Archive for février, 2024
UKRAINE, DEUX ANS DE GUERRE : ET MAINTENANT ?
« Pour l’Europe et le monde, il faut que l’Ukraine l’emporte » : sous ce titre est paru, deux ans après le déclenchement de la guerre par la Russie, une déclaration commune du ministre ukrainien des affaires étrangères, Dmytro Kuleba, et du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. On ne peut qu’acquiescer à leur constat qu’il s’agit d’une « guerre d’agression (russe) accompagnée d’atrocités horribles et généralisées » . En revanche, s’il est largement admis que cette agression russe est injustifiable et inexcusable, considérer pour autant des enjeux cruciaux tels que « la neutralité de l’Ukraine, l’élargissement de l’OTAN, la protection des russophones » comme autant de « prétextes inventés » par Poutine est, en revanche, très contestable, comme en témoignent, de longue date, des mises en garde de hauts responsables américains eux-mêmes . Quant à se fixer aujourd’hui comme seule perspective de paix « de faire en sorte que l’Ukraine puisse renverser le cours de la guerre en sa faveur » et à appeler « au soutien du monde pour parvenir à ce résultat », voilà qui interroge doublement : d’abord, parce que « le monde », hormis l’Occident, est clairement opposé à toute idée de solution militaire à la tragédie ukrainienne ; ensuite du fait de la quasi-certitude que les territoires ukrainiens aujourd’hui occupés voire annexés par la Russie ne pourront pas être reconquis par la force, malgré les sacrifices insoutenables imposés aux Ukrainiens, sauf à faire le pari irresponsable d’une escalade vertigineuse face à une puissance nucléaire poussée dans ses derniers retranchements. En vérité, ni Kiev ni Moscou ne sortiront « gagnants » de cette guerre dévastatrice. La solidarité ne doit pas consister à pousser l’allié dans une impasse de plus en plus dramatique.
Il est fort heureusement d’autres acteurs des relations internationales qui prennent le contrepied de cette vision étroitement occidentale et de ces perspectives exclusivement militaires. Rappelons, pour le principe, les propos du Chef d’Etat major interarmées des Etats-Unis (aujourd’hui à la retraite), le général Milley, qui notait dès novembre 2022 (contre son Président) que « la probabilité d’une victoire militaire ukrainienne consistant à chasser les Russes de toute l’Ukraine n’est pas élevée » mais qu’ « il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent, c’est possible ». Plus près de nous, citons l’ex-ambassadeur de France en Russie, Jean de Gliniasty, qui, dans un livre qui vient de paraître, tout en soulignant légitimement « la responsabilité russe, écrasante », revient longuement et en détail sur les lourdes fautes commises par les Etats-Unis et l’OTAN, poussant à la montée des tensions durant deux décennies entre l’Occident et la Russie après la chute de l’Union soviétique, et sur ce qu’il considère comme « un échec de la diplomatie française » et européenne, dans la gestion de la crise russo-ukrainienne entre 2014 et 2021 (1) . Le même a très récemment clairement préconisé la voie diplomatique pour terminer cette guerre (2). Rechercher une solution politique ne signifie pas entériner les conquêtes militaires russes, mais rechercher un accord mutuellement acceptable à partir de deux principes fondamentaux : la souveraineté de l’Ukraine (à faire respecter par la Russie) et la prise en considération des aspirations du peuple russe à la sécurité (à faire admettre à l’OTAN).
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(1) « France, une diplomatie déboussolée » (Édition L’inventaire), 2024
(2) Table ronde à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) , 21/2/2024
CES VOIX QUI SAUVENT L’HONNEUR DE L’EUROPE SUR GAZA
Figure intellectuelle respectée très au-delà de nos frontières, Edgar Morin dénonçait récemment « le silence du monde, le silence des Etats-Unis, protecteurs d’Israël, le silence des Etats arabes, le silence des Etats européens qui se prétendent défenseurs de la culture, de l’humanité, des droits de l’homme » face à la « tragédie horrible », au « véritable carnage massif sur les populations de Gaza », dont se rendent coupables « les décideurs de l’Etat d’Israël ».
Comment ne pas partager l’indignation de l’emblématique sociologue devant le silence assourdissant de nombre de représentants de la « communauté internationale » ! Le cas des Chefs d’Etat ou de gouvernement occidentaux est d’autant plus révoltant qu’il illustre l’étendue de leur partialité dans le traitement des crimes de guerre contre des populations civiles , selon que les criminels sévissent en Ukraine ou en Palestine.
Quelques voix se distinguent dans ce mutisme honteux. C’est le cas de la vice-présidente du gouvernement espagnol et cheffe de file du mouvement de gauche Sumar, la communiste Yolanda Diaz. Elle dénonçait encore, il y a peu, « l’hypocrisie internationale » sur le Proche-Orient , révélant que le gouvernement espagnol « dialoguait » depuis quelques temps avec les États membres de l’Union européenne pour « aller de l’avant » sur l’enjeu-clé de « l’Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale », et que, faute de consensus, « l’Espagne prendrait ses propres décisions ». Est-ce cette initiative qui décida enfin Emmanuel Macron à déclarer, fût-ce, comme à son habitude, de façon alambiquée, que « la reconnaissance d’un État palestinien n’est pas un tabou pour la France » ?
