ou à Kobané, au nord de la Syrie. Si rien n’est fait de toute urgence -notamment la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne- d’autres tragédies auront lieu, qui resteront dans l’Histoire comme le résultat d’un ignoble lâchage des Kurdes de Syrie, particulièrement de la part des Etats-Unis, mais également de l’Europe et de la Russie.
Qu’est-ce qui a fourni, en effet, au président turc Erdogan le prétexte en or qu’il attendait pour faire la guerre aux Kurdes de la Syrie voisine ? C’est l’annonce, par Washington, du projet d’installer dans cette région frontalière de la Turquie, une force de sécurité de 30 000 combattants, majoritairement kurdes, pour y empêcher tout retour de djihadistes de Daech. Il n’est guère imaginable que les stratèges américains n’aient pas anticipé la réaction d’Erdogan à ce plan. Or, depuis l’offensive turque, le silence des Etats-Unis est assourdissant et leur projet enterré ! C’est à se demander s’ils n’ont pas délibérément sacrifié leurs ex-« alliés » kurdes , une fois Daesh chassé de Syrie, dans le cadre d’un « deal » secret avec leur turbulent partenaire de l’OTAN ! En tout état de cause, ils les ont lâchés , une fois leur héroïque mission accomplie, à leur pire ennemi. Un degré-record de cynisme ou de lâcheté !
L’Europe, quant à elle, n’est pas en reste à cet égard. Face à l’élimination programmée par Ankara de forces qui furent à l’avant-garde de la mise hors d’état de nuire des commanditaires des attentats de Paris, de Nice ou de Bruxelles, la teneur des réactions des capitales européennes fait honte à entendre : entre leurs « appels à la retenue » (Emmanuel Macron) , l’expression de leur « préoccupation » (l’UE), voire les concessions directes à Erdogan, du type « le souci de la frontière est légitime » ( Jean-Yves Le Drian ) , même si elles sont ensuite tempérées « mezzo voce ». De même, la discrétion avec laquelle les autorités de nos pays traitent -cinq ans après l’assassinat à Paris de trois militantes kurdes- les exactions commises ou annoncées en ce moment sur le territoire européen par les « commandos itinérants des puissants services secrets turcs contre des dirigeants kurdes » (« Le Monde », 16/3/18) tranchent avec la virulence des réactions à l’empoisonnement d’un ex-agent double russe à Londres ! Vis-à-vis d’Ankara, ni sanctions ni renvoi de diplomates, mais des courbettes, des crédits et des espoirs de juteuses ventes d’armes…
Quant à la Russie, maîtresse de l’espace aérien dans la région, elle a, de fait, donné son feu vert à l’agression turque, en retirant en outre ses soldats de la zone la veille de l’attaque d’Erdogan. Hier, Moscou décorait des cadres militaires kurdes de Syrie et invitaient leur organisation aux pourparlers de Sotchi. Jusqu’où Poutine va-t-il aujourd’hui les trahir ? Notre solidarité avec le peuple kurde n’en est que plus cruciale .
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