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FIN DES « FRAIS D’ITINÉRANCE »: TOUT UN SYMBOLE !
Depuis le 15 juin dernier, lorsque nous nous servons de notre téléphone portable depuis un autre pays de l’Union européenne, nos appels, nos SMS ou nos MMS ne seront plus surtaxés comme c’était le cas jusqu’alors. Notre forfait national vaudra pour toute l’UE. On pourra également « naviguer sur le web » au même tarif que chez nous (dans certaines limites). C’est le résultat d’une série de votes émis entre 2007 et 2015 par le Parlement européen et le Conseil ( les représentants des 28 gouvernements des Etats membres). C’en est donc fini de ce que l’on appelle les « frais d’itinérance » ( ou « roaming » si l’on est branché ) . On ne va pas s’en plaindre. Ni non plus sauter au plafond : cela ne révolutionnera pas la vie quotidienne de nos concitoyens. Disons que cela ne laissera pas indifférents celles et ceux qui, en nombre croissant, circulent volontiers chez nos voisins et sont accros au smartphone . Tant mieux, mais il y a plus important…
Si je m’arrête néanmoins sur cette mesure, c’est qu’elle est hautement symbolique. Elle illustre à merveille le fait que, dans une Europe libérale, le « consommateur » importe beaucoup plus que le travailleur ou le citoyen. S’il faut lâcher du lest, c’est avant tout lui qu’on ciblera. Aussi, un certain nombre d’acteurs politiques européens qui, d’habitude, ne s’illustrent pas particulièrement par leur parti-pris en faveur des salariés ni par leur résistance aux pressions des grands groupes capitalistes, se sont-ils, sur ce dossier, montrés étonnamment combatifs. Y compris pour faire face aux pressions des compagnies de télécom. L’on ne peut, en l’occurrence, que s’en réjouir, mais mieux vaut être lucide sur leurs motivations.
Voilà une bataille qui dure depuis une bonne dizaine d’années. Pour une fois, députés progressistes et libéraux se sont opposés ensemble aux grands opérateurs privés, qui étaient vent debout contre toute idée de diminuer -à plus forte raison de supprimer- cette confortable rente (aujourd’hui évaluée à 1,2 milliard d’euros par an !) Mieux : la Commissaire européenne alors chargée des télécommunications, la Luxembourgeoise , chrétienne-démocrate, Viviane Reding, avait fait de cette affaire son cheval de bataille. Elle avait d’emblée compris que l’Union européenne tenait là une occasion unique de soigner son image auprès des nombreux jeunes qui voyagent et acceptent mal de devoir payer plus cher leurs conversations téléphoniques et leurs SMS à l’étranger. Elle qui avait moyennement réussi son premier mandat, comme Commissaire à la culture ( Jean-Luc Godard l’avait gratifiée d’un élégant : « Cette dame est une nullité » au Festival de Cannes de 2004…), s’est, par la suite, taillé une flatteuse réputation de championne de la lutte contre les puissants lobbies des télécom et les Etats soucieux de protéger « leurs » opérateurs. Prenant appui sur la mobilisation du Parlement européen sur la question, l’inflexible Luxembourgeoise raconte même avoir forcé la main des ministres du Conseil , en 2007, en annonçant tout de go à la presse « qu’un accord a été trouvé pour baisser les frais de roaming » : mis devant le fait accompli, les dirigeants politiques se seraient alors ralliés à sa position pour ne pas décevoir leur opinion publique ! Par la suite, les grands opérateurs brandirent la menace de la faillite , puis saisirent la Cour de Justice de l’UE , mais rien n’y fit : l’arnaque a été mise en échec. Et aucun opérateur télécom n’a déposé le bilan. Quand « l’Europe » veut, elle peut.
EUROPE : UNE AVANCÉE DÉMOCRATIQUE INATTENDUE !
Une fois n’est pas coutume : l’on ne peut que se réjouir de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne publiée le 16 mai dernier. Elle qui nous a habitués à des arrêts d’inspiration ultra-libérale vient de décider que, dorénavant, tous les traités commerciaux du type TAFTA (UE-USA) ou CETA (UE-Canada) devront être adoptés non seulement par les institutions européennes (Parlement et Conseil des Ministres) mais aussi par la totalité des parlements nationaux (et même des parlements régionaux dans les Etats à système fédéral) pour pouvoir entrer pleinement en vigueur ! En particulier, les dispositions visant à « protéger les investisseurs » -les fameux « tribunaux d’arbitrage » spéciaux et privés, destinés à trancher les litiges entre multinationales et Etats membres- , ne pourront désormais voir le jour que si chacun des 28 parlements nationaux et de la dizaine de parlements régionaux de l’UE donne explicitement son accord avec ces mesures !
C’est l’histoire de l’arroseur arrosé ! En effet, c’est le Commissaire européen qui était en charge des négociations de l’un des tout premiers accords de ce type ( l’accord de libre-échange UE-Singapour ) avant de diriger celles concernant le traité transatlantique TAFTA , le Belge Karel de Gucht, qui avait lui-même, en 2014, saisi la plus haute juridiction de l’UE avec un seul objectif : faire établir une fois pour toutes que ce type d’accord relevait de la « compétence exclusive » de l’UE, et que, par conséquent, cela ne regardait pas les parlements nationaux. Il pensait ainsi faire taire définitivement les nombreuses voix -y compris celle de certains Etats membres- qui contestaient ce déni de démocratie. Trois ans plus tard, le voilà spectaculairement désavoué. Et avec lui, tous ceux qui l’avaient clairement soutenu dans sa volonté de court-circuiter les représentations nationales -depuis les services juridiques de la Commission jusqu’à une majorité de députés européens !
