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CE QUE LES VOTES À L’ONU NOUS DISENT DE L’EUROPE
Un récent événement, de grande signification quant au regard que porte le monde sur l’atroce punition collective qu’impose Israël à la population civile de Gaza, mérite qu’on y revienne. On se souvient que, face à la menace d’un « effondrement total de l’ordre public » à Gaza, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait pris, le 6 décembre dernier, l’initiative -très rare- de convoquer lui-même le Conseil de sécurité afin de placer ses Etats membres devant leurs responsabilités et les inciter à appeler solennellement à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat ». Sur les 15 pays concernés, 13 se prononcèrent pour un arrêt des combats, la Grande Bretagne s’abstint , tandis que les Etats-Unis usèrent du privilège de leur droit de veto pour bloquer toute décision. Devant ce camouflet, l’Assemblée générale de l’ONU prit, comme on sait, le relai du Conseil de sécurité le 12 décembre dernier en appelant à son tour ses membres à appeler au cessez-le-feu. Les résultats du vote constituèrent une gifle magistrale pour Washington (et bien sûr pour Israël) bien que la résolution ne fût pas contraignante: sur 193 pays, seuls 10 se prononcèrent contre le cessez-le-feu tandis que 23 se réfugièrent dans l’abstention, sorte de NON honteux. Bref : quelques îlots de jusqu’au-boutistes dans un océan d’exigences de cessez-le-feu. Voilà pour ce qui est des attentes de l’écrasante majorité de l’humanité.
Et l’Europe, dans tout cela ? Parmi les 10 réfractaires, outre Israël, les Etats-Unis et quelques uns de leurs auxiliaires habituels du type de la…Micronésie, du Nauru ou de la Papouasie-Nouvelle Guinée, on trouve deux Etats européens: l’Autriche et la République tchèque -dont une ministre a même qualifié l’ONU d’ « organisation qui soutient les terroristes et ne respecte pas le droit fondamental à l’autodéfense »…Quant aux 23 pays abstentionnistes, près de la moitié d’entre eux sont également des Européens et leur énumération est instructive. Trois d’entre eux sont des Etats fondateurs de la Communauté européenne : l’Allemagne, indéfectiblement alignée sur Tel Aviv, l’Italie de l’extrême-droitiste Giorgia Meloni et les Pays-Bas du sinistre Geert Wilders . À leurs côtés, on trouve cinq « nouveaux pays membres » de l’UE, au profil politique divers, mais aux choix, en l’occurrence, convergents : la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Lituanie. Enfin, on remarquera, dans cette cohorte peu glorieuse, deux pays candidats officiels à l’entrée dans l’Union européenne : l’Ukraine et la Géorgie…(ainsi que, par ailleurs, sans surprise, la Grande-Bretagne).
Que conclure de cet amer constat pour quiconque a à cœur de tenter de sauver l’idée européenne du naufrage moral qui la menace toujours plus ? D’abord, qu’il faut arrêter de tenir l’inaudible discours sur les « valeurs »qu’incarnerait « l’Europe » tout entière , en cachant la poussière sous le tapis au nom de « l’unité des 27 ». Il n’y a, hélas, pas que la Hongrie d’Orban qui viole allègrement les nobles principes censés faire de l’UE un modèle de vertu ! La métamorphose dont l’Europe a besoin commence par un discours de vérité sur l’état des lieux ! A ce titre, il faut en finir avec l’hypocrite recours au « deux poids-deux mesures », dont témoigne toute comparaison entre l’attitude observée à l’égard du conflit russo-ukrainien sous nos yeux et celle suivie au Proche-Orient depuis des décennies. Enfin, il faut se libérer de la vision étroite d’un Occident soudé face au reste du monde et s’ouvrir aux réalités d’une humanité plurielle.
LES FRANÇAIS ET LE PROCHE-ORIENT
Le récent sondage IFOP commandé par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) peut surprendre. Selon cette enquête, 62% des personnes interrogées (en France) considèrent « l’objectif d’Israël d’éliminer le Hamas de Gaza » comme « justifié ». D’autre part, seuls 10% d’entre elles disent éprouver de la sympathie pour l’Autorité palestinienne, qui, pourtant, n’est en rien responsable des « attaques terroristes du 7 octobre ». Enfin, 68% ne pensent pas qu’ « une solution pacifique du conflit avec la création d’un État palestinien au côté de l’Etat d’Israël (soit) envisageable dans un avenir proche ». La majorité des Français serait-elle devenue insensible aux souffrances indicibles imposées à la population civile de Gaza par une armée d’occupation ? Tournerait-elle le dos à toutes les institutions palestiniennes, y compris celles reconnues depuis des décennies par toute la communauté internationale ? Ne souhaite-t-elle pas que tout soit fait pour concrétiser la « solution à deux Etats », seule issue au conflit aujourd’hui à nouveau évoquée ?
