Archive for octobre, 2025
NE LAISSONS PAS INVISIBILISER LES KURDES !
Cela fait huit mois que le leader kurde, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 26 ans sur l’île d’Imrali, a demandé aux combattants et combattantes de son mouvement de déposer les armes et de dissoudre l’organisation qu’il a fondée en 1978 : le PKK. Deux mois plus tard, ce fut chose faite. Ses forces viennent d’ailleurs d’annoncer leur départ pour le Nord de l’Irak. Une page se tourne, mettant fin aux affrontements sanglants entre les forces du pouvoir et la guérilla qui ont endeuillé le pays durant quatre décennies. Désormais, c’est par la lutte exclusivement politique que sera défendue l’exigence de la reconnaissance des droits politiques et culturels des quelque 15 millions de Kurdes de Turquie.
On était en droit d’attendre des autorités turques qu’elles saisissent la main qui leur était tendue en produisant des actes significatifs ouvrant la voie à un processus de paix digne de ce nom. À ce stade, il n’en est rien : Öcalan est maintenu dans son isolement; des dirigeants du parti progressiste pro-kurdes HDP (aujourd’hui DEM) -comme Selahattin Demirtas, démocrate convaincu et totalement innocent- restent en prison ! Il en va de même de nombre d’élus, de journalistes, d’avocats, de militantes et de militants des droits humains, et, plus généralement, des opposants à Erdogan, comme le maire d’Istanbul, du parti social-démocrate CHP. Nombre de maires kurdes arbitrairement destitués restent empêchés d’exercer leur mandat…Certes, une « Commission de la solidarité nationale » a été créée au Parlement pour élaborer un cadre légal pour le processus de paix , mais on attend toujours des mesures concrètes, en particulièrement en matière de reconnaissance des droits culturels des Kurdes ou de réintégration des combattants. Plus le temps passe, plus la défiance l’emporte sur l’espoir. Erdogan joue avec le feu.
Le Président turc ne se contente pas de mettre en péril une chance historique de paix civile dans son pays, il exerce son influence toxique sur ses alliés islamistes au pouvoir en Syrie pour y contrer les intérêts des Kurdes syriens. Et ce alors que les autorités kurdes mènent de difficiles négociations avec Damas concernant le respect de leurs acquis obtenus par 15 ans d’engagement courageux, tant contre le régime de Bachar el-Assad que contre les terroristes de Daesh, qu’ils ont grandement contribué à vaincre.
Ils entendent conserver une relative autonomie de leur région, le Rojava; obtenir la garantie des droits de toutes les composantes de la société syrienne; défendre l’égalité des genres, qui est une de leurs conquêtes essentielles…Or, Damas exige le monopole du pouvoir et des richesses et ne réserve, dans l’assemblée populaire de transition, que 4 sièges sur 191 aux Kurdes (et 6 sièges à des femmes !), au point que l’envoyée spéciale de l’ONU en Syrie a souligné devant le Conseil de sécurité des Nations unies « le risque de marginalisation de groupes sociaux-clés qui ont contribué à mettre fin à la dictature » !
C’est dans ce contexte qu’Erdogan entend éviter toute résonance internationale de la cause kurde afin de garder les mains libres. Ainsi, il a, par des pressions sur ses alliés du pouvoir syrien, torpillé des pourparlers entre le gouvernement syrien et les représentants kurdes, prévus à Paris en présence de représentants des Etats-Unis et de la France, comme garants de l’ accord espéré. Face à ces nouveaux défis, ne laissons pas invisibiliser les Kurdes !
« LA PAIX PAR LA FORCE » (TRUMP) OU PAR LE DROIT (ONU) ?
Ce 24 octobre, cela fait 80 ans qu’a été ratifiée la Charte des Nations unies instituant l’ONU. Les premiers mots de ce texte historique rédigé en 1945 illustrent à eux seuls son actualité : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre (…), à proclamer notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes ainsi que des nations, grandes ou petites »…C’est, en réalité, dès octobre 1943, dans le fracas des bombes, que les Alliés américains, britanniques et soviétiques avaient prévu, à la Conférence de Moscou, de fonder, après la victoire sur le nazisme et le fascisme, une organisation universelle « pour la sauvegarde de la paix ». Aujourd’hui, alors que nous vivons une période de vives tensions internationales et de nouvelle course aux armements, que les violations des principes de la Charte sont légion, et que tend à s’imposer, de Washington à Moscou, en passant par Tel-Aviv, l’implacable loi du plus fort, il est grand temps d’ouvrir un débat de fond sur la place et le rôle des Nations unies.
Il est, en effet, de bon ton d’épiloguer sur l’ « impuissance » et « l’inefficacité » de l’ONU qui serait « décalée » par rapport au monde réel de notre temps… Gardons-nous de jouer, à notre corps défendant, le jeu des adversaires de tout multilatéralisme, tel un Trump qui se targue de ne jamais céder la souveraineté des Etats-Unis « à une bureaucratie mondiale non élue », et qui, en conséquence, asphyxie financièrement l’ONU et quitte l’Organisation mondiale de la santé, tout comme l’UNESCO ! Si le Conseil de sécurité n’empêche effectivement plus certaines guerres, c’est que ses États membres les plus puissants se chargent eux-mêmes de le paralyser. C’est sur eux que doivent s’exercer les pressions, non sur la seule institution universelle, dont la Charte est une référence mondiale, dont l’Assemblée générale est seule à réunir, à égalité, toutes « les nations, grandes et petites » et dont les nombreuses agences spécialisées apportent une aide vitale à des centaines de millions d’humains dans tous les domaines de la vie (alimentation, santé, climat, éducation et culture…) !
