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« ANTI-EURO DE TOUS LES PARTIS, UNISSEZ-VOUS » ?

On aurait tort de passer trop vite sur l’énormité que vient de proférer Jacques Sapir, économiste réputé proche de la « gauche de la gauche » . Rappelons les faits : affirmant que le « démantèlement de la zone euro » est la « tâche prioritaire » de l’heure, il vient d’appeler à un « front de libération nationale » anti-euro, transcendant tous les courants politiques de gauche ou de droite et ouvert « à terme » au FN ! (1) En quoi cette initiative doit-elle particulièrement nous alerter ? En ce qu’elle n’est pas un simple cas supplémentaire de compromission d’une personnalité « républicaine » avec l’extrême droite. Émanant d’un intellectuel de gauche reconnu et respecté , par ailleurs partisan invétéré et de longue date de la sortie de l’euro, elle révèle jusqu’où peut conduire une approche des enjeux européens fondée davantage sur un a priori quasi-obsessionnel que sur une analyse politique partant des contradictions du réel.

Expliquons-nous. Le débat sur l’avenir de l’euro est on ne peut plus légitime à gauche, tant son bilan est calamiteux pour les peuples , l’économie elle-même et la souveraineté populaire dans les pays membres. Un changement radical est donc nécessaire. Mais lequel ? A quel type de transformations notre peuple -et d’autres , dont nous souhaitons qu’ils soient du même combat- aspirent-ils au juste ? Comment s’y prendre aujourd’hui pour réussir à imposer les ruptures que supposent ces bouleversements dans un environnement européen et mondial dominé par des pressions sans précédent des marchés financiers à tous les niveaux de notre société ? Autant de questions stratégiques auxquelles il ne suffit pas de répondre par des slogans à l’emporte-pièce, mais qui méritent un débat sérieux, rationnel, responsable, non seulement entre « experts » mais avec les citoyens concernés.

Jacques Sapir, lui, est de ceux pour qui les choses sont simples: hors de la « sortie de l’euro », point de salut. D’ailleurs -annonce-t-il de façon péremptoire depuis plus de sept ans (!)- , « l’éclatement de la zone euro est proche ». En 2008, au coeur de la crise financière, intervenant devant les parlementaires de la Gauche unitaire européenne, il a même précisé , avec une assurance qui ne laissait place au moindre doute , à quel moment la Grèce, puis l’Espagne, suivie de l’Italie allaient quitter la zone euro ! Il a réitéré ses certitudes en 2009, puis en 2011. Cette fois, c’était sûr : la « fin de l’euro » approchait. Sans doute « début 2012 » (2) . Rebelote en décembre dernier : « la zone euro ne survivra pas à l’année 2015 » (3) . Ce type de vision schématique , quasi-mécanique, ignore la complexité de la vie réelle. Il sous-estime la capacité des classes dirigeantes à s’adapter aux circonstances imprévues pour perpétuer leur domination . Et surtout, il fait peu de cas des aspirations des peuples forgées par l’histoire, la culture , l’expérience vécue, le contexte concret…Ainsi, la volonté de la grande majorité des Grecs de rester dans la zone euro , qui a pesé lourd dans les choix si difficiles auquel a été contraint Alexis Tsipras, échappe complètement à ce genre de schémas préfabriqués. Cela s’appelle du dogmatisme . Rien ne compte plus que la réalisation -à n’importe quel prix- de sa « tâche prioritaire » . Dès lors, la tentation est grande de la fuite en avant en direction du parti anti-euro par excellence : le FN . Un contre-exemple à méditer.

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(1) Voir Figaro Vox (21/8/2015), France-Inter (27/8/2015)
(2) Voir Marianne (19/9/2011)
(3) Voir Radio « Voix de la Russie » (3/12/2014)

3 septembre 2015 at 4:39 Laisser un commentaire

VERS UN « 1968 EN EUROPE » ?

wurtz-l-humanite-dimanche« L’atmosphère aujourd’hui est très similaire à 1968 en Europe. Je sens un état d’esprit (…) d’impatience. Mais quand l’impatience devient un sentiment collectif, elle peut conduire à une révolution  » : le Président du Conseil européen, le conservateur polonais Donald Tusk, vient d’exprimer tout haut son désarroi face à la crise de légitimité de l’actuelle « Union » européenne , qui vient de franchir un cap vraisemblablement irréversible (1). L’ « impatience » en question est celle d’un changement radical .

