Posts filed under ‘Afghanistan’
George Bush a développé une vision apocalyptique du monde
L’Interview paru le 9 septembre 2011 dans l’Humanité
Quelle a été l’influence des attentats du 11 septembre 2001 sur la décennie écoulée ?
Francis Wurtz. En décidant de mener la guerre au terrorisme, plutôt que de s’attaquer aux racines profondes du mal, les États-Unis de George Bush ont donné un tour sécuritaire sans précédent qui s’est soldé par un échec retentissant. Cela a conduit à une vision apocalyptique du monde qui a légitimé les guerres en Afghanistan et en Irak. En 2003, au moment même où George Bush célébrait la victoire de ses troupes en Irak, l’Union européenne mettait au point son actuelle doctrine stratégique qui épouse cette vision américaine du monde. L’autre principale conséquence du 11 septembre est la mise à mal d’acquis démocratiques et de liberté au nom de la sécurité et de la prévention du crime. Depuis le 11 septembre 2011, il n’y a plus de droit sanctuarisé.
Mort de Ben Laden, retrait programmé de l’Otan d’Afghanistan, printemps arabe…Une page des relations internationales est-elle en train de se tourner ?
Francis Wurtz. On ne tournera pas une page simplement parce que l’on commémore le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Même si des événements significatifs et très sains sont apparus, comme le mouvement des Indignés ou le printemps arabe, mettant en cause cette conception de l’ordre intérieur et international, un changement ne va pas intervenir comme cela. La logique de force prévaut toujours même si l’opinion publique est davantage prise en considération. Les États-Unis ne peuvent plus faire n’importe quoi. Pour que cela change réellement, il faut qu’il y ait un courant politique suffisamment fort pour porter une conception alternative des relations internationales. Autant il y a des éléments d’une telle aspiration, autant on est encore loin du compte. C’est pourquoi, il faut inscrire ce changement sur le prochain agenda des forces démocratiques dans le monde.
AFGHANISTAN: LECON D’UN FIASCO
Une fois de plus – mais à quel prix! – l’histoire nous enseigne que « dès que vous créez une guerre, elle devient un sujet et acquiert sa dynamique propre; toute guerre dérive de ses buts », comme le souligne avec pertinence le Général Vincent Desportes, qui parle d’expérience puisqu’il a dirigé le « centre de Doctrine et d’Emploi des Forces » puis le « Collège interarmées de défense », avant d’être sanctionné par son ministre, Hervé Morin, pour des propos jugés iconoclastes sur la stratégie américaine en Afghanistan…
Je ne doute pas, en effet, qu’aux yeux de nombre de personnes, et même de responsables politiques, en 2001, aux lendemains de l’attentat terroriste traumatisant de New York et de Washington, la guerre d’Afghanistan était forcément juste puisqu’elle visait à libérer le monde d’Al Qaeda et le peuple afghan de la dictature talibane. Force est, cependant, de constater, dix ans plus tard, que….les Etats-Unis négocient avec les chefs talibans les conditions de leur retour au pouvoir tandis que le monde est sous la menace d’un « arc de crise du terrorisme » (Nicolas Sarkozy) allant du Pakistan et de l’Afghanistan au Yémen, à la Somalie et au Sahel! A quoi adonc servi cette guerre, et pourquoi se poursuit-elle? Si les buts poursuivis étaient au départ ceux qu’avaient affichés, à l’époque, ses initiateurs, alors on est en droit d’attendre de leur part – et de ceux de leurs successeurs qui ont assumé sans état d’âme cet héritage – une évaluation rigoureuse des dérives qui ont conduit à la situation d’aujourd’hui. Ils le doivent aux proches des 2500 soldats (occidentaux) morts au combat et à ceux des milliers de victimes afghanes innocentes. Ils le doivent, plus généralement, aux citoyens de tous les pays engagés – dont 15 pays européens – dans une aventure qui se voulait libératrice et qu’a viré au fiasco. Il ne suffit pas, après avoir suivi les Etats-Unis dans l’effort de guerre, de les suivre dans le retrait (partiel). Il faut tirer les leçons de cette dramatique expérience, et d’abord en reconnaitre les réalités.
Une récente conférence de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) réunissant de nombreux chercheurs et experts qualifiés sur le sujet, a apporté d’utiles éclairages à ce propos. Sur la « reconstruction » de l’Afghanistan, tout d’abord: « 42% de la population vivent dans l’extrême pauvreté; 54% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition; seul un quart de la population a accès à l’eau potable… La communauté internationale a failli dans sa mission de reconstruction du pays. » (Karim Pakzad, chercheur). Sur le glissement progressif de l’image des libérateurs à celle d’occupant, ensuite: « Après un incident américain, en 2006, il y a eu un début d’insurrection, un soulèvement. On a cru que la foule allait occuper le pouvoir et massacrer les étrangers. » (Jean de Ponton d’Amécourt, ancien ambassadeur de France à Kaboul). Sur la situation des droits de l’homme, enfin: « La communauté internationale a acquiescé tacitement à l’alignement du gouvernement sur une politique quasi-talibane (…) Aujourd’hui, elle tourne le dos aux droits de l’homme et aux droits des femmes. » (Mohammad Mahmodi, Directeur de la Commission des Droits de l’Homme d’Afghanistan). Non, la guerre humanitaire n’existe pas.
