Archive for Mai, 2024
QU’ATTEND LA FRANCE POUR RECONNAÎTRE L’ÉTAT DE PALESTINE ?
Depuis le début de la guerre, d’une sauvagerie sans précédent, que livre l’armée israélienne à la population, en grande majorité civile, de Gaza, deux pays de l’Union européenne -l’Espagne et l’Irlande- se sont distingués par leur engagement en faveur d’une position de l’UE à l’égard d’Israël qui soit ni plus ni moins que conforme au droit international. Sans succès. Rappelons que les « 27 » avaient, bien entendu, unanimement condamné, en termes très clairs, les massacres et les prises d’otages du Hamas, le 7 octobre 2023. La suite fut, en revanche très chaotique : la Présidente de la Commission se précipita chez Netanyahu sans même mentionner l’exigence de respecter le droit humanitaire; un commissaire décida sans concertation de couper les aides à…l’Autorité palestinienne (pourtant frontalement opposée au Hamas) avant d’être rappelé à l’ordre par le Chef de la diplomatie européenne; la ministre de la défense de la République tchèque avait même proposé à son gouvernement de quitter l’ONU, qualifiée d’ « organisation qui soutient les terroristes » parce que son Assemblée générale avait appelé à une « trêve humanitaire immédiate », tandis que le Chancelier allemand, mettait en avant « le droit et même le devoir d’Israël de défendre ses habitants ».
Face à ce spectacle déplorable, qui s’est traduit, à chaque vote aux Nations unies sur cette guerre, par un éclatement de l’UE entre « pour », « contre » et « abstentions », l’Espagne et l’Irlande, rejoints par la Slovénie et Malte se sont rencontrés en marge d’un Sommet à Bruxelles, le 22 mars dernier, pour affirmer ensemble une position claire et juste sur la situation au Proche-Orient. « Nous sommes d’accord pour dire que le seul moyen de parvenir à une paix durable et à la stabilité dans la région est de mettre en œuvre une solution à deux Etats, israélien et palestinien vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité » ont-ils souligné, en annonçant leur décision de reconnaître l’Etat de Palestine.
Pour quelle raison la France n’en fait-elle pas autant, elle qui fut, dans le passé, le fer de lance de la solidarité avec le peuple palestinien en Europe? Serait-ce parce qu’ « aucune grande puissance occidentale ou membre du G7 ne l’a fait » (Le Monde) ? Aujourd’hui que l’Espagne, l’Irlande et la Norvège (non membre de l’UE) ont franchi le pas et que la Slovénie et Malte s’apprêtent à faire de même, la France est dans le carré de queue de la communauté internationale (aux côtés des Etats-Unis, du Canada, du Japon, de l’Australie, de la Grande Bretagne et de la majorité des membres de l’UE) sur ce dossier ô combien emblématique !
Alors que « la solution à deux Etats » (qui n’a officiellement jamais cessé d’être la position de Paris) fait son retour sur le devant de la scène internationale; alors que l’Assemblée générale de l’ONU vient de constater (à 143 voix pour -dont la France !- contre 9 et 25 abstentions) que « l’Etat de Palestine remplit les conditions requises pour devenir membre »de l’ONU et « devrait donc être admis à l’Organisation »; et alors que le Procureur de la Cour pénale internationale a déposé des requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêts « concernant l’Etat de Palestine », la France privilégie son allégeance à la « famille occidentale » sur sa fidélité à la cause d’une paix juste et durable au Proche Orient, qui passe aujourd’hui par un engagement concret, fort et immédiat pour un État palestinien. Ce « Jupiter » est décidément petit.
UKRAINE : QUESTIONS SUR UNE « CONFÉRENCE DE PAIX »
Les 15 et 16 juin prochains doit se tenir en Suisse une « Conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine ». L’annonce en fut faite par le chef de la diplomatie helvétique devant l’Assemblée générale des Nations unies, en février dernier. Cette initiative fait suite à une demande insistante en ce sens du Président Zelensky. Quoiqu’il en soit, dans le contexte que l’on sait, voilà une nouvelle qui, à première vue, ne laisse pas indifférent. Pourtant, plus on se rapproche de l’échéance, plus le doute s’installe sur la portée réelle de l’événement.
