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L’Union européenne actuelle ne trouve plus grâce aux yeux de la plupart des Européens -y compris celles et ceux d’entre eux qui demeurent, par ailleurs, attachés à l’idée d’un projet européen solidaire et démocratique. Il semble bien qu’il en aille de même de la part d’un certain nombre d’observateurs lointains de cette entité arrogante et mercantile .
Je viens d’en avoir une illustration à l’occasion d’un colloque international sur l’Europe, réunissant à Paris des interlocuteurs de grande qualité venant de différentes régions du monde . (1) La première surprise fut celle d’apprendre qu’il existe un « Centre pour les Etudes européennes » à New-Dehli, en Inde ; ou bien un « Centre d’Excellence sur l’Union européenne » à Shanghai, en Chine; ou encore une Chaire spécialisée dans l’étude de l’Union européenne à l’Université de Montréal, au Québec, Canada, etc…Ces trois institutions ayant dépêché d’éminents représentants à cette rencontre, nous avons pu nous faire une idée de leur vision de l’ « Europe » d’aujourd’hui et de leurs attentes pour l’avenir.
George Ross, un intellectuel progressiste originaire de Boston mais enseignant dans la « Belle province », en bon Américain, ne mâcha pas ses mots. Dans un excellent Français, il rappela avec une ironie mordante « l’euphorie des élites » après la chute du mur de Berlin: « La démocratie avait triomphé; l’avenir était serein; les puissances hégémoniques allaient garantir la stabilité; grâce au partenariat entre l’Europe et l’Amérique, tout irait bien; la finance serait le sang du système et les nouvelles technologies allaient nous apporter les connaissances et la croissance…Nous n’en sommes plus là ! » conclut-il, avant d’illustrer l’assèchement des « valeurs » brandies il y a un quart de siècle : désormais « la pièce maîtresse de la nouvelle stratégie occidentale, ce sont les traités de libre échange »lança-t-il. Analysant à cet égard le projet de traité Union européenne-Canada -dont les négociations viennent de se conclure- il a mis en garde les Européens: « C’est un cobaye, un modèle à partir duquel ils veulent ensuite concevoir le grand marché Union européenne-Etats-Unis »! Ou encore : « C’est l’AMI qui revient par la porte arrière » (2). Un témoignage qui en dit long sur les rapprochements possibles pour bâtir une relation transatlantique alternative à celle des « marchés ».
Même lucidité sur l’UE actuelle, mais en termes plus diplomatiques, chez la jeune professeure de Shanghai, Madame Dandan Jiang, qui constata -elle aussi dans un Français parfait- que « L’Union européenne est le premier partenaire commercial de la Chine et celle-ci est le second partenaire de l’UE, mais l’influence de l’Europe est limitée en Chine. Pourquoi ce décalage? Pourquoi les centres d’intérêt de l’UE sont-ils limités à l’économie? Pourquoi ne se développe-t-elle pas comme Union culturelle et politique , sachant promouvoir sa pensée et son art de vivre et partager ses réflexions sur la crise de l’environnement ou la sécurité alimentaire? interroge cette personne manifestement très à l’aise avec la culture européenne. « La devise européenne, c’est « l’Union dans la diversité »; celle de la Chine est « l’Harmonie dans le respect des différences »: ce n’est pas si éloigné »avance-t-elle dans un large sourire. « Nous pourrions établir des liens durables, réfléchir de manière transversale et mieux nous connaitre mutuellement », conclut-elle en présentant une nouvelle revue chinoise en langue française , entièrement consacrée à l’Europe!
Même son de cloche de la part du Directeur du Centre indien pour les études européennes, Monsieur Rajendra Jain, qui regretta « le manque d’intérêt partagé alors qu’il y a tant d’intérêt communs, y compris du point de vue du dialogue entre les sociétés civiles ». Autant de mains tendues, que cette Europe des marchants et des banquiers dédaigne, mais qui donnent à voir l’étendue des potentialités à saisir pour « refonder » l’Europe!
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(1)Colloque international organisé par l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université de Paris 8 -St Denis (6-8/11/2014)
(2)L’AMI (Accord Multilatéral pour l’Investissement) était un vaste projet de libéralisation des échanges (encore appelé « la Constitution d’une économie mondiale unique » par le Directeur général de l’OMC de l’époque) . Il fut mis en échec par la France suite à de fortes mobilisations en 1998.
