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QUE PEUT CHANGER LE MANDAT D’ARRÊT CONTRE NÉTANYAHU ?
La décision de la Cour pénale internationale (CPI) d’émettre un mandat d’arrêt contre le Premier Ministre israélien et son ex-bras droit dans la guerre contre les Palestiniens est d’une importance capitale. Ceux qui, aujourd’hui, tentent d’en minimiser la signification et l’impact sont les mêmes qui ont exercé, depuis des mois, des pressions inouïes, assorties de menaces, sur la CPI et ses représentants dans l’espoir de les faire renoncer à l’émission de ces mandats. Le futur chef de la majorité au Sénat américain vient même d’annoncer le vote prochain d’une loi visant à sanctionner la CPI ! C’est dire s’ils mesurent la portée de sa décision.
Certes, dans l’immédiat, celle-ci n’empêchera pas directement Netanyahu, assuré du soutien indéfectible de Washington, de poursuivre la guerre. Et sans doute ne sera-il pas arrêté de si tôt. Elle limitera, en revanche, considérablement ses déplacements, comme c’est déjà le cas du Président russe, mais là n’est pas l’essentiel. Bien plus déplaisant pour l’intéressé va être son nouveau « statut » de paria de la communauté internationale, non plus seulement aux yeux de l’Assemblée générale des Nations unies, mais à ceux de la Justice internationale. Circonstance aggravante : son cas est sans précédent dans la mesure où jamais, depuis sa création en 1998, la CPI -reconnue par 124 États !- n’avait réclamé l’arrestation d’alliés des dirigeants occidentaux et particulièrement des Etats-Unis. Devant le monde entier, l’intouchable est placé devant ses responsabilités. Et pour quelles incriminations : « crime de guerre consistant à utiliser la famine comme méthode de guerre » et « crimes contre l’humanité » tels que des « attaques intentionnellement dirigées contre la population civile » ! Il y a situation plus glorieuse ! Se défendre en accusant le Procureur Karim Kahn, les trois juges et la CPI tout entière d’ « antisémitisme » et en se disant victime d’un « procès Dreyfus » (Netanyahu) ou en prétendant « mener une guerre morale » (Gallant) n’est pas un signe de force…
Le contexte mondial dans lequel ce pouvoir scélérat d’extrême-droite exerçait impunément ses forfaits va nécessairement changer. Ceux des dirigeants arabes qui piaffaient d’impatience de pouvoir normaliser leurs relations avec Israël, sans aucun règlement de la question palestinienne en retour (Accords d’Abraham), vont devoir y réfléchir à deux fois. Le peuple palestinien, ces « animaux humains » (Gallant) et les peuples qui lui sont proches retrouveront un peu d’espoir en constatant cette rupture spectaculaire avec l’insupportable « deux poids-deux mesures » auquel les puissances dominantes les ont habitués. Quant à l’Union européenne, mis à part ses brebis galeuses, la Hongrie d’Orban en tête, elle aura du mal à continuer de fermer les yeux sur les violations flagrantes et répétées aux droits humains les plus élémentaires de leur partenaire privilégié.
En France même, la porte est désormais ouverte à une relance d’un débat de fond de grande ampleur -sans tabou ni complaisance- sur les conditions d’une paix juste et durable au Proche-Orient, qui passe par une remise en cause générale et radicale de la politique de Netanyahu et de ses semblables, par tous les moyens disponibles, hormis la guerre et le terrorisme. Ce débat ne vise pas la société israélienne -il lui appartient de prendre ses responsabilités- mais des dirigeants dont la place est désormais à La Haye.
FACE À TRUMP : 5 ENJEUX MAJEURS À SUIVRE !
Donald Trump n’a pas, à proprement parler, de politique internationale établie. Selon Bertrand Badie, spécialiste reconnu des relations internationales, le nouveau Président élu est le produit d’une crise profonde qui secoue les Etats-Unis depuis le début des années 2000, lorsque l’Amérique des « classes moyennes » a découvert que la mondialisation, pourtant initiée par l’ex-« hyper-puissance », ne lui profitait pas. Trump a réussi à capter les effets de cette désillusion, en exprimant de façon exacerbée une « crispation identitaire » et une « rancoeur à l’égard de l’intrusion de nouveaux acteurs dans le système international » (1). C’est ce nationalisme et cette soif de revanche dominatrice que traduit son slogan : « Make America great again ! » Plusieurs enjeux majeurs sont, à cet égard, à suivre avec attention. Arrêtons-nous sur cinq d’entre eux.
Le Proche-Orient tout d’abord. Les guerres de Netanyahu, aussi sauvages et meurtrières soient-elles, n’arriveront pas à enterrer la cause palestinienne. L’impasse est totale, mais il manque un levier pour en sortir. Seule la pression internationale pourra changer la donne et faire hésiter Trump à nourrir l’escalade.
Le cas de l’Iran, ensuite. Téhéran a réagi avec modération à l’élection du Président américain, qui, en retour, a assuré qu’il « ne cherchait pas à nuire à l’Iran ». Q’en penser ? Israël cultive le rêve fou de bombarder les installations nucléaires de ce pays, mais a besoin, pour ce faire, de l’aide américaine. La principale question est de savoir si un nouvel accord sur le nucléaire iranien, mutuellement acceptable, pourra être envisagé.
Autre enjeu crucial : la Chine. Le ministre des Affaires étrangères de Trump, Marc Rubio, est un « faucon » qui a comparé les dirigeants chinois aux nazis et promis d’armer Taïwan. Trump saura-t-il mesurer les conséquences de ses actes ? Se contentera-t-il de mener une guerre économique à Pékin et avec quels effets en retour ? L’Europe lui emboîtera-t-elle le pas ou négociera-t-elle avec la Chine ?
