Archive for juillet, 2025

LA « MENACE RUSSE » : UN ALARMISME DÉLÉTÈRE 

« La Russie est devenue une menace pour la France et pour l’Europe »; « Strasbourg-l’Ukraine, c’est à peu près 1500 km, ce n’est pas très loin »; « Jamais, sans doute, depuis 1945, la liberté n’avait été si menacée » : depuis plusieurs mois, le Président de la République donne le ton. Le Chef d’Etat-major des armées en personne -qui ne s’était jamais exprimé en public depuis le début de la guerre russo-ukrainienne- a eu la consigne de surenchérir : « Le Kremlin a fait de la France une cible prioritaire » a-t-il assuré, sans que l’on puisse trouver de déclaration de Poutine en ce sens. La revue nationale stratégique 2025, publiée le 14 juillet dernier, a enfoncé le clou : « Nous entrons dans une nouvelle ère, celle d’un risque particulièrement élevé d’une guerre majeure de haute intensité (qui) impliquerait la France et ses alliés, en particulier en Europe, à l’horizon 2030 » ! 

Il est fini, le temps où le ministre français des armées, Sébastien Lecornu, lui-même,  démentait les annonces catastrophistes au sujet d’un risque d’attaque russe contre l’OTAN d’ici 5 ans : « Nos services de renseignement ne disent pas cela » assurait-il le 9 mars dernier, jugeant  « absurde » de manifester une « forme de fébrilité » . Désormais, il faut une sacrée indépendance d’esprit sinon un certain courage pour oser  se démarquer de l’alarmisme des dirigeants français et européens. Or, résister à cette dérive est essentiel car il n’y a rien de plus dangereux que d’insuffler un climat de guerre dans une Europe en crise profonde. Gare aux prophéties auto-réalisatrices !

Parlons-donc clairement. Oui, hélas, Poutine a montré jusqu’où peut le conduire son nationalisme « grand russe » envers un pays proche devenu hostile comme l’Ukraine ! Non, il ne faut pas entériner les annexions de territoires ukrainiens acquis par l’agression militaire russe. Notre boussole, ici comme ailleurs, doit être le droit international. Quiconque, sans exception, le viole de manière particulièrement grave et répétée mérite d’être sanctionné. Mais, dans le même temps, s’impose la recherche d’une solution politique du conflit prenant en considération le contexte historique de celui-ci et s’inscrivant dans une perspective à long terme. Cela s’appelle la diplomatie.

Or, qu’a fait l’Union européenne jusqu’ici face à cette guerre en plein cœur de notre continent ? Elle a livré des armes aux Ukrainiens, de plus en plus d’armes, sans aucune initiative diplomatique significative, comme pourrait l’être l’ouverture de discussions sur les conditions d’une sécurité internationale durable avec d’autres pays que ceux étroitement liés à l’Occident. Est-ce l’amer et déroutant constat de l’impasse de cette stratégie qui conduit la France et la plupart des gouvernements européens à cette fuite en avant à la fois militaire et idéologique : la course folle aux armements et son corollaire, un alarmisme délétère ? 

Disons-le tout net : parallèlement aux sanctions légitimes contre Moscou, il est indispensable de parler, non seulement avec les grands acteurs de la scène internationale -Chinois, Indiens, Brésiliens, Sud-Africains…- mais avec les dirigeants de la Russie eux-mêmes. Qu’on le veuille ou non, nous partageons le continent européen avec ce grand pays. La reconstruction en commun d’une architecture de sécurité paneuropéenne est un impératif catégorique. Attendre la fin des hostilités pour y réfléchir et y travailler, c’est rendre la recherche d’une issue encore plus difficile et la future paix plus fragile. En Allemagne, en Espagne, notamment, des voix s’élèvent aussi pour promouvoir un nouveau cours: rejoignons-nous ! 

25 juillet 2025 at 6:39 Laisser un commentaire

14 JUILLET 2015 : RETOUR SUR UN ACCORD DE PAIX EXEMPLAIRE 

La « guerre préventive » d’Israël contre les sites nucléaires iraniens et les assassinats ciblés de scientifiques iraniens, complétés par les super-bombes américaines, ont-ils mis fin au programme nucléaire de Téhéran ? La plupart des experts en doutent. A l’inverse, cette folle aventure militaire coûte très cher au peuple iranien : outre les centaines de victimes civiles de l’agression israélienne, elle a entraîné une vague de répression du régime contre ses opposants sous couvert de chasse aux espions. Les seules frappes israéliennes sur la (tristement célèbre) prison d’Evin ont coûté la vie à 71 personnes parmi lesquelles nombre de détenus politiques, de proches en visite, de gardiens respectés. Elles ont « fragilisé la lutte des dissidents » note « L’Orient-le Jour ». S’ajoutent à ce désastre le projet de l’Iran de refuser désormais les contrôles de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, voire de se retirer du Traité de Non-Prolifération nucléaire (qui entraînerait la fin définitive des contrôles internationaux), ainsi que la certitude, selon des spécialistes de la région,  que  cette guerre va « alimenter au Moyen-Orient la haine de l’Occident et le désir de vengeance » (1). Un chaos qui tranche tragiquement avec le résultat prometteur obtenu il y a tout juste 10 ans grâce à un accord de paix exemplaire conclu entre la communauté internationale et l’Iran : l’emblématique Accord de Vienne. Retour sur ce succès historique, torpillé par Trump 1 en 2018, avec les conséquences que l’on sait. 