D’autres voix qui tranchent avec l’inertie ambiante face à la sauvagerie quotidiennement à l’œuvre à Gaza émanent de nos amis du Sinn Fein d’Irlande. Il s’agit de celle de la nouvelle Première Ministre d’Irlande du Nord, Michelle O’Neill, exigeant, en plus du cessez-le-feu et de la libération des otages, le lancement d’un authentique processus de constitution d’un État palestinien. Et également de celle de la Présidente du Sinn Fein, Mary Lou Mc Donald -qui fut, naguère, membre de notre groupe de la gauche au Parlement européen- exhortant le gouvernement de la République d’Irlande à saisir la Cour pénale internationale du cas des responsables de la guerre que mène Israël à Gaza.
On peut éventuellement encore citer le cas de la Ministre belge des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, exprimant au moins sa « ferme condamnation » de la destruction -« absolument inacceptable »- par l’armée israélienne des bureaux d’une agence belge de développement installée de longue date à Gaza, contrairement à d’autres pays, qui se taisent même quand l’armée de l’occupant détruit des infrastructures qu’ils ont financées…
Merci à ces responsables politiques, dignes de leur fonction. Ils sauvent l’honneur de l’Europe. L’Histoire retiendra qu’après près de cinq mois de cette « tragédie horrible », elles faisaient partie de la poignée de dirigeants refusant l’inacceptable.
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JE VEUX RENDRE HOMMAGE À MICHEL MULLER, À SON TALENT DE JOURNALISTE, SA RECTITUDE ET SON HUMANITÉ .
GAZA : LE CRI D’ALARME DE « MEDECINS DU MONDE » !
« On attend autre chose des Etats que des discours humanitaires ! » a lancé le vice-Président de « Médecins du monde » , Jean-François Corty, à l’adresse de gouvernements européens qui, « à l’exception de celui de l’Espagne ou de la Belgique, notamment, s’alignent sur le récit radical d’Israël », selon lequel « Tout le monde, à Gaza, est responsable, et donc, d’une certaine manière, tout le monde peut mourir » (1). Comment ne pas se rappeler à cet égard les déclarations du Ministère français des Affaires étrangères se disant « gravement préoccupé » par l’annonce par Israël de l’intensification des frappes sur Gaza tout en assimilant fondamentalement cette guerre faite aux civils à l’exercice par Israël de son « droit de se défendre », ou encore celle de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, assurant, la main sur le cœur, que « nous pleurons toutes les familles de victimes », sans demander le cessez-le-feu !
Avec raison, le responsable de « Médecins du monde » fut très clair sur « le drame absolu du 7 octobre », appelant au « respect des 1200 morts » et à la « dénonciation sans pitié » de ce massacre et des prises d’otages. Tout aussi légitimement a-t-il condamné « l’attaque russe ignoble en Ukraine et les morts civils ». Ce qu’il mit en cause, c’est « le deux poids-deux mesures » qui désoriente l’opinion publique, soulignant qu’il y a « 50 fois plus de civils innocents morts par jour à Gaza qu’en Ukraine »; des « bombardements indiscriminés »; « des quartiers entiers rasés » ; « 80% de la population déplacés »; « une aide alimentaire qui ne peut pratiquement pas rentrer »; « des poches de famine »; « un défaut d’accès à l’eau potable »; « une médecine de guerre obligée de faire le tri des blessés »; « des centaines d’employés des Nations unies et d’acteurs humanitaires tués »… Il cita le cas du médecin chargé de coordonner les opérations de sa propre organisation, sans lien avec le Hamas, tué dans le bombardement de sa maison, puis le drame des proches de ce même médecin, tués à leur tour par un second bombardement alors qu’ils tentaient de déblayer les décombres du premier ! « Jusqu’où (laissera-t-on) aller cette cruauté monstrueuse ? » lança-t-il à l’adresse des dirigeants européens, dont il dit attendre qu’ils respectent les préconisations de la Cour internationale de Justice en empêchant le risque d’un génocide : « des hôpitaux sont ciblés; des écoles construites grâce à des fonds occidentaux sont détruites et vous ne dites rien ! »
Encore sous le choc de cet irrécusable réquisitoire fondé sur l’expérience de terrain, j’entendis Netanyahu annoncer son « Plan combiné d’évacuation et de destruction » du secteur de Rafah, dernier pseudo-refuge pour plus de 1,3 millions de Gazaouis, en grande majorité civils, fuyant une guerre dévastatrice. « Gaza doit-il disparaître ? » titrait le grand quotidien genevois « Le Temps » ! Cette nouvelle offensive laisse présager une telle explosion des morts et des blessés graves que même la Maison Blanche s’est cru obligée de dire sa crainte d’ « un désastre » et que l’allié indéfectible No 1 de l’organisateur de ce désastre, Joe Biden -qui a « livré 10 000 tonnes d’armements et d’équipements militaires à Israël depuis le début de la guerre » (2)- s’est fendu d’un communiqué qualifiant de « riposte excessive » les nouveaux crimes de guerre programmés par son protégé, …sans l’accompagner de la moindre mesure coercitive. Eh, Paris ! Eh, l’Europe ! Réveillez-vous, ou l’Histoire ne vous pardonnera pas votre hypocrisie ni votre complicité !
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(1) Sud-Radio, 7/2/2024
(2) Times of Israël (26/12/2023) . S’y ajoutent les 147,5 millions de dollars d’armements envoyés « en urgence » le 30/12/2023. (Pas de chiffres pour 2024)




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