D’abord, qu’en est-il de la Russie ? A-t-elle été conviée ? Pas « à ce stade » répondent les autorités suisses, qui reconnaissent pourtant qu’« un processus de paix sans la Russie est inconcevable »… La Conférence en question ne constituerait donc qu’une première étape destinée à « stimuler un futur processus de paix ». Parmi les 160 pays invités figure, en revanche, la Chine, dont « le rôle actif peut certainement accélérer nos progrès sur la voie (…) vers une paix juste pour l’Ukraine » déclarait même…Volodymyr Zelensky, le 11 avril dernier ! Si, en effet, Pékin est aujourd’hui le principal allié de Moscou, il n’en demeure pas moins que, comme le « Sud global » en général, la Chine n’a qu’une hâte: « que la paix et la stabilité (soient) rapidement rétablies sur le continent européen », comme ie rappelait le Président Xi Jinping le 15 mai dernier. Le contenu de la réponse de la Chine à l’invitation de la Suisse devenait dès lors un élément décisif de la crédibilité de la Conférence de paix.
Pékin fit connaître sa position le 18 mars dernier en ces termes : « La Chine soutient la tenue en temps voulu d’une conférence de paix internationale reconnue par la Russie et l’Ukraine, qui garantisse la participation égale de toutes les parties et des discussions équitables sur tous les plans de paix ». Or, dans le projet suisse, la conférence annoncée doit se réunir sans la Russie et discuter d’un seul plan de paix : celui du Président Zelensky. La participation de la Chine semble donc compromise. Comment faut-il, dès lors, comprendre l’annonce du Chancelier Scholz, à son retour de Pékin, à la mi-avril, déclarant à la presse internationale que « la Chine et l’Allemagne veulent se concerter de manière intensive et positive sur la promotion de l’organisation d’une conférence de haut niveau en Suisse et de futures conférences internationales pour la paix » ? Le dirigeant allemand est-il prêt -lui qui souligne volontiers que « la parole de la Chine a du poids en Russie »- à tenter d’obtenir des organisateurs de ladite Conférence qu’ils adaptent sa composition et son ordre du jour pour permettre une participation fructueuse de Pékin à cet événement ? Ou espérait -t-il rallier la Chine aux conditions occidentales ? Dans ce cas, le dirigeant allemand dut déchanter en prenant connaissance de la réaction, sereine mais dénuée d’ambiguïté, de Pékin à sa déclaration : « Cette réunion est encore en préparation et il reste encore beaucoup de travail avant la tenue de la Conférence de paix », une déclaration à mettre en rapport avec une position maintes fois rappelée par les autorités de ce pays : « le respect de la souveraineté territoriale de tous les pays » (donc également de l’Ukraine) -ce à quoi s’oppose Moscou- mais aussi la nécessité de prendre en considération les préoccupations de sécurité de la Russie -ce que refuse l’OTAN- . Entendre l’un de ces éléments en ignorant l’autre reviendrait à se priver du concours, manifestement reconnu comme précieux, de la Chine dans la recherche d’une issue politique au désastre humain et politique dans lequel s’enfonce l’Europe. A suivre…
INTERVIEW À L’HUMANITÉ (13/5/2024)
Q.Au sortir des célébrations qui marquent la fin de la seconde guerre mondiale, quel regard portez-vous sur un contexte international où la paix semble de plus en plus absente?
FW L’évolution du monde depuis la création de l’Onu en 1945, avec la libération des anciennes colonies, la fin de la guerre froide, la mondialisation des interdépendances, nous amènerait à imaginer une « communauté internationale » plus unie aujourd’hui qu’au sortir de la seconde guerre mondiale. Or, le monde est, à l’inverse, de plus en plus fragmenté. En plus des conflits médiatisés comme ceux de l’Ukraine et du Proche-Orient, il y a ceux dont on parle moins, notamment en Afrique, au Yémen…Sans oublier les insécurités humaines, globales -alimentaire, sanitaire, climatique, économique, culturelle..-, encore plus meurtrières ! Il faut se mobiliser contre chacun de ces fléaux pour espérer construire un monde de paix.
