Archive for juin, 2025
TORPILLES CONTRE LE DROIT, LA DIPLOMATIE ET LA PAIX
« C’est une menace directe à la paix et à la sécurité du monde » : Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies s’est exprimé clairement aussitôt après les raids scélérats de Trump -devenu l’obligé de Netanyahou- sur les principaux sites nucléaires iraniens. Pour la Présidente du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Suissesse Mirjana Spoljaric, l’escalade militaire au Moyen-Orient « risque de plonger la région -et le monde- dans une guerre aux conséquences irréversibles. (Or) Le monde ne peut pas absorber une guerre illimitée » ! Le cri d’alarme des organisations internationales fut d’emblée d’une clarté aveuglante.
A l’opposé , l’Histoire retiendra de ces journées noires, que les principales puissances occidentales ont, soit, comme les Etats-Unis, directement contribué à réaliser le rêve funeste du criminel de guerre israélien, soit, comme l’Europe, scandaleusement validé sa « guerre préventive » aux conséquences incalculables. On n’oubliera pas les propos honteux du Chancelier allemand remerciant Netanyahou d’avoir « fait le sale boulot à notre place », ou du Président français soulignant que les frappes israéliennes sur l’Iran (pourtant clairement reconnues par notre ancien ambassadeur à l’ONU, Gérard Araud, comme une « violation grossière du droit international » ) « ont des effets qui vont dans le sens recherché » (!), ou bien du Premier Ministre britannique reconnaissant aux Etats-Unis le mérite d’avoir « pris des mesures pour atténuer la menace » nucléaire Iranienne, ou encore de la Présidente de la Commission européenne répétant, à propos de l’attaque de Netanyahou contre l’Iran, l’antienne du « droit d’Israël à se défendre »…
Le fait que le régime iranien soit obscurantiste, théocratique et dictatorial ne légitime en rien l’ode netanyaho-trumpiste à la « paix par la force », au mépris du droit international et au prix du torpillage de négociations en cours . Pas plus à Téhéran qu’à Bagdad ou à Tripoli, on n’exporte la démocratie par la guerre ! Loin de libérer le peuple iranien de ses tyrans, la pluie de missiles israéliens avait tué des civils iraniens par centaines avant même l’entrée en guerre de Washington ! Désormais, l’angoisse du lendemain des habitants de Téhéran est à son comble. Il n’y a donc ni de « mais » ni de « si » : la guerre israélo-américaine est une faute impardonnable au regard du droit, de la diplomatie et de la paix.
L’Europe devrait être la première à défendre cette position, elle qui avait, en coopération avec le Président Obama, travaillé avec succès à « l’Accord de Vienne » en 2015, obtenant du même régime iranien l’engagement de respecter des normes d’enrichissement de l’uranium rendant impossible la fabrication d’une bombe atomique. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) était autorisée à effectuer les contrôles nécessaires et avait confirmé le plein respect de ces limites par les autorités du pays. En retour, les sanctions économiques frappant durement l’Iran devaient être levées. Trump, déjà lui, en décida autrement en 2018, en jetant unilatéralement l’accord aux orties. L’Europe s’est, dans les faits, résignée. Et voilà la guerre. Quelle terrible leçon !
IRRESPONSABILITÉ CRIMINELLE
« Toute négociation repose sur la volonté politique. Or, en l’occurrence, elle existe des deux côtés (…) L’Iran a vraiment besoin d’un accord et (…) le Président (Trump) comprend que l’absence d’accord risquerait d’entraîner les Etats-Unis dans un autre conflit au Moyen-Orient -ce qu’il veut absolument éviter. C’est pourquoi je pense qu’il y a de fortes chances pour qu’ une sorte d’accord-cadre soit conclu » (1) : telle fut, le 6 juin dernier, l’analyse de l’un des plus fins connaisseurs du dossier nucléaire iranien, soit une semaine avant l’attaque militaire massive d’une ampleur et d’une violence sans précédent lancée par l’armée israélienne contre l’Iran. Tout s’est passé comme si Netanyahu avait précipité « sa » guerre contre l’Iran, préparée de longue date, de peur d’être court-circuité par un règlement du dossier nucléaire iranien par la voie diplomatique, d’autant qu’un rendez-vous (américano-iranien) décisif était fixé deux jours plus tard à Oman !
Pourquoi, dès lors, Trump a-t-il finalement accepté que son proche allié israélien saborde les négociations en cours ? Sans doute qu’en adepte de « la paix par la force », n’a-t-il pas voulu être en reste face à l’ultra-belliciste Netanyahu, invoquant l’efficacité d’une « frappe préventive » pour écarter définitivement une « menace existentielle »…En tout état de cause, l’existence d’une chance sérieuse de solution politique à cette menace rend l’agression israélienne contre l’Iran foncièrement inacceptable. Banaliser dans ces conditions cette attaque unilatérale au nom du « droit d’Israël à se défendre », comme Emmanuel Macron s’est abaissé à le faire, est hallucinant.
