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TRUMP A-T-IL LES MOYENS DE SES PRÉTENTIONS ?
Force est de le constater : bien mieux élu qu’en 2016 et, cette fois, solidement préparé; bénéficiant de la majorité absolue dans les deux chambres et d’une Cour suprême extrêmement conservatrice; entouré des champions mondiaux de la tech et du numérique; doté par la Constitution américaine de pouvoirs importants et surtout régnant sur la première puissance économique, financière et militaire, Donald Trump est en mesure de faire beaucoup de mal à qui se met en travers de ses projets ultra-nationalistes et impériaux.
Dans le même temps, chacun de ses atouts doit être relativisé. Ainsi, nombre d’Etats américains fédérés comme la Californie ou New York ont décidé de coordonner les batailles anti-Trump devant les tribunaux : pas moins de 22 d’entre eux (sur 50) ont contesté en justice le décret présidentiel remettant en cause le droit du sol. Même la Cour suprême, qui est largement acquise au Président, pourra difficilement avaliser des mesures manifestement inconstitutionnelles. De même, sa majorité au Sénat ne lui est pas acquise en toutes circonstances, comme vient de le confirmer le vote d’extrême justesse de la Chambre haute pour la confirmation du candidat du Président au poste stratégique de Chef du Pentagone. Le tandem diabolique Trump-Musk commence lui-même à tanguer, puisque le second a osé critiquer « Stargate », le projet-phare du premier, prévoyant des investissements de 500 milliards de dollars dans un mastodonte de l’intelligence artificielle, qui risque de faire de l’ombre au business de « l’homme le plus riche du monde ». Quant à la puissance américaine, si elle reste encore dominante sur le plan mondial, elle doit de plus en plus compter , non seulement avec la Chine -qui vient encore d’affoler les « élites » américaines en dévoilant un concurrent particulièrement compétitif de ChatGPT malgré l’embargo de Washington sur les puces américaines les plus performantes- , mais, plus généralement avec les BRICS et le « Sud global » dont les perspectives de développement sont précisément au cœur de l’obsession trumpienne du « Make America Great Again ». Enfin, il y aura des réactions de la société américaine contre les égarements du pouvoir.
Dernier élément susceptible de relativiser les moyens du Président américain : les choix stratégiques à venir des Européens ! S’ils décidaient de s’émanciper de la tutelle américaine et -dans un esprit de multilatéralisme et d’intérêt mutuel- d’ouvrir une négociation stratégique avec la Chine, les émergents en général et les pays du Sud, tant sur les enjeux globaux (notamment le climat) que sur les relations économiques, Trump finirait par comprendre qu’il n’est pas le maître du monde ! Lourde est, à cet égard, la responsabilité des principaux dirigeants de l’UE ! C’est l’alignement pur et simple sur Washington des uns, derrière Giorgia Meloni, et les capitulations de fait d’un certain nombre d’autres : la Présidente de la Commission suggère d’acheter plus de pétrole et d’armes aux Etats-Unis; la Pologne -qui préside actuellement le Conseil européen- veut en finir avec le Pacte vert européen et demande que chaque pays de l’UE dépense 5% du PIB pour la défense (comme l’exige Trump); la Présidente de la Banque centrale européenne veut que l’effet Trump nous aide à lutter contre la « paresse » et la « bureaucratie » en Europe ! Et on attend toujours une vraie levier de bouclier de l’UE contre les menaces ahurissantes proférées contre 11 millions d’immigrés et la prétention extravagante de refaire des Etats-Unis « une nation (…) qui étend son territoire ». Voilà pourquoi il est si important que s’ouvre un débat citoyen sur ces enjeux de civilisation.
TRUMP ET LA (NOUVELLE) CRISE EXISTENTIELLE DE L’EUROPE
« Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre notre destin en main » : ainsi parla Angela Merkel le 28 mai 2017 après un sommet des puissances occidentales au cours duquel les discussions entre « alliés » s’étaient déroulées de façon « très insatisfaisante » selon la Chancelière, pourtant tenue jusqu’alors pour une atlantiste inconditionnelle. Le fait nouveau portait un nom : Trump. En qualifiant l’Union européenne d’« ennemie, peut-être pire que la Chine », le nouveau Président américain avait suffisamment bouleversé les fondamentaux transatlantiques pour que soit alors évoquée une « crise existentielle » de l’Europe. Pour autant, le désarroi de ses dirigeants ne conduisit nullement ces derniers à délaisser leur suivisme de Washington pour s’engager dans un authentique multilatéralisme. « L’autonomie stratégique » demeura, pour l’essentiel, un slogan.
Il aura suffi que Joe Biden arrive au pouvoir pour éteindre toutes les velléités réformatrices des Européens : « America is back! », lança le premier; « Notre amitié transatlantique est irremplaçable » répondit sans la moindre nuance, au nom des seconds, celle qui semblait, quatre ans auparavant, décidée à rebattre les cartes de l’allégeance au protecteur américain. Tout à leur soulagement, les Européens voulurent oublier que, même débarrassée des dangereuses dérives d’un Trump, la relation UE-USA restait celle de vassaux à leur suzerain. Et, pire : que la défaite de Trump ne signifiait pas la fin du trumpisme (la politique de Biden n’y étant pas pour rien…). Plutôt que de profiter du retour de l’« amitié »euro-américaine pour tenter de négocier un partenariat à tout le moins plus équilibré et moins exclusif, l’écrasante majorité des dirigeants européens se satisfirent du retour, aussi précaire que furtif, au « confort »occidentalo-occidental.