Tout avait commencé, en 2002, par des révélations sur la construction clandestine d’un site d’enrichissement de l’uranium en Iran. Le pays se préparerait-il à se doter de l’arme atomique ? La France, l’Allemagne et la Grande Bretagne prirent ensemble la bonne initiative d’engager, à partir de 2003, des négociations avec Téhéran. Ils furent rejoints en 2006 par les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ainsi que par l’Union européenne comme telle. Cette coalition exceptionnelle travailla en relation étroite avec l’AIEA. Les bases de la négociation étaient, en principe, claires (même si la France en eut une lecture volontiers plus exigeante que d’autres) : dès lors que l’Iran, signataire du Traité de Non Prolifération nucléaire (TNP), respecte les règles de celui-ci -qui interdisent l’usage militaire mais autorisent l’usage civil du nucléaire sous la supervision de l’AIEA- le pays échappera aux sanctions économiques internationales et pourra trouver sa place dans les relations  internationales (2).

 La structure très particulière du pouvoir iranien -celui, archi-dominant, du « Guide », celui des inflexibles « gardiens de la révolution », mais aussi celui du Président élu, auquel le guide peut laisser une certaine marge de manœuvre en fonction des rapports de force dans le pays- n’a pas simplifié les pourparlers. Après 10 années de langage de sourds sans  résultats concluants -malgré l’application de sanctions internationales de plus en plus sévères à l’économie Iranienne- la situation se débloqua en 2013, après l’élection d’un Président iranien « modéré » : Hassan Rohani. Celui-ci dépêcha à Genève puis à Vienne des négociateurs brillants, avec un mandat réaliste : obtenir la levée des sanctions contre l’acceptation d’une limitation stricte du nombre de centrifugeuses et du niveau d’enrichissement de l’uranium ainsi que d’un contrôle international conséquent. L’AIEA confirma le plein respect de ces engagements. Un pari historique était gagné. 

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(1) Robert Malley, ancien négociateur américain de l’accord de Vienne de 2015, éminent spécialiste du Moyen-Orient (in « Le Monde » , 25/6/2025)

(2) Israël est la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient. Elle n’a pas signé le TNP et ne fait donc l’objet d’aucun contrôle de l’AIEA

10 juillet 2025 at 1:42 Laisser un commentaire

SOUMISSION, COLLUSION, MILITARISATION : L’EUROPE S’ENFONCE

L’Union européenne n’a jamais brillé par son indépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis ni par son courage politique à l’égard des proches alliés de l’Occident, fussent-ils éminemment blâmables, ni par sa résistance aux injonctions de l’OTAN. Depuis plusieurs années -l’élargissement à l’Est aidant- la tendance à l’alignement systématique sur Washington, à l’impunité absolue garantie à Israël, à la militarisation accélérée de l’Europe n’a fait que s’accentuer. La riposte à l’agression russe contre l’Ukraine, devenue l’axe stratégique quasi-unique de l’UE, a servi de justification et d’amplificateur à ces dérives. 

Aujourd’hui, un cap sans précédent vient d’être franchi dans cette régression, l’Europe renonçant ouvertement à sa raison d’être d’ actrice autonome dans les relations internationales. Trois repères d’une gravité inédite viennent d’illustrer quasi-simultanément ce point de  bascule.

Le premier est le stupéfiant « accueil » réservé le 25 juin dernier par le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte, au Président américain. Avec le consentement des 32 États membres de l’alliance militaire transatlantique -dont 23 des 27 pays de l’Union européenne- l’ex-Premier ministre des Pays-Bas a usé à l’égard de Trump d’une flagornerie d’une indécence  jamais vue en Europe, jusqu’à l’appeler « Daddy », tel un enfant s’adressant à son papa ! Une soumission aussi humiliante reflète non une relation d’alliés à allié, mais un rapport de vassaux  à leur suzerain sinon de valets à leur maître. C’est une abdication publique de toute souveraineté au sein de « l’espace euro-atlantique ». 

Le deuxième moment-charnière qui vient de confirmer cette descente aux enfers de l’action extérieure de l’UE est le blocage, officiellement constaté le 27 juin dernier, du projet de suspension de l’accord d’association qui lie l’Union européenne à Israël . Déjà aura-t-il fallu plus d’un mois d’investigations au « Service européen pour l’action extérieure » pour savoir si Israël violait ou non les droits de l’homme ! Le rapport issu de cette enquête ayant (quand  même)  conclu que oui, il revenait aux 27 gouvernements de décider ou non la suspension de l’accord d’association (qui exige expressément, en son article 2, le respect des droits humains). Les 56 000 morts de Gaza, les 400 Palestiniens tués de sang froid par les soldats israéliens ces derniers jours lors des distributions d’aide alimentaire, toutes les formes de la barbarie illustrant le génocide en cours -et même les révélations bouleversantes de militaires israéliens régulièrement publiées dans le « Haaretz » sur les ordres reçus de tuer des innocents- n’auront pas suffi pour convaincre une « majorité qualifiée » de gouvernements européens qu’il était temps d’en finir avec la totale impunité accordée jusqu’ici à ce pouvoir hors-la-loi ! Cela s’appelle de la collusion avec des criminels.

Enfin, il y a la folle décision collective prise sans barguigner par les États membres de l’OTAN  (à la notable exception du Chef du gouvernement espagnol), le 25 juin, de rehausser de 150%, en l’espace d’une décennie, la part des richesses créées consacrée aux dépenses d’armements,  comme prix de l’allégeance à Trump (et à ses marchands d’armes) ! Les congratulations adressées à ce propos par le secrétaire général de l’OTAN à Trump laissent pantois : « L’Europe va payer un prix ÉNORME pour sa défense. Et ce sera votre victoire » (1). Soumission, collusion, militarisation : l’Europe s’enfonce.

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(1) Voir Humanité du 25/6/2025 , Bruno Odent :  « Trump dicte, l’Europe exécute »

3 juillet 2025 at 9:28 Laisser un commentaire


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