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EUROPE, TURQUIE: AUX CÔTÉS DES VICTIMES DES NATIONALISMES
Après Meloni au pouvoir en Italie; le PiS de Kaczinski en Pologne; Orban en Hongrie; l’ « Alliance nationale » au gouvernement en Lettonie; les « Démocrates de Suède », principaux alliés du gouvernement de Stockholm et les « Vrais Finlandais » tout prêts d’entrer au gouvernement à Helsinki; le risque sérieux de voir le « Parti de la liberté d’Autriche » accéder en 2024 au poste de Chancelier à Vienne et le chef du « Parti du bon sens » (Vlaams Belang) diriger la Flandre belge, voilà que nous venons d’assister à l’ ascension spectaculaire de Vox en Espagne, pays longtemps épargné par l’extrême-droite, sans parler de la situation en France…Quant à l’insupportable guerre russo-ukrainienne, en plus d’être elle-même le fruit du nationalisme « grand russe », en pleine expansion depuis la chute de l’Union soviétique, elle ne peut que nourrir à son tour le nationalisme dans le pays agressé, l’Ukraine, comme en témoigne le regain d’intérêt, de Lviv à Kiev, pour un Stepan Bandera !
C’est dans ce contexte glaçant que viennent de se dérouler les élections en Turquie, ce pays clé à bien des égards, où on espérait l’émergence d’une nouvelle ère. Or, c’est au triomphe tous azimuts du nationalisme -à la notable exception du parti dit « pro-kurdes », le HDP- qu’on a finalement assisté, Recep Tayyip Erdogan ayant poussé sa révolution conservatrice et raciste jusqu’à s’allier directement au « Parti d’action nationaliste » (MHP) d’extrême-droite, tandis que le chef de l’opposition, Kemal Kiliçdaroglou, se livrait entre les deux tours de la présidentielle à une déshonorante surenchère xénophobe aux côtés du « Parti de la victoire », ultranationaliste et anti-migrants. De quoi désorienter nombre de démocrates, en particulier celles et ceux qui se reconnaissent dans le parti HDP, lequel, menacé de dissolution, n’avait pas présenté de candidat et avait appelé à « battre Erdogan ». Authentique parti progressiste et multiculturaliste, à l’opposé des « valeurs » patriarcales et nationalistes du pouvoir et de ses alliés, le HDP fut fondé il y a dix ans par Selahattin Demirtas, dirigeant progressiste exemplaire, pourchassé et emprisonné pour cette raison même par Erdogan. La décision de Demirtas, annoncée il y a quelques jours, d’ « abandonner la politique active » est à la mesure de l’espoir déçu d’un printemps démocratique en Turquie. C’est à lui, aux innombrables militantes et militants de son organisation privés de liberté, et plus généralement à tous les résistants et résistantes au régime en place, au peuple kurde et à toutes les minorités ethniques ou religieuses, que va notre profonde solidarité.
Il appartient à l’opposition au régime d’analyser les faiblesses et les erreurs qui ont empêché de faire renaître l’espoir dans ce pays. Il nous revient, en revanche, de dénoncer la part de responsabilité de tous ceux qui , hors de Turquie, ont contribué à conférer à Erdogan la « stature internationale » dont il se prévaut auprès de son peuple : Washington, en ménageant l’ incontournable membre de l’OTAN; Moscou en spéculant sur son double-jeu; les dirigeants européens en se soumettant à son chantage aux réfugiés…Quel gâchis ! Victimes des nationalismes, nous sommes à vos côtés !
VERS UNE DÉFAITE D’ERDOGAN ? UN ESPOIR ET DES QUESTIONS
Après 21 ans de règne, Erdogan et son parti, l’AKP, risquent l’échec lors du double scrutin du 14 mai prochain : l’élection présidentielle (1er tour) et les élections législatives (à un seul tour). Pour analyser les enjeux de cet événement politique majeur, l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) vient d’organiser une passionnante table ronde (1) : l’essentiel de ce qui suit est inspiré de ces échanges.
Depuis dix ans, les signes d’une volonté de changement de la société turque se sont multipliées : depuis le spectaculaire mouvement de protestation de 2013 jusqu’à la victoire de l’opposition à Ankara, et surtout dans le fief d’Erdogan, Istanbul (16 millions d’habitants), en 2019, en passant par l’irruption du parti progressiste HDP du très respecté Selahattin Demirtas, qui priva pour la première fois Erdogan de la majorité absolue au Parlement en 2015 (et qui est en prison depuis 2016 !) L’hyper-centralisation autoritaire du régime qu’a permise la mise en place d’un régime présidentiel; l’instrumentalisation du coup d’Etat avorté de 2016 pour mener une répression de masse, féroce et arbitraire; l’insupportable ordre moral et conservateur institué par le pouvoir; la profonde crise économique et sociale en cours (une inflation proche de 100%); enfin les graves négligences de l’administration révélées par les récents séismes, ont sérieusement entamé la base sociale du régime.
