Archive for février, 2025
ALLEMAGNE : APRES L’ALERTE BRUNE, LE SURSAUT ?
Revenons sur l’inquiétante alerte brune qui vient de secouer l’Allemagne : le 29 janvier dernier , Friedrich Merz, chef du principal parti de droite, la CDU, et grand favori des élections législatives allemandes du 23 février prochain, brise un tabou emblématique en faisant adopter au Bundestag une résolution scélérate contre l’immigration grâce aux voix de l’extrême-droite, deux jours après la commémoration du 80 ème anniversaire de la libération du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau ! Cette motion, certes non contraignante, précisait les mesures jusqu’au boutistes que le probable futur Chancelier entendait appliquer dès son élection : en particulier, le refoulement systématique de tous les arrivants en situation irrégulière, y compris les demandeurs d’asile -ce qui est contraire au droit tant européen qu’international. Il espérait, expliquera-t-il, se mettre ainsi à la hauteur de l’émotion suscitée dans l’opinion suite à trois drames impliquant des étrangers…Notons que pour parvenir à ce résultat, le leader de la droite avait rassemblé, outre les voix de son propre groupe, celles du parti libéral, le FDP. À ce bloc de droite s’est donc ajouté celui de l’AfD, le tout aboutissant à une majorité contre nature.
La suite mérite toute notre attention. A gauche, comme on s’attendait, cette compromission sans précédent en Allemagne (droite et extrême-droite mêlant leurs voix) a suscité un tollé et des manifestations de masse ont eu lieu dans plusieurs villes du pays pour dénoncer le « danger fasciste ». Mais des remous ont également secoué la droite, y compris au sein de la CDU, où des voix se sont élevées contre l’irresponsabilité du candidat à la Chancellerie . Ainsi, Angela Merkel -que Merz a toujours jugée trop « centriste »- est sortie de sa retraite pour fustiger la « faute politique » du favori des élections, issu de son propre parti, en lui rappelant l’engagement qu’il avait pris en novembre dernier, de faire en sorte d’éviter « fût-ce une seule fois » qu’une majorité ne soit obtenue au Parlement avec les voix de l’AfD !
Friedrich Merz ne tint aucun compte de cette admonestation inédite et tenta, dès le lendemain, de récidiver pour faire adopter non plus une simple résolution, mais carrément une proposition de loi prévoyant de restreindre immédiatement les rapprochements familiaux, de faciliter la mise en détention des étrangers sans papiers et de renforcer les pouvoirs de la police. Au Parlement, seule la gauche et les Verts appelèrent à voter contre. Des Présidents de région exprimèrent leur opposition. Par ailleurs -fait rarissime- les Églises catholique et évangélique dénoncèrent, dans une lettre commune adressée aux parlementaires, les mesures envisagées. Et, cette-fois ci, à la surprise générale, malgré le soutien explicite de la CDU, des Libéraux et, y compris, du groupe populiste de Sahra Wagenknecht, l’ex-coresponsable du groupe de « Die Linke » qui veut « dynamiter le système politique », le texte fut rejeté, marquant un sérieux revers pour son auteur et ses auxiliaires.
Quels effets ce séisme politique et ses répliques auront-ils sur le débat citoyen et le vote du 23 février ? L’opinion publique allemande s’en saisira-t-elle en profondeur ? L’idée prévaudra-t-elle que la surenchère anti-migrants, d’où qu’elle vienne, ne fait que renforcer l’AfD ? Le terrible précédent autrichien -où, à force de collaboration de la droite avec l’extrême-droite, le représentant d’un parti fondé par d’anciens nazis est tout près de devenir Chancelier !- provoquera-t-il le sursaut espéré ? L’enjeu concerne toute l’Europe.
TRUMP EST TOXIQUE ET DANGEREUX, MAIS PAS TOUT-PUISSANT !
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les dirigeants européens se cherchent. Certains jouent ouvertement, derrière Giorgia Melini, la carte du ralliement au nouveau maître. Les autres jurent de défendre l’Europe, mais en réalité, tétanisés face à cette nouvelle donne, plusieurs d’entre eux, et non des moindres, sont en train de céder aux injonctions de Washington. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’était d’emblée prononcée en faveur d’une augmentation significative des achats auprès des Etats-Unis, pour tenter de satisfaire à l’une des revendications du Président américain . Le Premier ministre polonais Donald Tusk, qui préside le Conseil européen durant le premier semestre 2025, fait du trumpisme-soft . À la stupéfaction d’observateurs même de droite, il vient de multiplier les sorties contre le Pacte vert -une des rares orientations positives de l’UE- , s’est lancé dans une surenchère caricaturale contre l’immigration -allant jusqu’à suspendre le droit d’asile dans son propre pays !- et demande à chacun de nos pays de porter les dépenses d’armement à…5% des richesses produites, soit une augmentation de 150% par rapport aux normes envisagées par l’OTAN elle-même jusqu’ici : exactement ce que réclame Trump comme prix de son éventuel soutien en cas d’agression ! Quant à la Présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, elle compte carrément sur le retour de Trump pour faire sortir l’Europe de sa « paresse » et de sa « bureaucratie » !
Avec ce concours d’ « approches pragmatiques »(Von der Leyen), on est loin, très loin d’une stratégie cohérente dictée par une claire conscience de la nature hyper-toxique et dangereuse de l’ère Trump qui s’annonce, mais non prisonnière du sentiment paralysant d’avoir à faire face à un pouvoir tout-puissant. Trump cherche à faire peur pour faire céder. Plus il aura l’impression de semer la panique ou d’arracher des concessions, plus il se sentira encouragé dans sa fuite en avant. Ainsi, les ahurissantes velléités impérialistes du Président américain -depuis le Groenland ou le canal du Panama qu’il entend s’approprier jusqu’à Gaza qu’il prétend vider de ses habitants !- devraient provoquer une levée de bouclier beaucoup plus radicale de la part de l’Europe, sans quoi, les pressions ne cesseront de s’accentuer. De même, la décision de sortir le principal pays pollueur (par habitant) de l’Accord de Paris sur le climat devrait entraîner une contre-offensive résolue des pays européens, aux côtés de tous les Etats attachés à ce combat vital ainsi que des Etats fédérés des Etats-Unis opposés à la politique irresponsable de Washington. Quant à la guerre économique et technologique sans merci qui s’annonce de la part des États-Unis à l’heure de l’intelligence artificielle, elle ne devrait pas être vue comme une fatalité face à laquelle le monde serait démuni. A notre époque, les interdépendances sont telles que même les Etats-Unis de Trump et de Musk ne font plus ce qu’ils veulent. Plutôt que de chercher l’issue à ce défi « existentiel » (Lagarde) dans la course à la « compétitivité », à l’ « Union des marchés de capitaux » et à la «débureaucratisation » (lisez : la déréglementation), ces enjeux de civilisation appellent une mobilisation inédite et sans œillères des forces favorables au multilatéralisme, conscientes qu’elles sont qu’une guerre économique ne fait que des perdants. L’Europe devrait ouvrir dans cet esprit des discussions stratégiques avec la Chine et d’autres cibles de la stratégie de Trump. Mais qui, dans l’UE actuelle, aura-t-il ou elle la lucidité et le courage de lancer , autrement qu’en parole, ce virage salutaire ?




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