Et lorsque le Président de la Commission européenne , Jean-Claude Juncker, a finalement cédé, en 2016, aux pressions des défenseurs de la souveraineté des parlements nationaux en acceptant que le traité CETA (UE-Canada) soit ratifié dans chaque pays membre, il a été sévèrement critiqué par les « ténors » du commerce international. Ainsi, Pascal Lamy, ancien Directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), lui avait reproché d’avoir commis « une erreur grossière » mettant en danger la politique commerciale européenne ! C’est dire si la récente décision de la Cour européenne a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans les milieux « pro-business » des institutions européennes ! Quant à la Première Ministre de Sa Gracieuse Majesté, Theresa May, qui envisage de négocier avec l’UE un accord de libre-échange post-Brexit, la voilà prévenue : pour arracher un accord axé sur les « investissements », il lui faudra convaincre…38 Parlements nationaux et régionaux de l’UE. Pas gagné !
Quelle est la morale de cette histoire ? Que rien n’est inamovible dans cette construction européenne à la réputation de forteresse imprenable ! Que des forces de progrès, des citoyens en grand nombre (et de plusieurs pays), et si possible quelques gouvernements influents se mobilisent et se fassent entendre, et aussitôt les « certitudes » s’effritent et une vraie confrontation d’options contradictoires devient possible… jusqu’au sein de ce sanctuaire du libéralisme qu’est la Cour de l’UE ! Une expérience inattendue qui mérite réflexion.
GARE AUX VRAIS…ET AUX FAUX « FAKE NEWS » SUR L’EUROPE !
De nombreuses informations trompeuses ou carrément fausses ont circulé pendant la campagne du premier tour de l’élection présidentielle. C’est ce qu’on appelle, dans les milieux branchés, les « fake news ». Un certain nombre d’entre elles ont pollué le débat sur « l’Europe ». Pour autant, il ne faudrait pas, à l’inverse -sous prétexte de combattre les caricatures europhobes- considérer comme des « fake news » toutes les affirmations qui contestent légitimement « l’ordre européen » actuel ! C’est pourtant ce à quoi se sont adonnés un certain nombre de commentateurs jusqu’aux derniers moments de la campagne, précisément quand bien des hésitants cherchent à affiner leurs opinions. « La Commission assiste, impuissante, au déferlement de « fake news » à la française » pouvait-on, ainsi, lire dans un grand quotidien économique à trois jours du scrutin. Et de citer plusieurs exemples de ces prétendues « fausses informations » (1). Précisions.
Premier exemple : « La PAC ruinerait les petits agriculteurs ! » Faux ? Hélas, non ! En cause : non la PAC en elle-même, mais sa gestion libérale . On organise le démantèlement de ce qui reste de la régulation des marchés, quitte à faire chuter les cours, et, par là-même, les revenus des paysans, qui ne couvrent souvent même plus les coûts de production. (Souvenons-nous des conséquences de la suppression des quotas laitiers) .
Deuxième exemple : « Les recommandations économiques de la Commission (sont) assimilées à des injonctions » . Faux ? Encore non ! Le journaliste fait ici allusion à l’un des documents au style comminatoire adressés chaque année par « Bruxelles » ( le Conseil, sur proposition de la Commission ) à chaque Etat membre, pour « évaluer » la politique économique suivie par le gouvernement et indiquer les « réformes » à promouvoir pour respecter les « grandes orientations » adoptées par les « 28 ». Alors, quel est le poids réel de ces « recommandations »? Officiellement, il s’agit d’ « incitations (…) à adopter un comportement particulier » mais, dans les faits, il faut y voir beaucoup plus que cela ! Au point que, selon les propres termes d’un organe officiel français, » la Cour de Justice de l’Union européenne, consciente de l’importance des recommandations, estime que les juges nationaux sont tenus de les prendre en considération ». (2)
Troisième exemple : « la prétendue impossibilité d’avancer en matière d’harmonisation fiscale » dans l’UE. Faux ? Non, si on considère l’extrême timidité des « avancées » par rapport aux attentes. Le projet de taxe sur les transactions financières né après la crise financière ? Un serpent de mer aujourd’hui limité à 10 pays sur 28 et…reporté d’année en année ! L’impôt sur les sociétés (IS) ? Un taux identique partout , il n’en est pas question. Les traités imposent sur ce point que la totalité des Etats soient d’accord . Alors, a-t-on au moins décidé une « assiette commune » pour le calcul de l’IS dans toute l’UE (des règles identiques partout pour calculer les bénéfices) ? Un projet de ce type circule …depuis six ans ! La seule avancée positive est la série de sanctions financières imposées par la Commission à des multinationales qui ont précisément enfreint les règles de concurrence en bénéficiant d’avantages fiscaux éhontés de la part de certains Etats membres : c’est positif. Mais, « l’harmonisation », c’est autre chose !
J’assimilerai, en revanche, à une fausse information le fait d’écrire que « le traité de Lisbonne reprend quelques dispositions » du projet de traité constitutionnel (le TCE rejeté par une majorité de Français en 2005) quand c’est, en vérité, la totalité du TCE qui a été reprise, à l’exception de quelques dispositions ! (3) Décidément, il faut ouvrir les yeux !
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(1) Les Échos du 20/4/2017
(2) Vie publique -Direction de l’information légale et administrative (1/7/2013)
(3) Le Monde du 20/4/2017




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