La vérité se frayerait-elle son chemin à propos des responsabilités européennes dans la désastreuse crise ukrainienne ? Il y a un an et demi, nous étions souvent rangés du côté des « inconditionnels de Poutine » quand nous fustigions la politique de guerre froide menée par l’Union européenne ainsi que les illusions mensongères semées par certains de ses dirigeants en direction notamment du peuple ukrainien dans le cadre du « Partenariat oriental »!
Rappelons la question que nous posions alors : « Quel objectif stratégique motive-t-il les dirigeants européens dans leur empressement à attirer l’Ukraine dans l’orbite de l’UE, alors même qu’ils n’envisagent nullement de consentir aux investissements lourds qui seraient nécessaires pour répondre aux attentes, et encore moins d’intégrer dans l’Union un Etat de 45 millions d’habitants au bord du défaut de paiement ? Réponse: créer une « zone tampon » face à Moscou et réduire sensiblement l’influence de la Russie dans l’ancien espace soviétique et, par là même, en Europe et sur la scène internationale. Quitte à diviser l’Ukraine, voire à la déstabiliser; et au risque de provoquer sur le continent des tensions d’une autre époque. Cela ressemble fort à une grande manipulation . C’est tout le sens du « Partenariat oriental » – lancé en 2009 sur l’insistance des dirigeants polonais- dont l’accord avec l’Ukraine devait être la pièce maîtresse » (1) .
Plusieurs milliers de morts plus tard, la stratégie aventureuse des dirigeants européens vient d’apparaître au grand jour à l’occasion du dernier Sommet du « Partenariat oriental » qui s’est tenu à Riga (Lettonie) les 21 et 22 mai 2015 avec pas moins de 25 Chefs d’Etat ou de gouvernement de l’UE ainsi que les représentants des pays « partenaires » de l’Est, au premier rang desquels l’Ukraine. « L’Union se retrouve sur la défensive », reconnaît « Le Figaro » , qui insiste sur le « coup d’arrêt » donné par les « 28 » aux « illusions » qu’ils avaient semées auprès des pays de l’ex-URSS (2). En clair, ils viennent de doucher leurs « partenaires » de l’Est en leur annonçant que , contrairement à un mirage qu’ils ont laissé se répandre pour amadouer ces peuples désorientés, il n’est pas question qu’ils adhèrent à l’UE. « Le Sommet oriental de l’Union européenne a mis fin à une pratique qui, en diplomatie, peut avoir ses mérites mais qui a aussi ses limites: l’ambiguïté constructive » note , pour sa part, et dans le style qui lui est propre, « Le Monde » .Celui-ci convient aujourd’hui, à propos de la stratégie européenne à l’égard des Ukrainiens, que « la catastrophe a été de leur suggérer (sic) qu’ils devaient choisir entre l’Union et la Russie ». Problème, selon notre fin analyste: l’idée du Partenariat oriental « s’est fracassée sur deux pénibles réalités auxquelles ses auteurs, dans leur naïveté, n’avaient visiblement pas pensé. (Re-sic !) La première a été l’opposition immédiate de Moscou. (…) L’autre a tenu à la manière qu’a pu avoir l’UE de laisser entendre aux impétrants qu’ils étaient des candidats potentiels à l’adhésion ». (3) Non seulement ces fausses promesses viennent-t-elles d’être très tardivement -et brutalement- démenties, notamment par Angela Merkel à Riga, mais les Ukrainiens découvrent qu « avec une récession qui frôle les 18%, l’économie ukrainienne est dans un tel état de délabrement qu’elle fait plutôt figure de repoussoir à l’égard de l’UE » estime un observateur bien au fait de la « vision » orientale des dirigeants européens (4) . Même la libéralisation des visas d’entrée dans l' »Union », qui paraissait acquise à l’Ukraine comme à la Géorgie à partir de 2016, restera finalement lettre morte.
Une tout autre « partenariat » avec nos voisins de l’Est est à construire de toute urgence ! Et d’abord avec l’Ukraine, vue comme une passerelle entre les deux grands acteurs du continent et non comme l’otage d’une bataille d’influence entre « l’Occident » et la Russie.
