Archive for décembre, 2024
2024, UNE ANNÉE NOIRE ? OUI, ET POURTANT…
Quelles traces laissera 2024 dans nos mémoires et dans l’Histoire ? Des guerres abominables au Proche-Orient et en Ukraine; de vives tensions autour de Taïwan; la prolifération, telles des épidémies contagieuses, de poussées nationalistes, racistes, xénophobes; de dirigeants politiques imprévisibles; bref, un monde de plus en plus fragmenté et privé de boussole…Une année noire, donc ? Oui, incontestablement, à voir les désastres accumulés et les lourdes incertitudes pour l’avenir. Et pourtant, cette même année fut marquée, simultanément, par nombre d’événements positifs, parfois de grande portée, que les malheurs ambiants ont tendance à reléguer au second plan, voire à plonger dans l’oubli. À l’heure du bilan, il n’est que justice d’en rappeler quelques uns.
En Amérique latine, dont l’avenir pouvait, naguère, sembler durablement bouché par l’offensive réactionnaire triomphante qu’elle a subie, voilà qu’après le retour emblématique de Lula au Brésil et l’élection historique de Gustavo Petro, en Colombie, notamment, en 2022, cette année 2024 vient d’être marquée par deux nouveaux succès exemplaires : d’abord, la victoire écrasante de Claudia Sheinbaum , première femme Présidente du Mexique – fonction dans laquelle elle succède à une autre figure progressiste, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO)-; ensuite le retour de la gauche unie au pouvoir en Uruguay, qualifié par Lula de « victoire pour toute l’Amérique latine et les Caraïbes » !
En Afrique, elle aussi durement meurtrie par des guerres, aussi dramatiques que méconnues, l’année 2024 fut, en même temps, marquée par des avancées démocratiques prometteuses. Le meilleur exemple en est sans doute l’élection inattendue du nouveau Président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, au printemps dernier. En rupture avec le vieux système de la Françafrique, porteur des exigences de souveraineté, d’égalité et de justice; nouveau symbole d’un panafricanisme de gauche, il bénéficie à ce stade de la confiance de la jeunesse, qui espère de vrais changements. On ne peut que s’en réjouir.
En Asie, 2024 a réservé de nombreuses surprises réconfortantes. Cet été, le soulèvement populaire au Bangladesh chassa l’hyper-autocratique Première Ministre et choisit Muhammad Yunus, le très respecté « banquier des pauvres », lauréat du Prix Nobel de la paix 2006, pour diriger le gouvernement intérimaire ! Cet automne, c’est au Sri Lanka que s’est produit un séisme politique avec l’élection d’un Président représentant la coalition de gauche « Pouvoir national du peuple », Anura Dissanayake ! Ces dernières semaines, enfin, c’est de Corée du Sud que nous est arrivée une bonne nouvelle : la mobilisation victorieuse des forces démocratiques contre la tentative de coup d’Etat du Président ultra-conservateur et pilier de l’alliance avec Washington, Yoon Suk Yeol. Il en résulte un nouveau renforcement de l’opposition démocrate, qui était, dès avril dernier, redevenue majoritaire au Parlement.
Si on ajoute à tous ces faits plusieurs initiatives diplomatiques particulièrement bienvenues entre la Chine et l’Australie (en juin); entre la Chine et l’Inde (en octobre), entre la Chine et le Japon (en novembre), car susceptibles d’apaiser les tensions dans cette région stratégique, on commence à affiner notre perception du bilan de l’année .
UKRAINE-RUSSIE : VERS DES NÉGOCIATIONS, ENFIN ?
Les négociations de paix en Ukraine « commenceront peut-être en hiver cette année » ! C’est le Premier ministre polonais, Donald Tusk, le plus proche allié de Kiev -et futur président du Conseil européen durant le premier semestre 2025- qui l’a annoncé le 10 décembre dernier. Poutine, de son côté, affirme que « si un souhait de négocier émerge, nous ne refuserons pas ». C’est encourageant, même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres !
Ainsi, le Président Zelensky a accompagné son accord pour un cessez-le-feu de l’exigence de voir « placer sous le parapluie de l’OTAN le territoire ukrainien que nous contrôlons ». Or, de son côté, Vladimir Poutine conditionne d’éventuels pourparlers au fait que ceux-ci se fondent « sur les documents sur lesquels on s’était entendus à Istanbul » au printemps 2022. De quel compromis russo-ukrainien s’agit-il ? Selon le quotidien allemand « Die Welt », il s’agirait d’un projet d’accord établi le 15 avril 2022 entre les deux belligérants, prévoyant, à l’époque, notamment… « une neutralité permanente » de l’Ukraine (1) .
L’autre enjeu crucial d’une telle négociation est naturellement le statut futur des territoires occupés par l’armée russe : le Dombass, voire la Crimée, reviendront-ils sous souveraineté ukrainienne ? Le réalisme de cette perspective divise désormais le « camp occidental ». Si Zelensky dit, aujourd’hui, penser pouvoir recouvrer la souveraineté ukrainienne de tous ces territoires « par la voie diplomatique », ses alliés semblent beaucoup plus dubitatifs. « On peut espérer que Trump refusera de se ranger aux exigences de Poutine (…) Mais il faut se confronter au réel », estime, par exemple un collectif d’anciens diplomates français (2). Sous-entendu : l’Ukraine ne récupérera pas les territoires conquis par Moscou.
Une telle issue n’était pas fatale ! Il faut le répéter pour contribuer à tirer les bonnes leçons de l’épouvantable tragédie que représente cette guerre- : une solution politique conforme au droit international était possible il y a plus de deux ans. Et aurait épargné des dizaines de milliers de victimes. Le Chef d’Etat-major général des armées des États Unis de l’époque, le général Mark Milley en personne, déclarait le 16 novembre 2022 : « La probabilité d’une victoire militaire ukrainienne, consistant à chasser les Russes de toute l’Ukraine (…) n’est pas élevée ». En revanche, « Il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent : c’est possible ! » (3). Le plus haut gradé des militaires américains prenait ainsi le contrepied du Chef du Pentagone, le Général Austin, dur parmi les durs, qui, quelques mois auparavant, lors d’une visite-éclair à Kiev, avait défendu la principe de l’escalade militaire : « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements et le bon soutien », avait-il lancé, ajoutant « Nous voulons voir la Russie affaiblie » (4). Joe Biden optera pour la ligne dure, les dirigeants européens également, certains même avec zèle !
Ainsi a-t-on appris que, dès le 15 avril 2002, après les premiers pourparlers russo-ukrainiens évoqués plus haut, qui visaient précisément à avancer sur la voie d’une solution politique, l’aile dure des dirigeants européens s’était mise en branle. Aux dires de Poutine, le Premier ministre britannique, Boris Johnson, se précipita à Kiev pour pousser l’exécutif ukrainien à refuser cette voie, au profit de la recherche d’une victoire militaire. Johnson a démenti cet épisode embarrassant, mais … le Chef de la délégation ukrainienne, Davyd Arakhamia, l’a confirmée (5). Même si cela ne change rien à la responsabilité russe dans l’agression contre l’Ukraine, il faudra, le moment venu, approfondir la réflexion sur tous les enchaînements qui ont marqué et marquent encore le désastre de cette guerre. Dans l’immédiat, rien ne doit compromettre le cessez-le-feu espéré.
