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LE 9ème FORUM CHINE-AFRIQUE : UN ÉVÉNEMENT MONDIAL
Tous les trois ans, depuis 2000, se tient un important « Forum sur la coopération sino-africaine ». Celui qui vient d’avoir lieu à Pékin, du 4 au 6 septembre derniers, mérite, pour de multiples raisons, de retenir notre attention.
D’abord, sur les plans « géopolitique » et diplomatique, il s’agit indéniablement d’un événement majeur puisque 53 Chefs d’Etat ou de gouvernement sur les 54 que compte le continent y ont pris part. Seul le roi de l’Eswatini, un petit État d’Afrique australe, unique allié africain de Taïwan, a boudé ce rendez-vous entre deux géants du « Sud global », représentant, ensemble, quelque 2, 7 milliards de personnes ! Significatifs de la portée de ce Sommet furent également la présence du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et les attentes formulées par celui-ci en matière de retombées concrètes de cette coopération Sud-Sud hors normes « dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, de conflits qui font rage et d’aggravation de la pauvreté et de la faim ».
Que dire, à cet égard, des orientations économiques et sociales de ce 9ème Forum Chine-Afrique ? Le soutien financier supplémentaire de 50 milliards de dollars sur trois ans annoncé par Pékin est censé permettre de créer « au moins un million d’emplois » en Afrique, selon le Président chinois, qui dit vouloir « approfondir la coopération dans l’industrie, l’agriculture, les infrastructures, le commerce et les investissements ». La Chine apporte, d’une façon générale, des réponses à « toute une série de besoins que les Occidentaux n’ont pas apportées » note Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. En retour, la Chine trouve en Afrique les matières premières et les minerais stratégiques -cuivre, or, cobalt, lithium…- dont elle a besoin, en particulier pour son industrie technologique et la transition énergétique. Si elle est massivement saluée par les pays africains, cette coopération, asymétrique, a suscité ces dernières années du mécontentement dans plusieurs d’entre eux. En cause, ici le surendettement, là l’« accaparement de terres ». Soucieux de prouver sa proximité avec les pays du Sud, Pékin se dit décidé à être attentif à la grande diversité des situations.
Au demeurant, ce partenariat sans équivalent ne se limite pas à l’économie. Pour le Secrétaire général de l’ONU, il peut « mener la révolution des énergies renouvelables (dont la Chine est le leader mondial) et être le catalyseur de transitions-clés dans le domaine des systèmes alimentaires et dans celui de la connectivité numérique ».
Au total, « comment la Chine est-elle perçue en Afrique ? » a demandé « Le Monde » à Xavier Aurégan, spécialiste des relations entre la Chine et l’Afrique. « Son image est globalement positive » répondit le chercheur. « Quand la Chine paraît contribuer au développement, elle est bien vue; les entrepreneurs privés chinois le sont beaucoup moins ». Pour Bertrand Badie, par-delà ces aspects, la relation de l’Afrique avec ce grand pays qui fut lui-même « victime de marginalisation pendant un siècle d’humiliation » répond à la volonté de la société africaine « d’exister sur la scène internationale » et crée « un certain enthousiasme parmi la jeunesse africaine », sans se traduire par un alignement de ces pays sur la Chine. Autant d’enjeux colossaux à prendre très au sérieux car ils concernent toute la planète.
LE « G7 » FACE À LA FIN DE L’HÉGÉMONIE OCCIDENTALE
Le Sommet des 7 pays les plus riches de la planète qui vient de se tenir sous présidence japonaise, à Hiroshima, est extrêmement instructif sur les évolutions profondes et durables de l’ordre mondial.
Il y a quatre ans, au lendemain d’un « G7 » sous présidence française, à Biarritz, Emmanuel Macron avait brisé un tabou en déclarant devant quelque 200 ambassadeurs de France réunis à Paris : « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde ». Depuis lors, l’affaiblissement de la Chine due à la stratégie du « zéro Covid » puis celui de la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine et des lourdes sanctions qui s’ensuivirent pouvaient faire penser que les puissances occidentales avaient recouvré, au moins pour un temps, leur suprématie mondiale d’antan. Or, si, grâce à la désastreuse initiative de Poutine, « les Etats-Unis ont repris en main la destinée de l’Europe » (Thierry de Monbrial), les efforts de Washington et de ses alliés pour amadouer le « Sud global » ou le sommer de choisir son camp n’ont pas eu l’effet escompté : le fossé entre l’Occident et le reste du monde n’a fait que s’élargir. On vient d’en avoir confirmation, tant au Sommet d’Hiroshima que dans d’autres enceintes.