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(1) Voir Humanité Dimanche (23/12/2013)
(2) Voir Le Figaro (22/5/2015)
(3) Voir Le Monde (Editorial du 24/5/2015)
(4) Pierre Avril (Le Figaro du 22/5/2015)
28 Mai 2015 at 7:27
Les jours passent sans que rien ne bouge du côté des dirigeants européens pour débloquer enfin les crédits promis à la Grèce le 20 février dernier . La condition du règlement de cette mesure d’urgence était la présentation d’un programme de « réformes » à même d’augmenter les recettes de l’Etat. Or, malgré la production successive par Athènes de quatre ou cinq moutures des mesures envisagées et dont la pertinence n’est pas contestable -telles la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, la hausse des taxes sur le tabac et les jeux ou l’amélioration de la collecte de la TVA- , les négociations n’avancent pas. Il est vrai que deux « réformes » chères aux orthodoxes de l’Europe libérale ne figurent pas sur les listes produites par les responsables grecs : celle des retraites et celle du marché du travail …Faut-il rappeler à Bruxelles qu’il y a eu des élections en Grèce, qui ont exprimé une irrépressible exigence de changement ?
Le 11 mai prochain, les ministres des finances de l’ « Eurogroupe » se réunissent à nouveau. Rien ne filtre sur leurs intentions, mais elles sont aisées à deviner. Ils spéculent sur le stress qu’est censé provoquer au sein de l’équipe gouvernementale grecque le fait que, le lendemain, le Fonds monétaire international lui réclamera le remboursement de 750 millions d’euros, alors que , faute d’apports financiers indispensables, les caisses de l’Etat sont vides. Ils espèrent une fois encore que le chantage au « défaut » suffira pour amener Athènes à résipiscence. Déjà ils rappellent qu’en tout état de cause, l’actuel plan d’ « aide » s’éteindra fin juin, soit moins de trois semaines avant une lourde échéance financière : 3,5 milliards d’euros de bons du Trésor à racheter impérativement à la Banque centrale européenne. Menace de clash ou bluff ignoble ? Ce poker-menteur n’a que trop duré!
Pour certains membres de ce club de grands argentiers, les intentions semblent claires . On connaît en particulier le but poursuivi par le diabolique ministre allemand. Une récente confidence de l’un de ses partenaires nous le confirme : « Wolfgang Schäuble, qui est un vrai conservateur, dur, sans état d’âme, veut mettre ce parti (Syrisa) à genoux pour qu’il parte ». La même indiscrétion nous conforte également dans nos convictions sur un autre point : « Les socio-démocrates ne voient pas non plus d’un très bon œil des concessions à Syrisa, car on leur reprochera de ne pas avoir obtenu la même chose pour leur pays… » (1) Dont acte. Question : où se situent la présidence et le gouvernement de la France dans ce schéma ? Suivent-ils docilement le « dur sans état d’âme » ? Verraient-ils , eux aussi, d’un mauvais œil un succès des autorités grecques conforme aux attentes de leur peuple ? Le moment ultime approche où chacun est appelé à prendre ses responsabilités. Et à se préparer à rendre des comptes sur son attitude et les conséquences qui en découleront. Pour la Grèce. Pour l’autorité future de la France , notamment dans les pays du sud de l’Europe dont elle s’affirmait naguère l’ « amie ». Pour l’avenir de l’Union européenne elle-même , qui pourrait bien ne pas survivre à une expulsion de fait de la Grèce de la zone euro et au possible « krach financier » ainsi qu’à la « débâcle politique » qui pourrait en résulter (2). Monsieur le Président, il est (juste) encore temps de vous ressaisir.
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(1) Ces propos sont attribués à Pierre Moscovici par le journaliste Jean Quatremer dans son blog (12/3/2015) . A notre connaissance, il n’y a pas eu de démenti de l’intéressé.
(2) L’expression est d’un chroniqueur peu susceptible de sympathie excessive pour Syrisa : Jean-Pierre Robin (« Le Figaro » -27/4/2015).