Pour comprendre l’évolution, apparemment négative, du regard porté sur cet enjeu emblématique par une partie de nos concitoyens , il faut prendre en considération le fait que le Proche-Orient -et singulièrement le défi de la construction d’un État palestinien digne de ce nom- a quasiment disparu de l’agenda international depuis au moins 20 ans; mesurer les ravages qu’ont provoqués dans les esprits, depuis une décennie, les vagues d’attentats revendiqués par des organisations islamistes comme Al Qaeda ou Daesh, et enfin évaluer l’ampleur du matraquage politique et médiatique produit dans ce contexte dans le sens d’une vision manichéenne, partiale, et, au final, désespérante du monde. Dans cet environnement, il est, hélas, aisé de deviner l’effet produit, sur notre société comme sur d’autres, par l’effroyable massacre perpétré le 7 octobre sur une masse de personnes innocentes par le Hamas et des gangs s’engouffrant dans la brèche ! Ce qui confirme que, si cette folie du Hamas a, paradoxalement, remis la question du Proche-Orient à l’ordre du jour, elle a, en même temps, grandement desservi la cause palestinienne, car celle-ci a un besoin vital du soutien de l’opinion internationale.
Cela étant, malgré ces handicaps, gageons que si des questions posées par le sondage évoqué étaient fondées sur des réalités concrètes, susceptibles de parler aux gens, elles généreraient des réponses plus encourageantes. Suggérons-en trois : 1) « Le Comité international de la Croix-Rouge qualifie la situation à Gaza d’« enfer sur terre » où « personne n’est épargné, que ce soient les humanitaires comme la population civile ». Faut-il, selon vous, poursuivre cette guerre ou appeler à un cessez-le-feu humanitaire immédiat, comme le demandent 13 Etats sur 15, au Conseil de sécurité de l’ONU ? » 2) Approuvez-vous la poursuite, par le gouvernement israélien, de l’occupation et de la colonisation des territoires palestiniens, et le projet de l’extrême-droite au pouvoir d’expulser la population de Gaza vers le désert du Sinaï, en Egypte, et de pousser une partie de celle de Cisjordanie vers la Jordanie afin de réoccuper toute la Palestine ? 3) Approuvez-vous le principe de la solution à deux Etats -israélien et palestinien- fondés sur le droit international ? En tout état de cause, la meilleure action pour la paix est de re-populariser parmi nos concitoyens les « fondamentaux » du Proche-Orient !
PROCHE-ORIENT : QUELLE « PAX AMERICANA » BIDEN PREPARE-T-IL ?
« Une solution à deux Etats est le seul moyen de garantir la sécurité à long terme des peuples israélien et palestinien » et la crise actuelle « la rend plus impérative que jamais » : le fait que le Président des Etats-Unis rappelle dans un article du « Washington Post » cette exigence a, à première vue, de quoi nous réjouir, mais le grand flou de son plan interroge sérieusement . S’agit-il d’un simple exercice rhétorique sans lendemain, comme la plupart des dirigeants occidentaux nous y ont habitués depuis 20 ans ? Ou faut-il y voir, au contraire, l’annonce d’un authentique projet du locataire de la Maison Blanche ? Mais alors, de quel projet s’agit-il ? Le Président américain dit vouloir faire en sorte que Gaza ne soit « plus jamais utilisé comme base pour le terrorisme ». Aussi, une fois le Hamas , sinon éliminé, du moins chassé du pouvoir, il suffirait de réunir la bande de Gaza et la Cisjordanie « sous une même structure de gouvernance -à terme, une Autorité palestinienne revitalisée ». En clair, cela reviendrait à rendre cette nouvelle « Autorité palestinienne » responsable de la stabilisation de la société sans que soit tarie la principale source de la déstabilisation de la région : l’occupation israélienne des territoires palestiniens (et toutes les pratiques odieuses et humiliantes qui l’accompagnent ) -un enjeu central pas même évoqué dans l’article de Biden.
Quant à l’autre obstacle crucial à une coexistence pacifique des deux peuples comme à la réalisation de la « solution à deux États » -à savoir les colons- , Joe Biden l’effleure à peine en menaçant d’interdire de visas les plus « extrémistes » d’entre eux, mais sans aborder l’essentiel du problème : le devenir des colonies elles mêmes, dont la prolifération vise précisément à empêcher l’établissement d’un État palestinien viable !
Plus généralement, on ne trouve dans le texte du Président américain aucune référence aux résolutions des Nations-Unies portant sur les frontières du futur État (celles du 4 juin 1967), sur le futur statut de Jérusalem (l’Est sous souveraineté palestinienne, l’Ouest sous souveraineté israélienne), sur la question des réfugiés, sur la souveraineté aérienne des Palestiniens au-dessus de leurs territoires, sur les conditions de la future coopération sécuritaire entre les deux Etats, etc…
Reste enfin à clarifier le sens donné par Biden à ce qu’il appelle « une autorité palestinienne revitalisée ». De fait, rares sont aujourd’hui les Palestiniens contestant l’urgence de changements majeurs tant dans le fonctionnement que dans la direction de cette « Autorité » . À quelle « figure » du peuple palestinien pense-t-il , qui ait la confiance de la majorité des Palestiniens et soit capable de « revitaliser » l’Autorité palestinienne ? À cet égard, un nom émerge : Marwan Bargouthi, à l’autorité inégalée dans toute la société palestinienne. Il s’est toujours dit « en quête d’une coexistence pacifique entre les Etats égaux et indépendants que sont Israël et la Palestine, fondée sur le retrait complet d’Israël des territoires occupés en 1967 ». Qui partage ces principes doit œuvrer à faire libérer « le Mandela palestinien » en prison depuis 20 ans en Israël. S’il en a la volonté politique, le Président des Etats-Unis en a les moyens. Mais comment l’espérer de la part d’un dirigeant qui refuse de demander un cessez-le-feu immédiat à Gaza ?




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