Archive for janvier, 2025

HOMMAGE À BERNARD MARIS

UNIVERSITÉ PARIS 8

INSTITUT D’ÉTUDES EUROPÉENNES 

HOMMAGE À BERNARD MARIS

7/1/2025Madame la Présidente de l’Université Paris 8,
Monsieur le Président de l’Institut d’Etudes Européennes,
Chers étudiantes et étudiants,

Chers collègues,


Comme la plupart d’entre vous, sans doute, je me souviens précisément du contexte dans lequel j’ai appris, ce 7 janvier 2015, qu’une tuerie  effroyable venait de se produire dans les locaux de Charly Hebdo. J’étais au café « le cadran Voltaire », à l’angle de la rue de la Roquette et du boulevard Voltaire, quand les nombreuses sirènes des voitures de police et des ambulances ont éveillé mon attention , tandis que circulaient les premières  informations sur la tragédie .  Suivit la terrible liste des victimes, largement connues et appréciées, que l’on fût ou non lecteur de Charly, parmi lesquelles Bernard Maris, notre ancien collègue de l’IEE…Dix ans après, le choc reste gravé dans ma mémoire. 

Il m’est naturellement arrivé plus d’une fois d’être en désaccord avec des positions défendues par Bernard Maris, mais il était de ceux qui incarnent des qualités primordiales à mes yeux : une culture interdisciplinaire qui le mettait à l’abri du discours polarisé  ; le sens critique qui incite à la réflexion et bannit le suivisme paresseux du courant dominant ; enfin -et ce ne fut pas le moindre de ses apports- une indéniable capacité pédagogique. Ce n’est pas par hasard qu’une fois établi en Ile de France, il fit le choix d’enseigner à l’IEE de Paris 8, jusqu’à sa retraite en 2013 -ce dont nous ne pouvions que nous réjouir. 

J’ajouterai qu’en prime, avec sa voix chaleureuse et son bel accent du Sud-Ouest, il savait manier l’humour, voire l’ironie mordante mais sans agressivité, ce qui n’a pu que renforcer l’impact de ses messages. Ce sont tous ces traits réunis qui ont  rendu impossible de cataloguer cet homme libre , si ce n’est comme  économiste  « keynésien » et comme « homme de gauche », ce qu’il fut indéniablement. 

Il fut un économiste reconnu, mais avait la dent dure envers ces « experts » sûrs d’eux et dominateurs qu’il fustigeait comme « gourous de l’économie » qui , disait-il, prisonniers des « lois » immuables du capital, « ne savent qu’expliquer le lendemain pourquoi ils se sont trompés la veille ». À ses yeux, il n’y avait pas d’économie qui vaille, coupée de la sociologie, de la psychologie, de l’anthropologie, autrement dit de l’humain. 

Loin d’asséner lui-même SES vérités , il avait le souci d’étayer ses thèses par le rappel ou la révélation de faits vérifiables -ce qui pouvait rendre ses répliques redoutables pour ses contradicteurs. Mieux, il savait, le cas échéant, sur la base de l’expérience, reconnaître s’être trompé . Ce fut le cas de son appréciation du traité de Maastricht puis du projet de traité constitutionnel européen , qu’il avait commencé par soutenir avant de se rendre compte que maintes  idées-force de ces textes entraient en collision avec ses critiques du néolibéralisme . 

Universitaire et écrivain , Bernard Maris fut également journaliste. Outre Charly-Hebdo, il écrivit dans une large gamme de titres, du Nouvel-Observateur au Figaro. Mais ce sont avant tout ses chroniques et ses débats sur France-Inter qui le rendirent familier au grand public. Certains de ses échanges , le vendredi matin à 8 heures moins dix, sur cette radio de grande écoute, avec Dominique Seux , du quotidien « Les Échos »,  étaient de véritables leçons de choses , à même d’aiguiser l’esprit critique des auditrices et des auditeurs. Tout en restant courtois et volontiers enjoué, Bernard Maris savait, avec des mots simples et des exemples éclairants, loin de tout pédantisme, faire apparaître une autre vision de la société que son interlocuteur. 

Comme ce jour où, invité à se prononcer sur la proposition du Premier ministre de l’époque, François Fillon, de supprimer toute limitation de la durée légale du travail, Dominique Seux s’était lancé dans une démonstration du bien-fondé de cette proposition, arguant que « toute idée nouvelle (était actuellement) la bienvenue », que « cela ne coûterait pas très cher d’augmenter de 2 ou 3 heures le temps de travail dans la fonction publique »…avant d’être coupé dans son élan par Bernard Maris : « une idée nouvelle, dites-vous ? Bonjour Guizot ! Bonjour Thiers ! »; « Une mesure qui ne coûte pas cher ? Surtout si vous augmentez la durée du travail sans augmenter les salaires. Votre idée innovante, c’est pressurer un peu plus le travail (alors que) l’histoire sociale de la France, c’est celle de la diminution de la durée du travail et de l’amélioration de la protection sociale » ! 