Après Jean-Claude Juncker , qui, l’an dernier, avait estimé que la Commission qu’il préside était celle « de la dernière chance », voici donc un deuxième haut dignitaire européen qui dit s’attendre carrément à une insurrection populaire ! Entre-temps, il y a eu , en plus de tout le reste, l’incroyable coup de force de l’Etat le plus puissant de la zone euro contre l’un de ses « partenaires » les plus faibles. Et cela ne passe vraiment pas ! Ce « degré de mise sous tutelle d’un Etat , du jamais vu depuis la fin des empires coloniaux » (selon les termes du Directeur du département d’économie de l’Ecole Normale Supérieure, Daniel Cohen…) laissera des traces profondes dont Berlin , en tout premier lieu, et l’actuelle UE en général, auront à payer le prix politique : « J’ai noté, concède Donald Tusk, l’accueil du Parlement européen quand Alexis Tsipras y a été auditionné « , en particulier quand le Premier Ministre grec a rappelé que « l’Allemagne a beaucoup profité de la solidarité européenne après la seconde guerre mondiale »… Le Président du Conseil européen se serait-il pris de sympathie pour Syrisa et sa vision pro-européenne mais alternative à l’actuelle UE ? Ce serait mal connaître ce leader de droite , qui se dit lui-même « proche de l’ordolibéralisme allemand d’après-guerre » (2) . Le voilà donc qui tente de brouiller les repères en recourant au vieil amalgame scélérat entre la gauche transformatrice et l’extrême droite nationaliste : « La menace idéologique vient des deux côtés », ose-t-il. Que dit-il alors des innombrables personnalités de tous horizons -économistes de renom, philosophes prestigieux, anciens ministres- ou encore des grands journaux , y compris allemands , tous anti-nationalistes et réputés « modérés » , qui fustigent une Chancelière qui a « réussi à raviver l’image d’une Allemagne laide, avare, et au coeur sec, qui commençait seulement à s’estomper » (3) , sans parler des Nobel américains très durs envers les dirigeants européens en général et allemands en particulier ? Le Président du Conseil européen est bien obligé d’en convenir : « Les principaux acteurs du débat actuel sont intellectuellement brillants et leurs arguments semblent très séduisants ». Mais ils ont tous tort.

Quelle leçon tirer, à gauche, de ce galimatias de l’un des principaux responsables de cette « Union » en pleine dérive ? A mes yeux, celle-ci : cette petite caste est, en fait, terriblement sur la défensive car elle voit l’avenir lui échapper. Si elle s’acharne sur le peuple grec et sur ses dirigeants, c’est qu’elle cherche désespérément à mettre un coup d’arrêt au mouvement de contestation qu’elle sent monter de partout au point de craindre un « 1968 en Europe » ! C’est dire si c’est le moment, pour les forces progressistes favorables à une refondation de l’Europe, de se rassembler pour reprendre l’initiative! Cette indignation qui s’exprime tous azimuts peut être une force considérable au service de vrais changements. Elle doit être transformée en débats de fond sur l’alternative à toutes les « règles » invoquées pour justifier l’injustifiable . Elle doit nous aider à construire les larges convergences -en France-même et très au-delà- qui nous manquent cruellement, car sans elles, les rapports de force resteront encore longtemps favorables à nos adversaires communs. La meilleure solidarité avec nos amis grecs, c’est cela.

——–
(1) Le Monde (18/7/2015)
(2) Courant de pensée foncièrement libéral selon lequel le rôle de l’Etat est avant tout d’assurer le respect d’une concurrence libre et non faussée entre les entreprises.
(3) Suddeutsche Zeitung (14/7/2015)

23 juillet 2015 at 8:28 1 commentaire

Schuman, réveille-toi : ils sont devenus fous !