7 Mai 2015 at 8:26
« Nous avons gagné une bataille mais pas la guerre (…) Les difficultés réelles sont devant nous » : Alexis Tsipras, le Premier Ministre grec n’a rien caché à son peuple des obstacles que les institutions européennes et leurs maîtres actuels dressent sur le chemin de la réalisation du programme de Syrisa. De fait, les négociateurs grecs ont dû faire des concessions majeures à l’ « Eurogroupe » pour arracher un accord dont Athènes avait un besoin littéralement vital avant la date fatidique du 28 février -jour où prenait fin « l’assistance financière » accordée au pays depuis 2012 (avec, jusqu’ici, les « contreparties » dévastatrices que l’on sait). Et surtout, de lourdes incertitudes planent sur l’issue des négociations entre les autorités grecques et Bruxelles, qui vont marquer les quatre prochains mois. Et pourtant, oui : le peuple grec a gagné une bataille ! Contrairement à une idée répandue, cet accord n’était nullement garanti ! Le fait de l’avoir imposé -si on connaît le contexte réel de ce bras de fer- est bel et bien un succès.
En effet, aux yeux de certains membres de cette instance, et notamment du plus influent d’entre eux, Wolfgang Schäuble, grand argentier allemand et donc principal créancier de la Grèce, l’ expulsion de ce pays de la zone euro n’entraînerait plus aujourd’hui de gros dégâts pour les autres membres de l’ Union monétaire. « Nous avons beaucoup appris des deux dernières années et instauré des mécanismes de protection. Le risque de contagion à d’autres pays de la zone euro a diminué et la zone euro dans son ensemble est devenu plus robuste » déclarait-il déjà bien avant la victoire de Syrisa. (1) Pire, l’abandon de la Grèce était vu plus récemment dans ces milieux comme une chance : « Si le maillon faible de la chaîne cède, le reste se renforce » rapportait le mois dernier le magazine allemand « Der Spiegel ». Certains acteurs proches des négociations de l’ « Eurogroupe » soupçonnaient donc que le puissant ministre allemand, révulsé par la crise grecque depuis le début et , à plus forte raison, foncièrement hostile à Syrisa, « mise sur la sortie de la Grèce de la zone euro , voire qu’il cherche à la provoquer » , tant son intransigeance extrême paraissait suspecte ! (2)
Ajoutons à cela la panique des gouvernements espagnols, portugais, irlandais, baltes, etc devant la perspective que Syrisa obtienne d’éviter à l’avenir au peuple grec les fardeaux et les humiliations qu’ eux-mêmes ont imposés à leur population comme « la seule politique possible »! Ils ont été les premiers à soutenir l’attitude bornée de leur collègue allemand.
C’est à l’aune de ce rapport de force apparemment inextricable qu’il faut mesurer l’accord arraché « in extremis » par la Grèce à ses créanciers. Avant tout, le trou noir auquel aurait abouti l’arrêt de tout financement européen , qui aurait livré la Grèce aux marchés financiers, à été évité ! Ensuite, deux demandes essentielles du gouvernement grec ont été satisfaites. La première, c’est que la « troïka » est morte ! On n’imagine pas le pas symbolique que cela représente dans la reconquête de la dignité du peuple grec! Évidemment que les trois institutions dont ce monstre bureaucratique et de type colonial émanait -la Commission de Bruxelles, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international- continuent d’exercer leurs pressions , mais désormais, c’est Athènes qui choisira les « réformes » à entreprendre et en discutera avec ces institutions. La seconde demande satisfaite est l’ouverture de négociations sur le contenu d’un « nouveau contrat » qui liera la Grèce à la zone euro à partir de juillet prochain. Enfin, l’exigence qui pesait jusqu’ici sur la Grèce d’arriver cette année, non à l’équilibre budgétaire (hors service de la dette) proposé par le gouvernement, mais à un excédent de 3% du PIB grec est annulée. Cela veut dire que des milliards d’euros supplémentaires pourront aller aux dépenses jugées prioritaires par le gouvernement grec.
Gageons que ce sont le soutien de 81% de citoyens grecs à l’action de Syrisa (4) et l’énorme courant de sympathie qui entoure le nouveau gouvernement grec parmi les peuples européens qui ont finalement permis de « gagner une bataille » ! Dans les mois qui viennent, c’est à l’évidence cet atout qui devra encore s’affermir pour, ensemble, « gagner la guerre ».
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(1) Interview au quotidien allemand « Rheinische Post » (11/5/2012)
(2) Voir « Le Soir » (Bruxelles) 22/2/2015
26 février 2015 at 10:32
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