Afghanistan : Il faut tirer enfin toutes les leçons de ce fiasco
L’Interview paru le 5 Août 2010 dans l’Humanité
Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen, dénonce l’impasse d’une guerre décidée par les États-Unis qui, aujourd’hui, veulent remettre en selle les talibans au nom d’une prétendue «réconciliation nationale».
Pour quelles raisons la France doit-elle cesser de participer à la guerre en Afghanistan ?![afgha[1]](https://franciswurtz.net/wp-content/uploads/2010/08/afgha1.jpg?w=300&h=150)
Francis Wurtz. Cette guerre est un fiasco de toutes les stratégies successives mises en œuvre par l’Otan. C’est une guerre américaine où l’Europe et les autres participants sont des suivistes. L’évaluation de cette stratégie globale est terrible. On le savait, mais ce bilan a été confirmé de façon spectaculaire par les révélations des archives militaires secrètes du Pentagone (voir page3). Le bilan des victimes civiles, c’est-à-dire dans la population afghane, a été délibérément sous-estimé. Il y a également des allégations de crimes de guerre commis, notamment, par les troupes américaines. C’est extrêmement grave. D’autre part, le pays connaît un regain d’influence des talibans. Pis encore, la coalition, engagée avec les hommes forts du Pakistan, qui hébergent des chefs talibans, ambitionne une «grande réconciliation nationale» avec «les ennemis d’hier», comme le dit Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères. Cette réconciliation annonce le retour en force de ceux-là mêmes que la coalition voulait chasser pour libérer le peuple afghan. Voilà pourquoi il faut mettre fin à ce fiasco et en tirer toutes les leçons pour ne pas ajouter de l’abandon aux maux que l’on a déjà imposés au peuple afghan.
Comment ce retrait pourrait-il s’organiser ?
Francis Wurtz. Depuis le début, nous demandons que s’instaure un dialogue avec les forces démocratiques afghanes et les pays de la région pour prendre en compte leurs exigences. Ces forces sont persécutées et contraintes de s’exiler en raison d’un pouvoir corrompu, soutenu par la coalition de l’Otan. Ces persécutions ne sont pas que le seul fait du président Karzai mais également des chefs de guerre de l’Alliance du Nord. Si l’on veut réellement être solidaire du peuple afghan, il faut parler avec ces forces et recueillir leur avis sur ce qu’il convient d’entreprendre. C’est-à-dire trouver les solutions et les moyens qui permettent à la fois de développer le pays, qui est l’un des plus pauvres au monde même si son sous-sol regorge de richesses, et de créer les conditions pour mettre en place un État digne de ce nom. Un véritable État dont l’objectif est d’assurer une vie décente et sûre à sa population. Il faut un investissement financier considérable qui aide à construire et non à détruire le pays. Il faut également des moyens sécuritaires, mais à discuter avec les forces démocratiques, et mis en œuvre sous l’égide de l’ONU. Il s’agit de créer les conditions favorables au développement réel de l’Afghanistan, de ses potentialités et de son État.
Que peut-on attendre du sommet européen de septembre prochain consacré à la politique étrangère des Vingt-Sept ?
Francis Wurtz. À ce stade on a hélas toutes les chances d’avoir la confirmation de l’épilogue scandaleux d’une guerre dévastatrice, avec le retour des forces moyenâgeuses talibanes. Les États-Unis ont désigné comme interlocuteur privilégié l’homme fort du Pakistan, qui est un de leurs alliés dit incontournables. Le général Kayani, chef de l’armée et des services secrets, est même présenté comme un médiateur de la « réconciliation » ! Cet homme, qui offre un sanctuaire aux chefs talibans, est surtout obsédé par l’ambition de mettre en place à Kaboul un pouvoir soumis au Pakistan dans sa rivalité avec l’Inde. C’est dire si l’on est vraiment aux antipodes d’une approche humaine et éthique de développement et d’avenir pour le peuple afghan. C’est pourquoi je n’attends rien du sommet européen. En revanche, il faut mettre en garde la partie de l’opinion publique qui a longtemps estimé que la guerre d’Afghanistan était différente de celles de l’Irak ou du Vietnam. Car les véritables buts poursuivis par les États européens ont été déclarés. On a entendu le président allemand, Horst Köhler, qui a d’ailleurs dû démissionner depuis, parler de défense de « nos intérêts économiques ». Quant au président polonais, il a, lui, évoqué l’exigence de prouver « la crédibilité » de la Pologne en tant qu’«alliée » des États-Unis. Tout cela montre que les motivations initialement présentées pour justifier cette guerre, c’est-à-dire la libération du peuple afghan de la tyrannie des talibans, n’ont rien à voir avec la réalité des actions de la coalition de l’Otan, qui a mené le pays au désastre, et avec, la région.
Entretien réalisé par Cathy Ceïbe




Commentaires récents