Les dirigeants européens entretiennent un véritable culte autour du souvenir de Robert Schuman, auteur du fameux appel du 9 mai 1950 présenté comme l’acte fondateur de la construction européenne. Parmi les valeurs alors mises en avant, citons « la reconnaissance de l’autre », « la coopération », « la solidarité plutôt que l’égoïsme », « l’union plutôt que la division ».

Je ne ressens, pour ma part, nulle nostalgie pour ce temps-là. Cela étant, quel fossé s’est-il creusé, tout particulièrement ces vingt dernières années – depuis « l’achèvement du marché unique » et le traité de Maastricht – entre l’idée que des millions de gens s’étaient faite de l’Europe et la réalité de son évolution ! À cet égard, l’étape en cours risque de porter le coup de grâce à l’idée européenne dans l’esprit de bon nombre de citoyens de l’« Union ». Schuman, réveille-toi : ils sont devenus fous !

« Jamais le marché unique n’a été aussi peu populaire (…). Il existe une vraie contestation », notait récemment M. Mario Monti, ancien commissaire européen. Moyennant quoi, il prône… « un marché unique plus fort, avec plus de concurrence » ! Mais suggère de « consulter » et « d’expliquer ».

Expliquer ? Le dernier Conseil européen nous a expliqué pourquoi toute l’Union européenne allait entrer dans une nouvelle ère : celle de l’hyper-austérité durable, dont la Grèce semble servir de laboratoire. Angela Merkel, elle, avait expliqué pourquoi il fallait exclure les pays les plus fragiles de la zone euro ! M. Barroso a expliqué pourquoi il voulait pouvoir évaluer le budget de chaque État avant le Parlement national concerné. Le président du groupe libéral du Parlement européen, Guy Verhofstadt, vient d’expliquer que la Commission européenne et la Banque centrale européenne auraient dû pouvoir « imposer un plan draconien d’assainissement » à temps. Et de préciser, en champion de la démocratie européenne : « Certains articles du traité de Lisbonne permettent d’éviter les discussions sur le sexe des anges. »

Devant tant de cynisme et d’arrogance, la tentation est forte d’enterrer l’idée européenne avec les gérants actuels de cette « Union » disqualifiée. Cela reviendrait à leur laisser tout le terrain. Ne leur faisons pas ce cadeau ! Bien au contraire, c’est au nom d’une tout autre ambition européenne que nous nous faisons les porte-parole de la résistance des peuples et que nous prenons appui sur les multiples faits qui délégitiment les structures européennes actuelles et ceux qui les dirigent. La gauche européenne a un défi historique à relever : dans cette crise qui s’approfondit sous nos yeux, elle doit faire preuve de créativité politique et se montrer capable de porter des idées neuves à la hauteur des enjeux.

Dans quelles directions convient-il de réfléchir et d’agir ensemble pour réorienter fondamentalement la construction européenne ? Parmi les pistes en discussion, – et pour simplifier –, j’en vois trois essentielles. D’abord, il faut chercher à libérer l’Europe de sa dépendance absolue des marchés financiers. L’expérience montre que c’est vital. Cela pose la question clé de la transformation profonde de la Banque centrale européenne. Elle doit financer directement les États à des conditions favorables dès lors qu’il s’agit de sécuriser l’emploi ; d’élever le niveau de formation, de développer les nouvelles technologies – bref, de créer les conditions d’une croissance saine. Il faudrait parallèlement chercher des alliés pour agir dans le même esprit en faveur d’une monnaie commune mondiale.

Ensuite, il faut tendre à instituer de vrais rapports de coopération entre États membres, à l’opposé des pratiques actuelles de dumping social, de la concurrence à tout va et de la guerre économique. La stratégie de la classe dirigeante allemande est, de ce point de vue, un antimodèle.

Enfin, il y a la question des pouvoirs. Il faut arracher des droits et des pouvoirs nouveaux pour les salariés et les citoyens, impliquer les peuples européens, garantir la souveraineté populaire, faire respecter la dignité de chacune et de chacun. Il n’y a pas de solution clé en main. L’Europe est un combat.

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22 Mai 2010 at 6:34 Laisser un commentaire

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