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(1) Die Welt (mai 2024)
(2) Tribune « Guerre en Ukraine : L’affrontement sanglant doit prendre fin » (Le Monde, 9/12/2024)
(3) Ouest-France, 20/11/2022
(4) l’Orient-le Jour, 25/4/2022
(5) Conférence de presse de Davyd Arakhamia, novembre 2003
SYRIE : SOULAGEMENT…ET LOURDES INCONNUES
Comment ne pas comprendre et partager le soulagement ressenti par la plupart des Syriens, libérés de l’oppression féroce d’un tyran ! Ils espèrent enfin venu le temps de la reconstruction et de la démocratisation d’une Syrie exsangue et trop longtemps asservie . Le fait que la chute de la dynastie des Assad ait eu lieu, jusqu’ici, sans affrontements meurtriers entretient l’espoir d’une transition pacifique. L’engagement du leader de la coalition insurgée d’éviter toute vengeance et de respecter les minorités renforce encore l’impression que la promesse d’une « nouvelle ère » sera tenue. On ne peut que le souhaiter pour la population syrienne comme pour les autres peuples du Proche-Orient.
Pourtant, force est malheureusement de reconnaître que rien n’est moins sûr. D’abord, le chef islamiste du groupe rebelle HTS a beau avoir quitté la branche syrienne d’Al Qaida et adapter son discours à ses nouvelles ambitions, son lourd passé de djihadiste plaide pour une attitude très lucide et résolument vigilante à son égard. En outre, rien ne nous préserve du risque d’éclatement de la coalition hétéroclite qu’il dirige.
On ne peut s’empêcher, à cet égard, de repenser avec effroi aux tragédies afghane ou libyenne. En Afghanistan, on se remémore deux moments-clés : d’abord, lorsqu’en 1992, les différentes factions de moudjahidines se sont déchirées après leur victoire, entraînant, quatre années durant, une terrible guerre civile; ensuite, quand en 2021, les talibans se sont publiquement engagés à protéger les droits humains, avant de les violer de la pire des manières ! Concernant la Libye, qui n’a en mémoire la rapidité avec laquelle l’euphorie suscitée par l’élimination de Kadhafi, en 2011, a laissé place à l’affrontement entre deux pouvoirs rivaux et au chaos qui s’ensuivit, provoquant des dizaines de milliers de victimes et transformant le pays en un véritable enfer pour les réfugiés originaires de 41 pays ! Sans parler de l’après-Sadam Hussein en Irak…
Certes, comparaison n’est pas raison : les leçons tirées de ces précédents désastreux peuvent aider à éviter les mêmes dérives fatales. Comme l’a noté avec beaucoup de diplomatie l’émissaire des Nations unies en Syrie, Geir Pedersen: les presque 14 ans de guerre civile ont été « un chapitre noir (qui) à laissé des cicatrices ». Aussi, ajouta-t-il, faut-il regarder vers l’avenir « avec des espoirs prudents d’ouverture (…), de paix, de réconciliation, de dignité et d’inclusion pour tous les Syriens »…
Il reste à surveiller l’attitude des Etats voisins, qu’il faut empêcher de jeter de l’huile sur le feu. C’est le cas de l’Iran, qui prône pour le moment le « dialogue »…C’est le cas d’Israël qui, en plus d’occuper le Golan syrien, vient, pour « sécuriser sa frontière », de pénétrer avec des chars en territoire syrien ! Et c’est le cas de la Turquie qui, « avec le changement de donne sur le terrain, apparaît comme l’acteur majeur du moment en Syrie », souligne un chercheur américain, spécialisé dans les affaires de la région (1). Erdogan poursuit, en l’occurrence, un double objectif : favoriser toute action à même de dominer les Kurdes de Syrie -qui représentent, avec plus de deux millions de personnes, la principale minorité du pays- et profiter de la conjoncture favorable à ses ambitions hégémoniques pour renforcer le poids de la « puissance » turque dans la région. On attend enfin de voir si la Russie, en conservant ses deux bases en Syrie, adoptera une position neutre. La vigilance va de pair avec notre solidarité à l’égard du peuple syrien.
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(1) Ömer Özkizilcik, chercheur associé à l’Atlantic Council à Ankara




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