En fait, ce que vise le leader israélien est de faire tomber le régime de Téhéran. Or, aussi exécrable et hideux que soit ce pouvoir, tenter de l’abattre par la guerre est non seulement un projet inacceptable, mais d’une irresponsabilité criminelle. Les assaillants exposent -en plus du peuple iranien, toutes opinions confondues- les peuples de tout le Moyen-Orient (israélien compris) aux effets en cascade de l’incendie qu’ils sont en train d’allumer : que le régime islamiste, acculé, pilonne les bases militaires américaines du Golfe ou bloque le détroit d’Ormuz -où transite un quart des hydrocarbures du monde-, voire renoue avec la pratique des attentats, et les inévitables représailles qui s’ensuivraient risqueraient d’embraser la région et au-delà ! Aux yeux de Netanyahu, c’est peut-être le prix à payer pour que le monde oublie la destruction et la « reconquête » de Gaza, le blocus total des villes palestiniennes de Cisjordanie -qu’il vient d’annoncer-, la colonisation de Jérusalem-Est et le dynamitage des projets de reconnaissance de l’Etat de Palestine ! Et en prime, il pourrait échapper à la défaite électorale et à la prison…Valider, sans le dire, ce calcul cynique et cruel déshonore ceux qui font hypocritement ce choix. Nous n’en serons pas.
——
(1) Voir, dans « Grand Continent » du 6/6/2025, l’interview d’ Ali Vaez, directeur du projet IRAN de Crisis Group. Ali Vaez avait contribué au succès des négociations de l’accord historique sur le nucléaire iranien de 2015 (que Donald Trump torpillera en 2018).
ISRAËL-PALESTINE : QUAND LE PASSÉ ÉCLAIRE LE PRÉSENT
Rendons hommage à la Chaîne parlementaire (LCP) et à Jean-Pierre Gratien pour avoir, ce 5 juin, consacré un « Débatdoc » à l’indicible massacre des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et de Chatila, au Liban(1). Est-ce vraiment le moment de revenir sur une tragédie de 1982 ? Hélas, oui car , en l’occurrence, le passé éclaire le présent…
Rappelons les faits. Nous sommes il y a 43 ans. Il n’existe alors ni Hezbollah ni Hamas. C’est le Fatah de Yasser Arafat que Sharon, alors ministre israélien de la défense, veut éradiquer. Le Chef de l’OLP et ses combattants sont retranchés à Beyrouth-Ouest. L’armée israélienne envahit le Sud-Liban en janvier, puis Beyrouth en septembre, avec la bénédiction des milices libanaises de droite, rassemblées dans les « Forces libanaises » (FL) sous la direction de Bachir Gemayel, élu Président du Liban en pleine guerre civile : un personnage aussi inféodé à Israël que violemment anti-Palestiniens. « C’est la première fois qu’une capitale arabe était occupée ! C’était un traumatisme pour tout le monde arabe », se souvient le Directeur de « L’Orient-le-Jour ». Les objectifs communs à Sharon et aux FL : détruire l’OLP et tuer Arafat et les « terroristes » qui le suivent.
Défavorables à cette issue, Washington, Paris et Rome obtiennent l’évacuation des combattants palestiniens et de leur Chef vers Tunis ainsi que la « garantie » de la vie sauve pour les civils palestiniens , réfugiés dans les camps. Une fois Beyrouth vidé de la résistance militaire, l’armée israélienne, prenant prétexte de l’assassinat de son proche allié, Béchir Gemayel -alors qu’aucun Palestinien n’est impliqué dans cet acte- , imposera le couvre-feu, encerclera les deux camps de réfugiés, laissera pénétrer la milice phalangiste et, durant cinq jours et quatre nuits, massacrer par familles entières hommes, femmes et enfants par centaines, jusqu’à des bébés dans leur berceau. L’armée israélienne aidera même ses supplétifs à perpétrer leurs exactions en déployant de puissantes fusées éclairantes pendant les quatre nuits en question. « Les Israéliens contrôlaient tout; ils avaient tous les moyens de tout arrêter » soulignent deux experts sur le plateau de LCP (2).
Le résultat de ce carnage est effroyable. Le documentaire montre un journaliste tétanisé et submergé par l’émotion devant l’horreur inimaginable qu’il vient de découvrir. Le Hezbollah naîtra de l’expérience de cette sauvagerie et tissera des alliances avec l’Iran et la Syrie…Non seulement le recours à la force la plus barbare n’aura pas « éradiqué » les combattants, mais il aura puissamment contribué à leur radicalisation : une leçon élémentaire dont les responsables du génocide du peuple de Gaza ne veulent toujours pas admettre l’évidence. « Il est absurde d’imaginer faire disparaître un peuple ou une idéologie par les armes ! On peut sortir du cycle de la violence dans un processus politique à condition de voir que la racine des problèmes est l’occupation », rappelèrent les deux invités. Puisse cette vérité de base être enfin reconnue tant par la société israélienne que par les alliés occidentaux d’Israël !
À cet égard, rappelons qu’après l’horreur de Sabra et Chatila, des manifestations de masse, rassemblant jusqu’à 400 000 à 500 000 personnes en Israël ont permis d’obtenir une Commission d’enquête dont les conclusions conduisirent à la démission de Sharon. Aujourd’hui, des prémices d’un sursaut moral existent, certes, en Israël, et nous exprimons à leurs auteurs toute notre solidarité. Mais ce ne sont encore que des prémices. Quant à l’Occident, s’il se mobilisa à l’époque, à tout le moins pour permettre le départ de l’OLP de Beyrouth, il a, aujourd’hui, sauf exceptions, choisi la connivence contre la conscience et l’impunité contre le droit international. Il revient aux citoyennes et aux citoyens de relever le défi de la mobilisation solidaire en faveur d’une paix juste et durable, tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens.
———-
(1) Le réalisateur du documentaire est Nicolas Jallot (2023)
(2) Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO (Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient) et Ziad Majed, professeur à l’Université américaine de Paris.




Commentaires récents