Pendant quatre ans, ils acceptèrent au nom du moindre mal la poursuite des privilèges exorbitants du dollar et l’extraterritorialité du droit américain ; les 369 milliards de dollars de subventions promises aux industries vertes, à condition qu’elles s’installent aux Etats-Unis; la conclusion-surprise d’un partenariat stratégique avec l’Australie et la Grande Bretagne conduisant à la rupture du « contrat du siècle » pour la livraison de sous-marins français à Canberra; les pressions grandissantes pour le « partage du fardeau »des dépenses militaires de l’OTAN; le retrait unilatéral, brutal et chaotique de l’armée américaine d’Afghanistan, le soutien indéfectible de Washington à Israël dans sa guerre monstrueuse à Gaza et l’accentuation de la fragmentation du monde opposant l’Occident-modèle à un Sud global jugé non fiable, voire traité de « rival systémique ». Tout cela pour finir par le retour de Trump, plus agressif et imprévisible que jamais. Un véritable fiasco stratégique.
Nous voilà en face d’une nouvelle crise existentielle de l’Europe, car, en plus du décrochage économique et de la crise climatique, qui risquent fort de s’accentuer, l’UE subit désormais le «trumpisme » en son sein même, bien au-delà du petit dictateur hongrois. Par choix ou par opportunisme, des stratégies « Trump-compatibles » ont été mises en place avant même les élections américaines. Ainsi du projet lancé par le responsable de la politique européenne et internationale de la CDU, la puissante droite allemande proche du retour au pouvoir à Berlin : faire de la « post-fasciste » Giorgia Meloni l’architecte d’une nouvelle relation Bruxelles-Washington sous Trump ! (1) L’idée fait son chemin… Un vrai combat de civilisation en perspective !
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(1) Klaus Welle, ancien Secrétaire général du Parlement européen (le 4/11/2024 sur X)
AGIR POUR LA PAIX DANS UN MONDE COMPLEXE ET GLOBALISÉ
À l’heure où des guerres d’agression d’un autre âge, d’une effroyable cruauté, ébranlent le monde entier, s’ajoutant aux autres insécurités humaines -alimentaire, sanitaire, climatique…-, hélas encore bien plus meurtrières à l’échelle de toute la planète, une réflexion de fond s’impose à nous : comment vaincre cet insupportable sentiment d’impuissance et agir pour une paix véritable dans un monde de plus en plus complexe et globalisé ? Dans son dernier livre, au beau titre de « L’Art de la paix », Bertrand Badie, professeur bien connu de relations internationales, a le mérite de nous donner d’utiles repères en la matière, dans leurs différentes et inséparables dimensions : humaine et sociale; institutionnelle; diplomatique…En cela, ce livre est, dans le contexte présent, un ouvrage de référence (1).
Ainsi, puisant dans sa vaste culture historique, l’auteur passe en revue différents types de règlement apparent d’un conflit, dont aucun n’a conduit à une paix digne de ce nom : ni la « paix hégémonique » imposée par la domination du plus fort, ni « l’équilibre de puissance », précaire et menaçant, ni « la transaction » sur la base d’un compromis territorial. « La non guerre n’est pas la paix ». souligne-t-il . « La paix ne peut plus être pensée indépendamment des risques globaux ». Il convient de « placer le social avant la force » car « le monde est dominé par un gigantesque besoin social que chaque État ne peut plus satisfaire individuellement ». Or, « la souffrance sociale (est) un obstacle à la paix ».
De la même façon, insiste Badie, « le mépris crée la méfiance » et « l’humiliation est source de périls ». Cela vaut pour les relations internationales : « les nouvelles logiques d’interdépendance (rendent) la sécurité des uns de plus en plus dépendante de la sécurité des autres ». Rien de pire, à cet égard, que la « tendance irrépressible à se prétendre le centre du monde » ou à « considérer que les cultures sont irrémédiablement différentes et potentiellement hostiles les unes aux autres »…Mais cela vaut également dans notre entourage immédiat : « L’étranger n’est pas l’ennemi » rappelle l’auteur « Le regard individuel porté sur l’Autre est la base même d’une paix ressentie, intériorisée ». Aujourd’hui, « la condition des migrants (installe) un climat de défiance au Sud ». Le sens de la paix suppose l’altérité et la recherche d’une « commune promotion d’une paix globale ».
Le corollaire indispensable de cette ambition est l’existence d’institutions multilatérales efficaces, qui ne soient pas affaiblies par l’égocentrisme des États, particulièrement les plus puissants d’entre eux, accrochés à leur droit de veto. Un renforcement de l’ONU en matière de prévention des conflits comme de missions autour de l’idée de sécurité humaine est, à cet égard, hautement souhaitable. Dans cet esprit, Badie plaide pour « ouvrir la table à tout un ensemble d’acteurs non étatiques » (ONG, acteurs locaux…) à même de « replacer l’individu au centre des enjeux d’une paix réelle ».
Enfin, l’expert, s’il en est, en matière de diplomatie, appelle les « vieilles puissances » à « sortir de cet entre-soi qui apparaît au total plus belligène que pacificateur ». Fustigeant d’une façon générale « cette ignorance dangereuse qui consiste à penser que le monde se régule à partir de soi », Bertrand Badie consacre tout un chapitre de son livre à imaginer « des écoles formant à la paix ». Un projet plus pertinent que jamais.
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(1) Bertrand Badie : « L’Art de la paix »(Flammarion, 2024) 21€




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