L’OCCIDENT N’EST PAS LE MONDE
17 janvier 2019 at 12:10 Laisser un commentaire
Il n’est pas si fréquent qu’un expert reconnu en matière de politique internationale ose défendre des thèses qui vont à contre-courant des idées reçues sur des questions de fond qui nous tiennent à cœur. Je ne résisterai donc pas au plaisir de saluer la sortie du dernier ouvrage de Pascal Boniface, le très médiatique directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « Requiem pour le monde occidental » (1)
Un premier thème qui me semble traité avec perspicacité est le grand gâchis qu’a représenté, au début des années 90, la gestion irresponsable de « l’après-chute » du mur de Berlin. Ce qui aurait pu conduire à un grand pas vers un authentique multilatéralisme se traduisit, au contraire, par un basculement dans un unilatéralisme forcené. L’auteur rappelle à bon escient une citation d’anthologie du Président Bush (père), extraite de son « Discours sur l’état de l’Union » de janvier 1992 : « Grâce à Dieu, l’Amérique a gagné la guerre froide. Un monde jadis divisé en deux camps armés reconnaît aujourd’hui la supériorité d’une seule puissance : les Etats-Unis. » Ses alliés partagèrent , quant au fond, cette vision archi-dominatrice d’un « Occident » triomphant. Six mois plus tôt, ils refusèrent l’aide financière demandée par Gorbatchev, avant de violer un engagement, certes oral mais catégorique, pris devant le Président soviétique, de ne pas élargir l’OTAN vers l’Est. Cette décision stratégique fut critiquée par des personnages comptant pourtant parmi les Américains les plus durs vis-à-vis de l’URSS -George Kennan, Robert Gates…- tant elle annonçait, en retour, la rançon de l’humiliation : un dangereux regain des tensions entre la Russie et le monde occidental. L’Union européenne ne fut pas en reste dans cette politique provocatrice à l’égard des « vaincus » de la guerre froide : le « partenariat oriental » institué en 2009 sur l’insistance de la Pologne, entre les « 28 » et six ex-Républiques soviétiques, dont l’Ukraine et la Géorgie, sommées de « choisir » entre Moscou et Bruxelles, fonctionna comme une machine à susciter des conflits dans cette zone ultra-sensible.
Un autre sujet traité avec lucidité et courage dans ce livre est le rôle funeste qu’a joué -et que joue- l’OTAN , au nom de la défense de l’Occident, contre la sécurité collective, notamment en Europe. Alors que la logique aurait dû conduire à sa dissolution -après celle du « Pacte de Varsovie »- , cette alliance militaire a été sans cesse renforcée et élargie, y compris « hors zone » (européenne). Et c’est en son nom que les dirigeants européens balayèrent en 2008 le projet de « traité paneuropéen de sécurité » présenté par l’ex-Président russe, Medvedev.
Enfin, une mention spéciale est à faire à propos des passages de cet essai sur les « valeurs occidentales » et la propension des idéologues « occidentalistes » à prendre une partie du monde -en déclin- pour « la communauté internationale » et ses préceptes pour des principes universels. Cerise -amère- sur le gâteau : Trump a beau traiter désormais l’Union européenne d’ « ennemie » , le Président du Conseil des « 28 », Donald Tusk nous assure toujours avec la foi du charbonnier que « l’Amérique n’a pas ni n’aura jamais un meilleur allié que l’Europe aujourd’hui » ! De l’air ! L’Occident n’est pas le monde!
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(1) Éditions Eyrolles, 2019
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