Ce rappel s’impose d’autant plus que Trump tente manifestement d’utiliser le cessez-le-feu obtenu à Gaza pour légitimer sa devise « la paix par la force » comme une sorte d’alternative au principe onusien de la paix par le droit. Il est, dès lors, crucial, de rappeler les conditions dans lesquelles ce (faux) « plan de paix » a connu un (vrai) succès dans l’immédiat. D’abord, ce n’est que lorsque l’isolement mondial du gouvernement Netanyahou rendait intenable la poursuite du soutien politique et militaire inconditionnel à son allié privilégié -au point que l’opinion américaine, électeurs trumpistes compris, a majoritairement condamné le pouvoir israélien- que Trump s’est résolu à lui dire Stop, rendant ainsi possible la libération des otages. Pour la suite, son plan est d’une telle ambiguïté que tout est possible, y compris le pire : la reprise de la guerre. Enfin, le rôle personnel inouï que s’attribue Trump dans l’organisation de l’avenir du peuple palestinien disqualifie définitivement sa conception de « la paix par la force ». L’ONU, le droit international et le droit des peuples à choisir leur destin sont décidément irremplaçables.
EUROPE : LE « LEADERSHIP » DÉFRAÎCHI D’ EMMANUEL MACRON
Si en matière de politique intérieure, l’aura d’Emmanuel Macron se réduit visiblement en peau de chagrin, l’ambition européenne affichée par le Président de la République subit, elle aussi, l’outrage des ans…La séquence inouïe qui secoue la France depuis l’irresponsable dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin 2024 fait peu à peu de notre pays le nouvel « homme malade » de l’Europe. Mais c’est bien avant cette date que certains anciens inconditionnels du Jupiter de l’Elysée constataient déjà avec amertume ses renoncements aux objectifs énoncés à son arrivée, dans ses grands discours de 2017.
Ah, 2017, et ses stimulantes promesses ! « Il faut refonder l’Europe, sans répliquer les erreurs d’hier ! Non pas poursuivre ce qui ne va pas ou essayer de l’ajuster, mais commencer par l’examen critique, sans concession, de ces dernières années ! » (7/9/2017). « Ce qui s’est passé en 2005 (NB : le succès du NON au traité constitutionnel européen à l’issue d’un débat citoyen d’une ampleur et d’une qualité sans précédent en France, FW), c’est qu’une page s’est tournée et nous ne l’avons pas vu tout de suite (sic) : l’Europe ne peut plus avancer à part des peuples. Elle ne peut continuer son destin que si elle est choisie, voulue ». (11/9/2017). L’action du Chef de l’Etat a-t-elle fait avancer d’un iota l’Europe à cet égard ? Poser la question, c’est y répondre.
Quant au discours-phare de La Sorbonne (26/9/2017), il était centré sur les « 6 clés de la souveraineté européenne » : réaliser une défense européenne « complémentaire de l’OTAN »; relever le « défi migratoire »; construire « un nouveau partenariat avec l’Afrique »; faire de l’Europe le « Chef de file de la transition écologique »; réguler le monde numérique; faire de l’Europe « une puissance économique et monétaire ».
8 ans après : où en sommes-nous ? Passons sur la « souveraineté » : la soumission des chefs européens aux injonctions de Trump l’a enterrée pour longtemps ! Pour le reste, si la militarisation de l’Europe n’a que trop progressé -mais dans le cadre d’un renforcement substantiel de l’OTAN- et si la politique migratoire de l’Europe s’est sensiblement durcie, au point que 160 ONG l’ont sévèrement critiquée, que dire des autres grands ex-objectifs du grand timonier de l’Europe ? Sur l’écologie, c’est Emmanuel Macron lui-même qui a demandé « une pause réglementaire », symbole du détricotage en cours du « Pacte vert » européen. Sur les relations avec l’Afrique, une initiative -le « Global Gateway »- fut effectivement lancée en 2021 pour contrer l’influence chinoise dans la région : les « investisseurs » privés sont désormais encouragés à s’intéresser au continent,…tandis que l’aide publique au développement chute depuis deux ans de la part de l’Europe, France comprise ! En ce qui concerne la régulation du numérique, des lois européennes ont effectivement été instaurées : reste à voir si l’Europe saura mieux résister aux menaces proférées par Trump à leur sujet qu’elle ne l’a fait sur les taxes douanières ! Quant à l’économie, loin de sa « puissance » promise, le Rapport Draghi, commandée par la Commission, voit dans son « décrochage » un véritable « défi existentiel »…Naturellement, Emmanuel Macron n’est pas seul responsable de ce bilan déplorable, mais son « leadership » européen est passablement défraîchi. Il ne lui suffira pas de promettre d’ « envoyer des troupes » en Ukraine ni d’ouvrir son « parapluie nucléaire » sur toute l’Europe pour le rafraîchir.




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