Une autre question-clé est naturellement celle du « règlement en 24 heures » de la guerre russo-ukrainienne. Trump tentera-t-il d’imposer unilatéralement à l’Ukraine le renoncement au Dombass ? Dans ce cas, la soif de revanche ukrainienne risque de rendre la paix précaire. Promettra-t-il, en guise de compensation, d’ouvrir la porte de l’OTAN à Kiev ? C’est alors de Moscou que viendrait le boomerang. L’idée d’un règlement global de la sécurité européenne, avec le parrainage conjoint des pays occidentaux et du Sud global, sous l’égide de l’ONU, arrivera-t-elle à émerger ?
Précisément, l’attitude de Trump vis-à-vis de l’ONU et du multilatéralisme en général constitue un enjeu décisif. Concernant le climat, tout d’abord: tristement significatif est le profil du nouveau Secrétaire à l’énergie de Trump, Chris Wright, qui assurait il y a un an : « Il n’y a pas de crise climatique ». Le monde laissera-t-il sans réagir Washington décider à nouveau de s’exonérer de toute responsabilité en matière de lutte contre le réchauffement ? S’agissant des Nations unies, plus globalement, si Trump ose réitérer sa rhétorique de 2020 à la tribune de l’ONU : « La prospérité américaine est le fondement de la liberté et de la sécurité partout dans le monde », il faut espérer qu’un courant suffisamment fort, de citoyens sinon d’Etats, s’exprimera pour disqualifier cet unilatéralisme anachronique et promouvoir ce qu’Edgar Morin appelle si justement « la communauté de destins de toute l’humanité ».
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(1) « Entretien géopolitique » avec Pascal Boniface (4/9/2024).
TRUMP ET LA (NOUVELLE) CRISE EXISTENTIELLE DE L’EUROPE
« Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre notre destin en main » : ainsi parla Angela Merkel le 28 mai 2017 après un sommet des puissances occidentales au cours duquel les discussions entre « alliés » s’étaient déroulées de façon « très insatisfaisante » selon la Chancelière, pourtant tenue jusqu’alors pour une atlantiste inconditionnelle. Le fait nouveau portait un nom : Trump. En qualifiant l’Union européenne d’« ennemie, peut-être pire que la Chine », le nouveau Président américain avait suffisamment bouleversé les fondamentaux transatlantiques pour que soit alors évoquée une « crise existentielle » de l’Europe. Pour autant, le désarroi de ses dirigeants ne conduisit nullement ces derniers à délaisser leur suivisme de Washington pour s’engager dans un authentique multilatéralisme. « L’autonomie stratégique » demeura, pour l’essentiel, un slogan.
Il aura suffi que Joe Biden arrive au pouvoir pour éteindre toutes les velléités réformatrices des Européens : « America is back! », lança le premier; « Notre amitié transatlantique est irremplaçable » répondit sans la moindre nuance, au nom des seconds, celle qui semblait, quatre ans auparavant, décidée à rebattre les cartes de l’allégeance au protecteur américain. Tout à leur soulagement, les Européens voulurent oublier que, même débarrassée des dangereuses dérives d’un Trump, la relation UE-USA restait celle de vassaux à leur suzerain. Et, pire : que la défaite de Trump ne signifiait pas la fin du trumpisme (la politique de Biden n’y étant pas pour rien…). Plutôt que de profiter du retour de l’« amitié »euro-américaine pour tenter de négocier un partenariat à tout le moins plus équilibré et moins exclusif, l’écrasante majorité des dirigeants européens se satisfirent du retour, aussi précaire que furtif, au « confort »occidentalo-occidental.
Pendant quatre ans, ils acceptèrent au nom du moindre mal la poursuite des privilèges exorbitants du dollar et l’extraterritorialité du droit américain ; les 369 milliards de dollars de subventions promises aux industries vertes, à condition qu’elles s’installent aux Etats-Unis; la conclusion-surprise d’un partenariat stratégique avec l’Australie et la Grande Bretagne conduisant à la rupture du « contrat du siècle » pour la livraison de sous-marins français à Canberra; les pressions grandissantes pour le « partage du fardeau »des dépenses militaires de l’OTAN; le retrait unilatéral, brutal et chaotique de l’armée américaine d’Afghanistan, le soutien indéfectible de Washington à Israël dans sa guerre monstrueuse à Gaza et l’accentuation de la fragmentation du monde opposant l’Occident-modèle à un Sud global jugé non fiable, voire traité de « rival systémique ». Tout cela pour finir par le retour de Trump, plus agressif et imprévisible que jamais. Un véritable fiasco stratégique.
Nous voilà en face d’une nouvelle crise existentielle de l’Europe, car, en plus du décrochage économique et de la crise climatique, qui risquent fort de s’accentuer, l’UE subit désormais le «trumpisme » en son sein même, bien au-delà du petit dictateur hongrois. Par choix ou par opportunisme, des stratégies « Trump-compatibles » ont été mises en place avant même les élections américaines. Ainsi du projet lancé par le responsable de la politique européenne et internationale de la CDU, la puissante droite allemande proche du retour au pouvoir à Berlin : faire de la « post-fasciste » Giorgia Meloni l’architecte d’une nouvelle relation Bruxelles-Washington sous Trump ! (1) L’idée fait son chemin… Un vrai combat de civilisation en perspective !
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(1) Klaus Welle, ancien Secrétaire général du Parlement européen (le 4/11/2024 sur X)




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