14 novembre 2014 at 2:28
« Cette Commission sera celle de la dernière chance » a lancé Jean-Claude Juncker, le successeur (depuis le 1er novembre dernier) de l’ultra-libéral et médiocre Barroso à la tête de l’exécutif européen. Jamais encore un dirigeant européen n’avait reconnu aussi crûment la profondeur de la crise dans laquelle s’enfonce la construction européenne. C’est dire si la maison brûle ! Pour tenter de conjurer cette menace existentielle, M. Juncker pointe trois exigences à satisfaire coûte que coûte durant les cinq années de son mandat: viser un « triple A social » afin de « rapprocher les citoyens de l’Europe »; « réduire spectaculairement le chômage »; redonner une perspective aux jeunes » (1). Banco!
Le problème est que cette feuille de route suppose de rompre avec des règles de fond du traité de Lisbonne et M. Juncker s’est jusqu’ici mis en travers de la route de celles et de ceux qui, au nom d’une « autre Europe », se sont engagés dans cette voie. Il lui arrive de faire des diagnostics avisés, mais c’est pour s’aligner aussitôt, sans état d’âme, sur le modèle dominant. « Il n’y a pas de plan B »…
Nous sommes quelques uns à nous rappeler, à cet égard, les propos décoiffants de l’ex-Premier Ministre luxembourgeois (alors Président en exercice du Conseil européen) en 2005, deux jours avant le référendum français sur le projet de traité constitutionnel européen. C’est un morceau d’anthologie qui mérite d’être rappelé alors que son auteur est appelé à gérer la « dernière chance » de l’Union européenne.
« La perspective du référendum a déclenché en France un débat vertueux dont la qualité impressionne »-écrivit alors M. Juncker, avant de poursuivre: « L’Europe a cessé d’être l’affaire des seules « élites ». Le peuple français investit les lieux du débat, fait savoir que c’est de lui qu’émane tout pouvoir, que c’est lui qui décide et qu’il n’est pas près -au-delà du 29 mai- de se dessaisir du sujet qui désormais le passionne (…) Une fois de plus, le peuple français donne un exemple à suivre; une fois de plus, il prouve sa maturité démocratique. Il ne faut pas s’en plaindre. » (2) Vous avez bien lu: « débat vertueux dont la qualité impressionne »; « c’est le peuple qui décide »; « un exemple à suivre »; « maturité démocratique » !
Or, que décida ce peuple démocratiquement mûr à l’issue de ce débat vertueux et exemplaire ? Qu’il ne voulait pas de l’Europe libérale, autoritaire et bureaucratique institutionnalisée par le traité soumis à son vote. Exprimant tout haut ce à quoi la plupart des Européennes et des Européens aspiraient en silence, il se prononçait pour une « Europe sociale » et démocratique dans laquelle il puisse se reconnaitre et s’investir. Moyennant quoi, on lui imposa la copie conforme de ce qu’il venait de rejeter, rebaptisée Traité de Lisbonne. Avec la bénédiction publique de Monsieur Juncker. Cet incroyable mépris pour l’expression démocratique et l’arrogance avec laquelle des aspirations largement partagées en Europe furent tout simplement ignorées sans autre forme de procès : voilà le genre de pratiques qui a conduit l’ Union européenne à l’heure de la « dernière chance ».
Les responsables de cet immense gâchis et de l’inexorable montée de toutes les formes de désillusion, de ressentiment, voire de désespoir qu’ils ont nourries, particulièrement durant ces dernières années, sont à présent au pied du mur: au point où en est la construction européenne, l’homéopathie ne sauvera plus le malade; seule une chirurgie lourde peut espérer faire renaitre l’espoir. Pour cela, mieux vaut ne pas compter sur ces « élites » naguère montrées du doigt par M. Juncker. Rouvrons plutôt un « débat vertueux » parmi les citoyens.