En Ukraine, il faut mettre fin à l’agression russe, mais par quelle voie ? L’escalade militaire me paraît sans issue et porteuse de grands dangers. Même l’ex-Chef d’Etat-Major des armées des Etats-Unis mettait en garde contre l’escalade avec une puissance nucléaire et reconnaissait qu’une solution politique était possible sans entériner les conquêtes territoriales russes.
Quant à l’agression israélienne contre la population civile de Gaza, à propos de laquelle la Cour internationale de justice a évoqué « un risque de génocide » et la Cour pénale internationale menace de mandats d’arrêts le « Cabinet de guerre » de Tel Aviv, elle exige, là aussi, une mobilisation internationale, l’interdiction de toute livraison d’armes et l’utilisation de tout levier non militaire à même d’arrêter le bras de ce pouvoir d’extrême-droite et la construction d’une paix juste et durable, qui passe par la fin de l’occupation et l’édification d’un État palestinien viable. Dans les deux cas, un même principe doit s’appliquer : la recherche d’une solution politique à partir du droit international.
Q.Comment analysez-vous les prises de paroles d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine?
FW Ce sont des gesticulations bellicistes, que je juge irresponsables, tant en ce qui concerne l’hypothèse d’envoyer des troupes au sol que pour ce qui est de sa vision de l’arme nucléaire française comme un « élément incontournable de la défense du continent européen » ! C’était la position du président français depuis longtemps, mais l’agression russe lui a malheureusement donné l’occasion de relancer cette idée. En 2020, devant l’école de guerre, il avait déjà prononcé une phrase terrifiante: « soyons clairs, les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». Qu’entend-t-il par « intérêts vitaux »? Cette position aventureuse doit être rapprochée d’une disposition peu connue du traité de Lisbonne (l’article 42, paragraphe 7). Cette clause dite de sécurité mutuelle en vigueur depuis 2009 affirme que les pays européens sont obligés d’aider tout État membre de l’Union victime d’une agression armée sur son territoire. Le rapprochement de ces deux éléments nous font plonger dans l’inconnu. En vertu de sa soif d’affirmer le « leadership de la France », désormais seule puissance nucléaire européenne, Macron encourage la très périlleuse militarisation de l’Europe et des relations internationales.
Q. Comment sortir de cet engrenage militaire des relations internationales ?
FW Nous ne disposons que d’un seul levier: les opinions publiques. Regardez : même Biden doit évoquer la suspension des livraisons d’armes à Israël suite aux mobilisations d’une partie de son électorat ! Il faut rehausser la lutte pour la paix et contre la re-militarisation et la « ré-otanisation » de l’Europe ! Celles-ci ont commencé avant le 24 février 2002, mais, naturellement, l’agression russe les a considérablement encouragées et aggravées. Des mouvements de paix puissants ont existé durant la guerre froide et il faut réapprendre à se mobiliser et stopper une militarisation des esprits afin de retirer aux dirigeants bellicistes le soutien de l’opinion.
Cette bataille politique doit partir de faits. Je le répète : concernant la Palestine, nous n’avons jamais demandé l’envoi de missiles, de chars ou d’avions. Nous réclamons un cessez-le-feu et une négociation sur la base du droit international et la reconnaissance des droits fondamentaux du peuple palestinien. Pourquoi ce qui est valable au Proche-Orient ne le serait-il pas en Ukraine? Une solution politique, cela ne veut pas dire entériner les conquêtes territoriales russes. Cela peut être d’envisager des garanties de souveraineté pour l’Ukraine (ce que refuse aujourd’hui la Russie) contre des garanties de sécurité pour le peuple russe (ce que refuse aujourd’hui l’OTAN)…Il s’agit de trouver un accord global et durable impliquant les très nombreuses puissances qui n’ont pas intérêt à cette guerre : Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, voire Turquie et Arabie Saoudite . Ces pays disposent de moyens de pression sur la Russie, précisément parce qu’elles ne sont pas alignées sur l’Otan. Il faut accepter leur contribution à une solution politique.
Q. La question de la paix est-elle un projet européen?
FW L’Europe de la paix reste à construire. Il faut aller vers un traité pan-européen de sécurité fondé sur le respect mutuel de la sécurité de tous les États signataires. Aux élections du 9 juin, l’enjeu de la paix devrait être prioritaire dans la campagne et pour les futurs élus durant leur mandat. (Entretien réalisé par Vadim Kamenka)




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