Un exemple de pluralisme des idées à une heure de grande écoute ! Malheureusement, moins d’un an après la mort de Bernard Maris, ces dialogues contradictoires sur les ondes publiques laissaient place à…un édito monocolore.

À tous égards, Bernard Maris nous manque.

Je vous remercie.

9 janvier 2025 at 4:39 Laisser un commentaire

ERDOGAN ET LES KURDES : DES SIGNAUX CONTRADICTOIRES 

Ce 9 janvier est, plus que tout autre jour, le moment de s’arrêter sur la cause du peuple kurde. Cela fait douze ans que trois militantes kurdes étaient froidement assassinées en plein cœur de Paris : Sakine Cansiz, Leyla Saylemez et Fidan Dogan (Rojbin).  Si l’assassin fut identifié et incarcéré -il est mort en prison avant son procès-, la justice française n’a toujours pas pu faire aboutir ses investigations sur les commanditaires du triple assassinat, que des éléments accablants situent du côté des services secrets turcs. 

On le sait : dix années plus tard, le 23 décembre 2022, un attentat contre les locaux d’une association kurde à Paris a fait trois nouvelles victimes kurdes ! Parmi elles, figurait -outre un jeune chanteur kurde, Mîr Perwer, et un autre membre de l’association, Abdurrahman Kisil- une responsable des femmes kurdes en France : Evîn Goyî, qui avait, peu de temps auparavant, courageusement combattu Daesh (le groupe « État islamique ») au Rojava, la région kurde du Nord de la Syrie. 

Rappelons que cette région, administrée par un gouvernement autonome à majorité kurde -et qui s’illustre par un pluralisme ethnique et des droits des femmes sans équivalent dans tout le Moyen-Orient- est l’objet d’une véritable obsession du Président turc. Son armée, et les milices islamistes qu’elle soutient, y multiplient depuis plusieurs années les opérations militaires à visée déstabilisatrice. La raison invoquée est que les combattantes et les combattants kurdes du Rojava sont affiliés au PKK, dont relèverait également l’opposition kurde au pouvoir d’Erdogan en Turquie. Couper à tout prix les liens de solidarité entre les Kurdes des deux pays est sa priorité absolue. 

C’est dans ce contexte qu’il faut tenter de comprendre les récentes initiatives, apparemment contradictoires, des autorités turques envers les Kurdes des deux pays.

 En Syrie, le pouvoir turc compte sur les milices islamistes dites « Armée nationale syrienne »-créées par la Turquie en 2017 et qui sont désormais alliées au nouveau pouvoir de Damas- pour renforcer sa guerre contre l’administration kurde du Rojava et, si possible, éliminer celle-ci aux frontières de la Turquie. 

En Turquie, il souffle le chaud et le froid en direction des Kurdes du parti DEM (Ex-HDP) seule formation politique progressiste du Parlement d’Ankara. D’un côté, il destituait il y a quelques semaines plusieurs maires, membres éminents de ce parti, qu’il soupçonnait d’avoir des liens avec le PKK. De l’autre, il a autorisé -pour la première fois depuis 10 ans- deux députés du même parti DEM à rendre visite au chef du PKK, Abdullah Öçalan, emprisonné depuis un quart de siècle. Rappelons qu’il y a 12 ans, le PKK avait cessé le feu en vue d’obtenir un processus de négociation pour une résolution politique du conflit turco-kurde. Mais Erdogan avait vite répondu par la répression puis déclara une « guerre totale » contre les Kurdes.

Que veut vraiment Erdogan aujourd’hui en évoquant une « main tendue » ? Agite-t-il, comme chaque fois qu’il est en difficulté, une promesse sans suite dans l’espoir de diviser les Kurdes ? Ou tire-t-il enfin de son expérience la conclusion qu’une solution politique équitable est le seul moyen de sortir par le haut de la crise entre son pouvoir et le peuple kurde ? C’est ce que veut croire Öçalan , décidé à « apporter une contribution positive au nouveau paradigme » lancé par le pouvoir. Tous les amis des Kurdes souhaitent qu’il en soit ainsi. La suite des événements nous dira ce qu’il en est. 

9 janvier 2025 at 4:36 Laisser un commentaire

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