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(1) JC Juncker: Discours d’investiture de la nouvelle Commission devant le Parlement européen (22/10/2014)
(2) JC Juncker ( Le Figaro- 27/5/2005)
6 novembre 2014 at 7:38
« C’est la dernière chance pour l’Union européenne de se mettre à la hauteur »; « Je voudrais mettre un terme à tout ce qui va mal en Europe ». Quel sage s’exprime-t-il ainsi? Jean-Claude Juncker, le nouveau Président de la Commission de Bruxelles, qui entrera en fonction le 1er Novembre prochain. Dommage que tant l’organigramme de « sa » Commission que ses lettres de mission aux futurs commissaires démentent brutalement ces nobles intentions…
L’organigramme tout d’abord. Il est le plus pyramidal que l’on ait vu depuis que l’UE existe, et le mode de fonctionnement qui en découle est plus présidentiel que jamais. M. Juncker entend être le patron dont tout procède. C’est ainsi qu’il a créé une véritable courroie de transmission au sein de la Commission, sous la forme de sept vice-présidents (dont quatre sont d’anciens Premiers Ministres) chargés de veiller à l’exécution de « ses » priorités. Le premier d’entre eux -actuel chef de la diplomatie des Pays-Bas- sera, a précisé M.Juncker, « ma main droite, mon suppléant, mon adjoint », un peu comme François Fillon, présenté naguère par Nicolas Sarkozy comme son « collaborateur » . Problème : le présidentialisme, on voit suffisamment à quoi cela aboutit en France pour ne pas souhaiter l’étendre à l’Europe !
Le nouvel homme fort de Bruxelles entend manifestement tirer profit d’un triple atout: celui d’être , pour la première fois, « l’émanation du Parlement européen » et non le candidat initial des États membres -contrairement à « ses » commissaires, désignés, eux, par leur gouvernement respectif- ; celui de succéder à un M. Barroso dévalué , que personne ne regrette, et dont toute comparaison avec le nouveau titulaire de la fonction ne peut que tourner à l’avantage de ce dernier ; celui enfin de se savoir protégé par les plus puissants des Chefs d’Etat ou de gouvernement (à la notable exception du conservateur britannique David Cameron) , ainsi que des ministres des finances de l’UE. N’a-t-il pas côtoyé les premiers pendant 18 ans au Conseil européen (dont il fut le doyen) et les seconds à l’Eurogroupe ( qu’il présida depuis sa création jusqu’en 2012) ? Désormais , cet homme du sérail s’appliquera à ne pas décevoir ceux qui l’ont soutenu, sans braquer celui qui l’a contesté. C’est ainsi qu’il faut comprendre le « casting » de « sa » Commission.
À l’Allemand Günther Öttinger le secteur d’avenir incontesté -la numérisation de l’Europe- « avec un minimum de règlementation » précise déjà le Commissaire désigné, qui aura également pour tâche de « briser les barrières nationales en matière de règlementation du droit d’auteur »! Au Français Pierre Moscovici les Affaires Économiques , mais dûment encadré par deux « Vice-Présidents », tous deux ex-Premier Ministres de droite, connus pour leur libéralisme sauvage : le Finlandais Katainen (l’élève-modèle en matière de discipline budgétaire…qui a plongé son pays dans la récession depuis deux ans) et le Letton Dombrovskis ( qui a réduit le déficit de son pays à 1,3% du PIB…en abaissant les retraites de 10%, le SMIC de 20% -à 140€- , le salaire des enseignants de 50%, et en plongeant un tiers de la population dans l’extrême pauvreté -record d’Europe avec la Bulgarie). Au demeurant, même sans ces « parrains », le Commissaire français ne présentait aucun risque pour la priorité « austéritaire » de M. Juncker. Auditionné par les parlementaires européens, il a eu à cœur d’asseoir d’emblée sa « crédibilité » en apportant tous les gages attendus par les plus orthodoxes .C’est ainsi qu’il a souligné que « La Commission ne peut accepter qu’un État membre,déjà sous le coup d’une procédure de déficit excessif, manque à son devoir vis à vis de tous les autres », précisant même , viril et inflexible , que « si un pays ne prend pas les actions effectives requises, alors je le poursuivrai sans faillir ». Quant au Commissaire britannique, il s’est vu confier « the » poste de nature à permettre à Cameron de rassurer la City : les services financiers…Vous êtes en train de tuer dans l’œuf la « dernière chance », M. Juncker !
9 octobre 2014 at 7:02
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