Ainsi, le Premier Ministre de l’Inde -le plus choyé des huit pays « émergents » invités au « G7 », en sa qualité de rivale de la Chine- a précisé qu’il se rendait au « G7 » pour « amplifier la voix et les préoccupations du Sud global ». Quant au Président du Brésil, « Lula », sa venue au Sommet occidental ne l’a pas davantage conduit à dévier de sa stratégie de « non alignement ». Ces deux exemples sont d’autant plus significatifs qu’ils concernent deux géants du Sud, piliers des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
Rappelons que ce groupe de nations, qui, par-delà ce qui les sépare , coopèrent sur leurs points de convergence, se voient collectivement comme un contre-poids à la domination des Etats occidentaux. Il s’est doté de sa propre banque de développement pour s’affranchir de la tutelle du dollar, du FMI et de la Banque mondiale . Le siège de la « Banque des BRICS » est en Chine, son premier directeur général fut indien, son actuelle dirigeante est l’ancienne présidente du Brésil, Dilma Roussef . Symbole fort : la contribution des BRICS au Produit intérieur brut mondial, en parité de pouvoir d’achat, dépasse depuis 2020 celle des États du « G7 » ! Enfin, pas moins de 19 pays -d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie et du Moyen Orient- ont la volonté de rejoindre ce pôle alternatif, tout en préservant leur souveraineté. L’hégémonie occidentale, et même l’hégémonie mondiale en général, sont bien mortes. On assiste, selon la belle formule de Bertrand Badie, à « l’impuissance de la puissance ».
Une réalité difficile à admettre parmi les « élites » occidentales . Nulle mieux que Christine Lagarde n’a exprimé cette nostalgie d’un monde « sous la direction hégémonique des États-Unis »: « Dans la période qui a suivi la guerre froide -poursuivit la Présidente de la Banque centrale européenne- le monde a bénéficié d’un environnement géopolitique remarquablement favorable »(1). Cette page est définitivement tournée. L’avenir reste à écrire.
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(1) Discours (avril 2023) devant l’ « US Council of Foreign Relations », à New-York.
DU MOYEN-ORIENT À L’UKRAINE : LA DIPLOMATIE AU SERVICE DE LA PAIX
Le 10 mars denier, deux puissances ennemies, l’Arabie saoudite et l’Iran, ont rétabli leurs relations diplomatiques, rompues depuis sept ans. Que nous dit cet accord -conclu sous les auspices de la Chine- de la complexité de l’ordre mondial actuel ? D’abord, qu’il peut y avoir, malgré le contexte général d’affrontements impitoyables, un espoir de paix là où on ne l’attendait pas. Y compris entre deux pays dont la rivalité stratégique et la concurrence religieuse alimentaient jusqu’ici maints conflits sanglants , au premier rang desquels l’effroyable guerre du Yémen. Ensuite, que des efforts diplomatiques opiniâtres peuvent arriver à bout d’obstacles présumés insurmontables : l’accord du 10 mars dernier est, en effet, l’aboutissement de plus de deux ans de négociations difficiles entre les deux adversaires. Enfin, que la Chine -médiatrice et garante de cet accord- confirme l’étendue de son influence jusque dans une région où Washington exerçait naguère un leadership sans rival et où les Etats-Unis conservent toujours un poids certain, mais rencontrent des résistances de la part de leurs alliés historiques.
Le fait que cet accord historique a été annoncé, à la surprise générale, depuis Pékin, n’est, du reste, pas pour rien dans la discrétion des réactions américaines à cette nouvelle spectaculaire, d’autant qu’un conseiller du Président Biden venait tout juste de s’entendre avec Benjamin Netanyahu pour encourager l’Arabie saoudite -au nom d’un front commun contre l’Iran- à normaliser ses relations avec… Israël, avec l’objectif de sortir l’Etat hébreu de son isolement dans le monde arabe. Ce dégel-là (au détriment des Palestiniens) semble désormais compromis.
L’Union européenne a, quant à elle, salué -certes fort sobrement- les efforts diplomatiques chinois qui ont conduit à cette « étape importante », soulignant que la promotion de la paix et de la stabilité ainsi qu’un apaisement des tensions au Moyen-Orient étaient des priorités pour l’UE. Sur ce point, parallèlement à la solidarité avec le soulèvement des Iraniennes et des Iraniens pour un changement de régime, on ne peut qu’être d’accord.
Certes, il faut rester prudent : on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise dans la mise en œuvre effective d’un accord entre des protagonistes aussi peu portés sur la collaboration au service de la paix. Le rôle du garant chinois dans la réussite de cette nouvelle dynamique sera, dès lors, important. Ce « challenge » que s’impose ainsi Pékin est en lui-même un fait politique majeur. Il intervient -fait significatif- au même moment où le Président Xi Jinping prend des initiatives en faveur d’un règlement politique de la guerre en Ukraine et propose, après son voyage à Moscou, d’organiser un échange direct avec son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, « en vue de mettre fin à la guerre », précise le Wall Street Journal.
La diplomatie au service de la paix : voilà qui nous change du discours ambiant sur fond de fracas des armes et d’insupportables pertes humaines .




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