Dans ce contexte, l’opposition a travaillé à constituer une coalition autour du grand parti de centre-gauche, membre du PSE, le CHP. C’est le Président de ce parti, Kemal Kiliçdaroglu, qui représentera les six partis coalisés à l’élection présidentielle. Le HDP (11 à 13 % des voix) ayant, au vu des circonstances, décidé de ne pas désigner de candidat et d’appeler à tout faire pour battre Erdogan, Kiliçdaroglu a de réelles chances de devenir le prochain président de la Turquie. Tout va dépendre de la dynamique politique à l’œuvre durant les trois semaines à venir.
Si l’éventualité d’une défaite d’Erdogan suscite des espoirs -notamment en matière de démocratie- à la hauteur du rejet d’un régime massivement honni, des questions demeurent sur les changements concrets à attendre, le cas échéant, de cette nouvelle coalition, très hétérogène (avec une dominante de centre-gauche, mais aussi une formation de droite nationaliste et plusieurs anciens Premiers ministres ou ex-ministres d’Erdogan) et divisée sur des sujets majeurs, comme la question kurde, qui doit faire l’objet, en cas de victoire, d’un grand débat au Parlement, le principal atout du HDP étant que la coalition a besoin de son soutien. Par ailleurs, si la volonté de revenir à un régime parlementaire et de pratiquer une gestion du pouvoir moins agressive semblent, le cas échéant, assurée, des incertitudes demeurent sur ce que serait la politique économique des nouvelles autorités. Quant à la politique extérieure (relations avec la Grèce, Chypre, l’Arménie vs l’Azerbaïdjan, l’OTAN, la Russie, la Syrie, l’Afrique…), elle ne devrait pas fondamentalement changer, si ce n’est par un renforcement de la « vocation européenne et occidentale » de la Turquie. A suivre…
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(1) Autour de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, lui-même expert de la Turquie, étaient réunis le 20 avril 2023 Ahmet Insel, économiste et politologue ; Bahadir Kaleagasi, président de l’Institut du Bosphore et Barçin Yinanç, journaliste.
NOUS DEVONS AUX KURDES ESTIME, RECONNAISSANCE ET SOLIDARITÉ
Nous nous apprêtions, avant Noël, à rendre sous peu un fraternel hommage aux trois militantes kurdes assassinées voilà tout juste dix ans, à Paris, quand nous avons appris, abasourdis, qu’un nouvel attentat venait de cibler la communauté kurde dans le même quartier de la capitale, tuant une femme et deux hommes, et blessant plusieurs autres personnes. En 2013, on déplorait parmi les victimes notre amie Rojbin, militante emblématique chargée des relations extérieures pour toute l’Union européenne . Cette fois-ci, parmi les morts, figure Emine Kara, responsable du mouvement des femmes kurdes en France, considérée comme une héroïne du mouvement national de son peuple pour avoir combattu, de Kobane à Rakka, le groupe « État islamique » en Syrie.
À notre douleur se mêlent l’indignation et la colère. Tout le monde sait -et les dirigeants de notre pays en premier- le danger permanent que courent, où qu’ils ou elles se trouvent, les représentantes et les représentants de ce peuple en lutte pour la reconnaissance de ses droits fondamentaux, Erdogan et les ultra-nationalistes turcs les considérant comme des « terroristes », à traquer en Turquie comme à l’étranger. Face à cette persécution, les gouvernements européens -France comprise- s’enferrent dans un irresponsable paradoxe, en louant (parfois) ces combattantes et ces combattants à titre personnel tout en qualifiant , à l’instar d’Ankara, de « terroristes » les organisations dont ils ou elles se réclament. Comment admettre que, dix ans après le triple assassinat de la rue Lafayette, dans lequel l’implication turque fut avérée, Paris continue de refuser de lever le secret-défense demandée par le juge d’instruction, de peur de froisser Ankara ! Comment justifier le refus de l’asile opposé naguère à Emine Kara ! Comment interpréter le manque de protection assurée aux exilés et exilées kurdes -particulièrement en cette période de préparation des commémorations du 10ème anniversaire du drame de 2013- malgré les mises en garde explicites émises par des personnalités de référence comme l’écrivaine et sociologue Pinar Selek, elle-même réfugiée kurde !
En vérité, nous devons à ces femmes et à ces hommes estime, reconnaissance et solidarité ! Nous leur devons de l’estime pour leur engagement résolu en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes , de la laïcité, comme du strict respect des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques -en contradiction absolue avec les thèses réactionnaires du régime d’Erdogan. Nous leur devons de la reconnaissance pour la contribution décisive que nombre d’entre elles et d’entre eux ont apportée, avec une bravoure mondialement reconnue, à la défaite de Daesh. Nous leur devons la solidarité pour le prix exorbitant -la prison, l’exil forcé, et trop souvent la mort- qu’ils et elles ont à payer pour ouvrir à leur peuple un avenir de justice et de liberté. Est-ce, dès lors, trop demander à nos autorités que de faire en sorte que la France soit pour elles et pour eux un havre de paix dans la sécurité ?




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