APRÈS LA FAUTE DE MOSCOU, GARE À LA SURENCHÈRE !
18 février 2021 at 4:30 Laisser un commentaire

On savait le Kremlin capable de brutalité, y compris dans ses relations internationales, mais on l’avait également vue habile stratège quand cela servait ses intérêts. Cette fois-ci, son manque de discernement à l’égard de Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, surprend par sa dimension clairement contre-productive, tant pour nos pays que pour la Russie. C’est une faute très dommageable. Elle risque, hélas, de renforcer, dans l’UE, le camp des partisans d’une tension durable entre les deux grands acteurs du continent, au moment précis où l’on pouvait espérer voir enfin s’amorcer un processus de dialogue constructif entre eux. Rappel des faits.
Le 5 février dernier, contre l’avis de plusieurs gouvernements ainsi que de nombre de parlementaires européens -qui ne se limitaient pas, en l’occurrence, aux traditionnels adeptes d’ une néo-guerre froide avec Moscou- , Josep Borrell, en homme avisé, a voulu relancer les rencontres diplomatiques UE-Russie, pratiquement gelées par Bruxelles depuis 2014 (1) . Il était de ceux qui estimaient, avec raison, que l’ « Affaire Navalny », aussi condamnable soit-elle, ne devait pas faire obstacle à la reprise d’un « dialogue franc » avec son homologue russe, comme à la relance des coopérations dans des domaines cruciaux, telles la lutte contre le réchauffement climatique ou la revitalisation de l’accord sur le nucléaire iranien. Il souligna également, avec pertinence, que le vaccin « Spoutnik V » était « une bonne nouvelle pour l’humanité ». La Russie a dit avoir apprécié cette rencontre…mais l’a conclue en expulsant le même jour trois diplomates d’Allemagne, de Pologne et de Suède ! Du pain bénit pour tous ceux qui attendaient Josep Borrell au tournant ! « Humiliation ! » « Fiasco ! » « Borrell démission ! » « Nouvelles sanctions contre Moscou ! » : l’hystérie est repartie de plus belle. Comme pour s’excuser de l’échec de Borrell, le Président du Conseil européen, le pâle Charles Michel, annonça qu’il se rendrait …en Ukraine et en Géorgie , deux pays en conflit avec la Russie, « pour souligner le soutien de l’UE à leur souveraineté et à leur intégrité territoriale ».
C’est dans ce contexte électrique que Josep Borrell doit rendre compte et « tirer les leçons » de son voyage devant les 27 ministres des Affaires étrangères, ce 22 février, avant que les Chefs d’Etat ou de gouvernement n’en débattent à leur tour, fin février, puis, lors d’un Sommet consacré à la relation avec la Russie, fin mars. Qui aura la lucidité et le courage de rompre le cycle infernal des provocations et contre-provocations ? Qui osera mettre en garde contre la surenchère ? Combien d’années de plus risquons-nous de perdre avant de réamorcer l’indispensable processus de normalisation de notre relation ? Quel gâchis !
———(1) La raison de ce gel fut l’annexion de la Crimée par la Russie, en violation du droit international . Celle-ci fut qualifiée par l’UE de « fait sans précédent en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale », ce que conteste Moscou, en rappelant -non sans raison- la reconnaissance, en 2008, par l’UE, de l’indépendance du Kosovo, acquise unilatéralement et illégalement, au détriment de la Serbie.
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